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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Dès les pâlissements de l’aube.RM

Tout ce qui lui venait à l’esprit, c’était que le dictionnaire qualifiait de « sauvages » ceux qui avaient veillé à préserver une nature que les dénommés « civilisés » s’acharnaient à détruire.

Page 96

Une chronique de Richard

Quelle formidable impression de fermer un livre et de se dire, « je viens de lire un grand roman. »

Voilà le sentiment qui m’a envahi quand j’ai terminé ma lecture du dernier roman de Luc Baranger, «Dès les pâlissements de l’aube ».

Deuxième impression du chroniqueur, la peur de ne pas rendre totalement justice à une œuvre fort complexe à résumer et qui demande au lecteur, une certaine persévérance dans sa lecture. Lire ce roman n’est pas facile ! Mais tout un plaisir de lecture !

"Dès les pâlissements de l’aube" est un livre inclassable, difficile à catégoriser, mais provoquant une seule conclusion possible, ce roman est un pur chef-d’œuvre. En résumé, une histoire étonnante, une époque à découvrir ou à redécouvrir, des personnages plus grands que nature et une langue, un style à couper le souffle.

Débutons donc par l’histoire ! Le récit commence dans une section des 400 kilomètres de tranchées qui ont fracturé la France, pendant la guerre 14-18. Comme des veines où le sang coulait sans interruption. Nous sommes dans les derniers mois de cette guerre atroce, les soldats épuisés, sales, blessés, espèrent la fin du carnage qui a emporté des centaines de milliers des leurs. Et aussi beaucoup de leurs ennemis !

Dull Dawn est un de ces soldats, un Indien Lakota, né la veille du massacre de Wounded Knee. Ce 29 décembre 1890, plus de 300 autochtones seront exterminés sans raison. La mère de Dull Dawn sera l’une des victimes.  Aujourd’hui, dans ces tranchées, il est obsédé par une idée qui le tourmente, il rêve de rencontrer un des dirigeants de ce massacre, le général des armées John Joseph Pershing.

Pourtant, ce soldat est reconnu pour ces exploits extraordinaires; sa capacité à traverser les lignes ennemies sans se faire voir, à rapporter des ennemis qui pourraient révéler des renseignements importants et aussi quelques scalps bien frais de soldats allemands. Quelle est la motivation intrinsèque de cet autochtone américain à participer à cette guerre qui ne le concerne pas du tout, lui qui comme la plupart de ses frères indiens a subi les pires traitements, la ségrégation raciale et le rejet des Blancs ? Né dans ce pays que ses ancêtres ont occupé depuis des siècles, il n’est même pas reconnu comme citoyen à part entière. Un objectif l’allume, être l’instrument de la vengeance, devenir le comte de Monte Cristo amérindien et venger ces morts inutiles.

Pendant ses longs moments de pause entre deux batailles, sous les tirs ennemis, il nous fera connaitre son histoire, la sienne et celle de tous ces Indiens d’Amérique. Une histoire effrayante, mais un récit passionnant.

Et tout au long de son histoire, nous croiserons des personnages rencontrés dans les livres de notre enfance, dans certaines émissions qui nous présentaient de façon édulcorée, les conflits entre les cowboys américains et les « méchants sauvages ».  Au détour d’une page, on rencontre par exemple le grand Chef Sitting Bull, celui qui a affronté le général Custer à la bataille de Little Bighorn. Ou encore le célèbre Bill Cody, que l’on connait mieux sous le nom de Buffalo Bill, qui fera des tournées en Europe et en Amérique pour présenter son « Wild West Show ». Sans oublier, un détour dans la ville de Willow Bunch, ville de naissance d’Édouard Beaupré, ce gentil Géant  mort à 23 ans.

Mais un personnage ressort de ce roman, malheureusement peu connu, mais tellement important dans les événements qui ont marqué l’histoire du peuple sioux en Amérique à la fin du XIXe siècle. Jean-Louis Légaré, absent de nos livres d’histoire, a apporté une aide humanitaire vitale à ce peuple qui fuyait les États-Unis après la bataille de Little Bighorn. Plus grand que nature (il mesurait 1,93 mètre), véritable héros, le lecteur découvre un homme généreux, sensible aux souffrances des peuples amérindiens et surtout, capable de monter aux barricades (sans jeu de mots) pour assurer une certaine justice pour ces peuples opprimés.

Bien sûr, Légaré sera une figure importante pour Dull Dawn qui profitera de sa sagesse, mais aussi de sa générosité. Mais, pour Dull Dawn, tout au long de son adolescence, de son vécu dans le cirque de Buffalo Bill et ensuite, comme soldat à la guerre, un seul élément hantera son esprit, le massacre de Wounded Knee où ont été assassinés des femmes, des enfants et des hommes désarmés dont sa mère et de sa sœur.

Voilà donc en quelques mots, le résumé imparfait d’un roman foisonnant, riche en faits historiques, faisant un portrait ultra réaliste d’une guerre sale dans les tranchées de 14-18 et de l’histoire honteuse du traitement des Amérindiens par les hommes blancs américains. L’auteur prend résolument partie pour les « Peaux-Rouges ». Le lecteur assiste à ces événements et n’a d’autres choix que de se ranger du côté des opprimés.

Enfin, je m’en voudrais de ne pas parler de l’écriture, du style de Luc Baranger. Une histoire aussi puissante, des personnages légendaires, des événements autant dramatiques que douloureux, tout cela ferait de ce roman une grande fresque historique incontournable. Mais la langue de Baranger, son style imagé et son sens de l’humour punché en font rien de moins qu’un chef d’œuvre. Emballé par l’histoire, je me suis souvent arrêté pour relire une phrase bien tournée, admirer une image inspirante ou encore, sourire à un trait d’esprit intelligent. Certaines phrases font parfois chanter les mots, mais d’autres ont le pouvoir de les faire crier. De haine, de colère, de fureur et de rage !

Alors, amateur et amatrice de romans historiques, férus.es d’histoire et lecteurs et lectrices exigeants.es, ne passez pas à côté de ce roman qui trace un portrait vivant et fascinant d’une période de l’histoire dont nous ne pouvons pas être fiers. Ce roman, pour le regard de Luc Baranger sur cette époque, deviendra un incontournable de la littérature québécoise. Cependant, je trouve essentiel de rappeler que la lecture de ce roman de 489 pages est exigeante et elle ne se laisse pas apprivoiser facilement. . Malgré les presque 500 pages et même si le livre est assez dispendieux, l’effort ( ... de lecture et de ... portefeuille) en vaut la peine !

Un roman passionnant où on apprend tellement de choses, une écriture sensible et sans compromis, un regard mordant sur une époque, des faits historiques mis en lumière et des personnages inoubliables, « Dès les pâlissements de l’aube » contient tous les ingrédients d’un grand roman. Un roman monument, une œuvre majeure, un nouveau classique de la littérature québécoise !

Extraits

Deux jours après le massacre de Wounded Knee :

« C’est le moment que la neige a choisi pour tomber vraiment. Là-haut, un Dieu honteux d’avoir laissé commettre ce massacre inutile, cherchait-il à camoufler sa désinvolture sous le tapis de la conception immaculée ? »

Page 211

 

Petit dialogue entre un grand-père lakota et son petit-fils, au sujet des frontières :

« - C’est quoi le Montana ?

-Une invention des Blancs, comme le Wyoming qu’on vient de traverser. Les Wasichus* eux-mêmes sauraient pas faire la différence entre les deux, mais comme je te l’ai dit, ils ne peuvent s’empêcher de tracer des lignes invisibles partout. C’est plus fort qu’eux. Et dès qu’ils en dessinent une nouvelle, ils sont obligés de donner un nom à chaque côté. »

Page 273-274

*Blancs

 

Bonne lecture !

Crédit Photo Nicolas Mithieux, photographe

 

Dès les pâlissements de l’aube

Luc Baranger

Éditions Équateurs Roman

2023

488 pages

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