Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Red Light. Adieu Mignonne.

Red Light. Adieu Mignonne.

Marie-Ève Bourassa est une découverte !

On retrouve dans « Adieu Mignonne » tous les ingrédients d’un excellent polar : un personnage principal typique de la littérature noire, une intrigue superbement ficelée, une écriture fluide et parfois crue, une atmosphère aussi glauque que dans les meilleurs romans américains du début du XXe siècle. Vous trouvez que j’exagère en mettant cette nouvelle auteure sur le même pied que les Jim Thompson, Raymond Chandler, Dashiell Hammett ou David Peace ? Oui peut-être un peu. Mais ce que je peux vous dire c’est que Marie-Ève Bourassa possède tout le talent pour atteindre les sommets et qu’elle sera une auteure à suivre dans les prochaines années.

Mais avant de la couronner, voici donc l’histoire de ce deuxième roman sorti de l’imagination de cette experte en cocktails de tous genres. (Ne soyez donc pas surpris si vous vous sentez un peu secoué … !)

Eugène Duchamp, de retour des tranchées de la Première Grande Guerre, demeure à Montréal, dans un taudis du bas de la ville avec sa femme Pei-Shan. À longueur de journée, ils vivent au rythme de ses prises d’héroïne et de ses beuveries d’alcoolique pas du tout anonyme. Un jour qui ressemblait à tous les autres, une prostituée vient le voir pour lui demander d’enquêter sur la disparition de son enfant dans des circonstances nébuleuses. Tout d’abord, il refuse. L’ancien policier manifeste ses réticences. Après mures réflexions, connaissant le peu d’intérêt pour ses ex-collègues de la police à résoudre des affaires touchant les habitants du Red Light, il prend sa canne, surnommée Mignonne, qui le supporte dans ses déplacements et se lance dans ces endroits mal famés où il plane dans ses paradis artificiels.

Suivez le guide, car il vous fera découvrir les rues, les bordels, les piqueries et les cabarets d’un quartier mythique du Montréal des années 20. Malgré l’air peu rassurant de notre cicerone à canne, il est sûrement le meilleur pour vous montrer à quoi ressemble l’enfer sur une partie de cette terre. Ah oui, n’oubliez pas de vous essuyer les pieds sur le paillasson de l’entrée quand il vous transportera dans les belles maisons sur le mont Royal, rencontrer ceux qui profitent des profits immenses de ce qui se passe dans les quartiers mal famés.

L’enquête se déroule à toute vitesse (même si notre enquêteur boite …), il y a de l’action, on ne s’ennuie jamais. En prime, vous assisterez à une superbe histoire d’amour qui selon toute vraisemblance ne devrait pas exister dans ce terreau infertile.

Marie-Ève Bourassa ne fait aucune concession au réalisme de ce monde aux effluves d’alcool pour Américains assoiffés par la Prohibition. Des descriptions taillées à la hache, des dialogues percutants souvent teintés d’humour et de sarcasme et des personnages aux couleurs nuancées de gris et de noir. Et malgré leurs gestes, leur langage et leurs motivations, même les «acteurs» secondaires sont crédibles et attachants. Et c’est là une des grandes forces de cette nouvelle auteure, situer ses personnages dans la complexité de leur situation. Son Eugène est fascinant; ce petit côté Robin des Bois mélangé à son allure de mauvais garçon junkie ... Adorable ! Quelques fois, il nous fait pitié, mais souvent on éprouve de l’admiration pour son courage et son humanité.

Et ce qui ne gâche rien, on apprécie le style d'écriture, ce langage aux accents du Québec de l'après-guerre et les tournures parfois géniales et toujours pertinentes. Je me suis régalé de quelques phrases qui avaient le don de me "r'virer à l'envers" ...

Et chacune de ces prostituées nous touche par leur humanité.

Découvrez Marcelle, cette marchande d’amour tellement émouvante ... !

Je ne sais pas si l’auteure a fait beaucoup de recherche, mais sa description du Montréal des années 20 et du milieu des petites mafias montréalaises m'a semblé tout à fait réaliste.

À tout moment, on se sentait dans le "vrai" Montréal !!

Inutile de dire que j'ai été happé par l'histoire, par l'enquête de ce "détective" et la capacité de cette nouvelle auteure à maintenir l'intérêt du lecteur. En aucun moment, j’ai ressenti de longueurs. Ça coule comme une source au printemps.

Alors, allez vite vous procurer ce roman ou mettez-le sur votre liste d’achats pour la journée du 12 août « J’achète un livre québécois ». Vous n’aurez qu’un seul problème … attendre la suite des péripéties de ce détective pas du tout comme les autres.

Plaisirs de lecture garantis ! Et quelques extraits :

« N’y avait pas que les hommes qui lui étaient passés dessus : le temps, la misère aussi. »

« Le problème, lorsqu’on vit comme s’il n’y avait pas de lendemain, c’est justement qu’il y a toujours un lendemain, et, en témoignent mes mains, il n’est pas des plus indulgents. »

« À l’unisson, nos faux éclats de rire ont empli la pièce. Symphonia hypocrita en lassitude majeure. »

« Les habitants, pratiquement tous anglais, étaient totalement coupés du pauvre monde. Le genre d’endroit où même les domestiques noirs vous regardent de haut parce que vous avez sali le trottoir devant la demeure, avec vos semelles souillées de réalité. »

J’en passe et des meilleures.

Bonne lecture !

Adieu Mignonne

Red light

Marie-Ève Bourassa

VLB éditeur

2016

305 pages

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Excellent billet et ravie que tu aies aimé. Une sacré plume n'est-ce pas?!
Répondre
R
Oui, j'ai beaucoup aimé ! Cette auteure mérite que nous la suivons ! J'ai très hâte de lire ses prochains romans.
É
«Sa cuisse m'est rentrée dedans comme un navire qui rentre au port». Cette phrase aussi m'est rentrée dedans!<br /> <br /> J'ai été très agréablement surprise par la qualité du style de l'auteure. Le scénario est un classique du genre polar de gare, toutes les «grandes scènes polar» y sont, tu as raison de la comparer aux Chandler et compagnie en ce sens. Mais le rythme, la qualité de la langue jusque dans le joual, les dialogues absolument parfaits appartiennent en propre à Marie-Ève Bourassa. Nous sommes en présence d'une vraie auteure, c'est clair!
Répondre
R
Bonjour chère amie de l'est ! Je commence sérieusement à m'ennuyer de nos rencontres littéraires...<br /> <br /> Tout à fait d'accord avec ton commentaire. Cette nouvelle auteure nous en fera voir de toutes les couleurs.<br /> À très bientôt, Éliane !