20 Avril 2023
Une chronique de France Lapierre
À quel type de roman peut-on s’attendre en apercevant une couverture aussi intrigante : un drapeau américain effiloché, un chihuahua et un titre, SoBo, qui évoque South of the Border?
La quatrième de couverture précise qu’il s’agit de South Baltimore, un quartier en processus d’embourgeoisement où vont s’établir Joseph et Olivia. Cette dernière a accepté un poste à la prestigieuse Université John Hopkins. Quant à son mari, il est traducteur à la pige, ce qui lui permet de travailler à la maison et d’observer le microcosme de la Randolph Street, au cours de l’année 2007.
Dès l’incipit, le style hameçonne le lecteur! Les images foisonnent et le rythme est vif. On plonge en un clin d’œil dans un univers américain violent, raciste, pauvre et misérable. La faune locale est colorée et l’auteur trouve le détail juste qui matérialise le personnage dans l’esprit du lecteur. La qualité de l’écriture procure un grand plaisir de lecture.
Antoine, surnommé To, est âgé de 16 ans.
« Si bien que To n’était ni vraiment Haïtien, ni Afro-Américain, ni Blanc. C’était un demi-black vivant dans un quartier surtout blanc dans une ville en majorité noire. » p.22
Il est grand lecteur et la bibliothécaire de l’école lui a fait connaître Ralph Ellison, J. D. Salinger, Albert Camus, Walter Mosley, Chester Himes, Toni Morrison, Stephen King …et même Dostoïevski. Son comparse, Lil Em est un petit délinquant qui l’entraine souvent à faire des stupidités.
Dans le voisinage, on retrouve Frizzy, le toxicomane; Floyd, le paranoïaque et Barb Butkus, surnommée la Crack Lady, une grand-mère trafiquante de drogues, sans oublier Margot Kosnik, la soixantenaire raciste.
D’autres personnages gravitent sous l’œil de la caméra inquisitrice de Joseph : Berlin, un policier patrouilleur et les travailleurs immigrants (laboradores) qui vivent dans des conditions abjectes.
À travers les actions des personnages, Jean Charbonneau aborde plusieurs thématiques : l’identité, la rédemption, la violence, l’immigration (el estúpido sueño americano). Comme si de rien n’était, l’auteur enrichit le tissu narratif grâce à des informations sur de multiples sujets, toujours en lien avec ses personnages (la guerre en Irak, la mesure en degrés Fahrenheit, le fonctionnement du cerveau et des explications historiques).
Les failles de la société américaine sont esquissées à coups d’images et d’énumérations percutantes. Le Québec aussi en prend pour son rhume. Le père de Joseph apostrophe son fils en ces termes :
« Les Québécois me font mourir avec leur nationalisme de poule mouillée. On s’est humiliés nous-mêmes à la face du monde en 1980 et en 1995 en mettant pas nos culottes devant Ottawa. (…) La majorité des Québécois pourrait pas dire trois phrases intelligentes au sujet de la rébellion des patriotes, de la crise d’Octobre, de la trahison du lac Meech. C’est quoi, un Québécois? (…) C’est quelqu’un qui chante « Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver » mais qui va deux semaines par année sur les plages de la République dominicaine à pomper l’air des habitants du coin. (…) C’est « Je vous dérange pas toujours? » qu’on devrait avoir sur nos plaques d’auto plutôt que « Je me souviens… ». p. 210-211
SoBo est le quatrième roman du montréalais Jean Charbonneau, récipiendaire du Prix Saint-Pacôme du premier roman pour « Tout homme rêve d’être gangster ». À la lecture de SoBo, le lecteur passe par les mêmes réactions que Joseph : d’un regard étonné, il développe un regard critique, puis apeuré devant cette Amérique déliquescente qui est notre voisine tonitruante, enveloppée d’une « chaleur sale et poisseuse » tout comme le SoBo du roman.
Bonne lecture !
SoBo
Jean Charbonneau
Éditions Druide
2023
419 pages