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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Sauvage

 Il y a des livres dans le monde qui vous font demander, quand vous les lisez, comment un parfait inconnu peut faire pour savoir aussi précisément ce que vous avez en tête.

Jamey Bradbury dans "Sauvage"

Une critique de Sophie-Luce Morin

Résumé :

Tracy Petrikoff, 17 ans, possède un don surnaturel ancestral quelque peu inouï. Amoureuse des grands espaces et de ses chiens, elle vit dans un coin perdu de l’Alaska avec son père Bill et son jeune frère Scott. Leur mère est décédée deux ans plus tôt, renversée par une voiture pendant la nuit. Que faisait-elle dehors à cette heure-là ? C’est l’un des mystères que Tracy ne parvient jamais à élucider, et qui la hante.

Au moment où le récit commence, notre héroïne se fait renvoyer de son école pour s’être battue avec un camarade. Pour la punir, son père l’empêche de s’adonner à ce qui la passionne : s’occuper de ses chiens et les faire courir à traîneau, trapper, se promener dans les bois. Qui plus est, faute de moyens financiers, Tracy ne pourra pas davantage réaliser son grand rêve, qui est de participer à la grande course annuelle de l’Iditarod. Or rien n’arrête l’adolescente, qui profite de la nuit pour déjouer la vigilance de son père, atteler ses chiens et les faire courir dans les sentiers qui traversent leur propriété. Tracy trouve même le moyen de s’inscrire pour la course à l’insu de Bill. C’est ainsi que, dès les premières pages du roman, on cerne le caractère sauvage et insoumis de notre protagoniste.

La vie de Tracy bascule lorsque, relevant ses pièges dans la forêt, elle croise un étranger. Prise par surprise, Tracy interprète mal les gestes de l’inconnu et l’attaque, avant de perdre conscience. Malheureusement, elle ne conserve que quelques vagues souvenirs de ces instants. A-t-elle tué celui qu’elle a pris pour son agresseur ? Il semble bien que oui, à en juger par le sang qui macule le couteau qu’elle garde toujours sur elle. Dès lors, la jeune fille ne parvient pas à faire taire les doutes qui l’assaillent jour et nuit sur le sort qu’elle aurait réservé à cet homme.

Peu après cet événement, un jeune homme en quête de travail frappe à la porte des Petrikoff. Il parviendra aisément à se faire embaucher par Bill et à être même très apprécié par ce dernier. Ce mystérieux adolescent réussit à berner toute la famille avec ses mensonges et un passé qu’il invente à partir du livre d’un certain Kleinhaus. Tracy tombe amoureuse de celui qui sème à la fois l’incertitude et la suspicion dans son esprit, et se prépare dès lors à défendre sauvagement son territoire et les siens. Je ne vous en dis pas davantage de peur de gâcher votre plaisir.

Mon impression :

J’affectionne particulièrement les romans nordiques. J’aime les atmosphères de poudreuse, de givre et de glace. J’aime le blanc immaculé et le froid. Et c’est d’abord pour cette raison que j’ai choisi Sauvage. En revanche, je ne lis que rarement de la science-fiction, du fantastique ou de la fantasy. Mon incursion dans ce genre ne m’a pas déçue. Une fois les premières pages de ce roman tournées, il est difficile, voire impossible, de l’abandonner tant le suspense est intense et l’intrigue, savamment ficelée.

Sauvage est un roman protéiforme et polyphonique, qui oscille entre le vampirisme, le fantastique, le roman noir, le roman initiatique et le roman psychologique. Et c’est ce qui, à mon avis, rend cette histoire si singulière et parvient à séduire un large lectorat.

Ce roman s’échafaude à partir du don surnaturel que possède Tracy ; un don ancestral hérité de sa défunte mère. Si cette faculté étrange et singulière lui permet d’entrer en communion avec sa maman et de la garder bien vivante en elle, elle lui permet également de communiquer avec le monde animal et de se retrouver dans la tête et dans les pensées de ses proches. Inutile d’entrer dans le détail et de vendre la mèche. Disons simplement que les nombreux mystères qui entourent l’existence de Tracy la rendent aussi attachante et mystérieuse qu’effrayante. Pour me ménager, j’ai choisi d’évacuer certaines images troublantes de mon esprit et de me laisser plutôt immerger dans l’ambiance feutrée de ces grands espaces blancs où règne un silence envoûtant, tour à tour rompu par le craquement d’une branche, l’aboiement des chiens ou le crissement des patins du traîneau sur la piste enneigée. Sauvage est le roman des extrêmes, dans ce que l’on juge de bien ou de mal.

L’intrigue est complexe. Le rêve et la réalité, le passé et le présent se confondent. Les destins s’entrecroisent. Les mystères, les ambiguïtés et les mensonges foisonnent. On est tantôt dans la tête de l’un, tantôt dans la tête de l’autre, toutes ces voix n’en formant qu’une, le roman étant narré par Tracy.

L’auteure parvient à nous tenir en haleine jusqu’à la dernière page. Et j’oserais avancer que la dernière partie du roman est la plus haletante. Impossible de déposer ce livre sans en connaître l’issu une fois le chapitre 17 commencé. La finale est complètement inattendue et déchirante, et m’a fait vivre des émotions intenses. J’ai eu froid. J’ai eu peur. J’ai ragé.

Sauvage connaît actuellement beaucoup de succès, et cet engouement est tout à fait justifié. Certains ont comparé ce roman à ceux de Charlotte Brontë et de Stephen King. De mon côté, je dirais que le livre de Jamey Bradbury a un petit je-ne-sais-quoi du Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelly, ce qui n’est pas peu dire…

Citations :

« C’est comme ça, la vie n’est qu’un vautour avide. J’ai lu des choses sur les vautours, ils mangent et mangent et mangent encore, même quand ils sont repus ils continuent, ils dévorent tout ce qu’ils ont devant eux. La vie avale un truc et ça ne fait que la rendre plus avide, alors elle se met à en avaler d’autres. Ça commence par Maman. Elle marche dans la nuit et ne revient jamais. Ensuite ce sont les chiens, cédés les uns après les autres. Puis notre mode de vie. Puis Papa, la façon dont les choses se passaient entre nous deux. Et si vous croyez qu’il est possible de s’habituer à ce genre de deuils, c’est que vous n’avez pas encore assez vécu. Rien de reste. »

« Vous avez beau vieillir, quel que soit l’âge que vous atteignez, vos parents l’auront atteint avant vous, seront déjà passés par là, et ça a quelque chose de réconfortant. Comme un sentier que vous ne connaissez pas, dans la forêt, sur lequel il y aurait des traces de pas qui vous diraient que quelqu’un l’a déjà emprunté. Jusqu’au jour où vous arrivez à l’endroit où ces traces s’arrêtent. »

« Le problème quand on a un secret c’est qu’on en a vite deux. Puis trois, puis tellement qu’on finit par avoir l’impression que tout risque de se déverser sitôt qu’on ouvre la bouche. »

 

Bonne lecture !

 

Sauvage

Jamey Bradbury

Traduction de l’anglais par Jacques Mailhos

Gallmeister éditeur

2019

 

 

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