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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Jeanne chez les autres

Le secret du bonheur, c’est d’être heureux.

Pierre Légaré

Chronique rédigée par Geneviève Hould

 

Jeanne chez les Autres, c’est la misère de mère en fille, c’est la jeunesse qui broie ses rêves par ses propres choix, c’est être fille-mère de mère en fille. C’est les salons enfumés et les matantes paquetées; les soirées de cartes à sacrer et à s’obstiner; le sexe, l’alcool, la violence, la criminalité; les centres d’accueil d’une médiocrité mur-à-mur censés relayer les familles poquées; un langage cru, sans lustre. Ce langage usuel chez plusieurs, hélas.

 

« Câlisse, Lizon, c’est quoi l’idée de tomber enceinte d’un crotté pareil? »

 

«  Élizabeth jurait comme d’autres se grattaient: tout le temps, pour rien le plus souvent. Une forme de ponctuation qui marquait ou l’enthousiasme ou la colère, mais qui était sans effet sur les petites Fournier, trop habituées. »

 

À quoi aurait pu ressembler la vie de Jeanne Fournier si elle avait vu le jour dans une famille engagée?

 

L’action (ou l’immobilisme?) de Jeanne chez les Autres se déroule dans les années 70, sur le Plateau Mont-Royal, avec des personnages tout aussi carencés qu’attachants. Une famille élargie dysfonctionnelle aux liens étroits, mais une famille quand même. Un clan qui se rassemble, qui se ressemble, qui se conforte dans ses insuffisances, surtout.

 

Jeanne chez les Autres, c’est des personnages typés. On y fait la rencontre de Jeanne - douce et docile Jeanne - aussi tranquille que timide. Mal aimée par son père, adorée par sa mère. On haït son père incompétent, René Fournier, dont la méthode éducationnelle de prédilection est la strappe. On perce l’univers d’Élizabeth Fournier, qui accumule les bébés comme d’autres les trophées. Une mère dépassée qui carbure au Valium. On y rencontre une bordée d’enfants, plus ou moins abimés par la cellule familiale. Et on est malgré nous conquis par Raoul, son grand-père excentrique, ouvert et aimant, trop peut-être.

 

Dans ce roman, l’auteure alterne entre la narration et les extraits du journal de Jeanne. Journal dans lequel elle commence à crayonner dès l’âge de 7 ans comme exutoire à sa vie pourrie et qu’on suivra, par parcelle, par tableau, jusqu’à ses 18 ans. « Tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime ». [1] En écrivant, Jeanne s’autothérapeutise.

 

« Je pense que ma vie va vraiment changer, enfin. Grâce à la drogue.

… Une ligne que ça prend! Je sais pas si mon éduc est au courant, mais une ligne de poudre fonctionne pas mal mieux que cent lignes de prose pour me faire parler; elle qui s’acharne à me disséquer le mental, elle devrait m’en donner! Elle n’en finirait décidément plus de remplir des papiers! »

 

« J’aime pas ma famille comme j’aime pas les anchois. J’passe pas mon temps à haïr ça, j’en mange juste pas. »

 

Les amateurs de Michel Tremblay noteront une ressemblance dans le style, une maitrise habile d’un joual oral porté à l’écrit. Une conformité entre le fond et la forme qui nourrit l’histoire de cette famille amochée. Parce qu’il faut les maitriser les mots pour réussir à transposer à l’écrit le langage de la rue. Marie Larocque emploie un vocabulaire dur avec beaucoup de doigté.

 

Jeanne chez les Autres est le premier roman de l’auteure. Elle a depuis écrit L’autre Jeanne et Mémé attaque Haïti. C’est une traductrice, ancienne prof de littérature, tout sauf conventionnelle. Cinq enfants, cinq pères différents. Et un esprit libre. Il n’y a qu’à lire la quatrième de couverture.

 

« Elle vit en Haïti parce qu’il y fait chaud et que le dernier de ses amoureux lui plait bien. »

 

Même ses remerciements sont divertissants. Mais pas autant que ses non-remerciements.

 

« À Jean-Pol Passet, parce qu’il me l’a demandé. À Patrice Berthiaume, juste pour l’écoeurer. »

 

Cette liberté de l’auteure, elle pénètre le roman. C’est à se demander s’il n’y a pas un peu de Jeanne qui sommeille en Marie Larocque…

 

 

 

Jeanne chez les Autres

Marie Larocque

Tête Première (2013)

272 pages

 

 

[1] Dicton oriental cité par l’auteur David Goudreault  lors d’une conférence.

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