13 Mai 2015
En grande primeur pour les lecteurs de Polar, noir et blanc, je vous annonce que "Terminus Belz" d'Emmanuel Grand s'est mérité le prix Tenebris 2015, meilleur roman policier francophone distribué au Québec.
Ce premier roman de l'auteur français a été sélectionné parmi une soixantaine de romans québécois et européens, soumis au jury. De cette cuvée, cinq finalistes ont été sélectionnés:
"Angor" de Franck Thilliez chez Fleuve noir:
"Jack" d'Hervé Gagnon chez Libre Expression:
"Nous étions le sel de la mer" de Roxanne Bouchard chez vlb éditeur:
"Repentir(s)" de Richard Ste-Marie chez Alire:
"Terminus Belz" d'Emmanuel Grand chez Liana Levi.
Félicitations à cet auteur qui a charmé les membres du jury par ce huis clos passionnant, l'originalité de son histoire, la qualité de ses personnages, le style efficace et l'audace d'avoir introduit les légendes qui hantent ces insulaires.
Voici donc ma chronique sur ce roman:
Ça vous arrive parfois de ne rien attendre d’une lecture, de commencer un roman en vous disant, on verra bien ? Voilà l’état d’esprit dans lequel j’étais quand j’ai commencé la lecture de « Terminus Belz » d’Emmanuel Grand. Cependant, comme il m’avait été conseillé par un grand connaisseur de polars, Raymond Pédoussault du blogue Sang d’encre polars, je me suis attelé à la tâche ! Pour mon plus grand plaisir !
Première découverte : « Terminus Belz » est un roman complexe, d’une structure achevée, un récit écrit avec maturité et assurance, avec des personnages crédibles et attachants. La tension monte graduellement, le lecteur ne s’ennuie jamais et il est attaché par les amarres de fil de caret tissées par l’auteur.
Deuxième découverte : « Terminus Belz » est un premier roman ! Toute une surprise !
« Terminus Belz » est un magnifique polar aux odeurs de mer des côtes de la Bretagne. Et chose assez étrange, il vient rejoindre un autre roman de pêcheurs des eaux froides de la Gaspésie, « Nous étions le sel de la mer » de la Québécoise Roxanne Bouchard qui selon moi, sont parmi les meilleurs polars de l’année. Inutile de vous dire que je vous conseille les deux … et croyez-moi, ce n’est pas de la vantardise de pêcheurs !
Retournons donc sur les berges de la Bretagne pour voir ce qui s’est passé … Marko Voronine quitte son Ukraine natale, à la recherche d’une vie meilleure. Il laisse derrière lui, sa mère et sa sœur, qu’il espère rapatrier un jour. Malheureusement, le transport clandestin vire au drame : certains passeurs sont tués, l’argent du paiement des passages est subtilisé et la mafia ukrainienne exige vengeance. Dragos, un des survivants de la tuerie est chargé de régler les comptes : tuer les quatre évadés (dont fait partie Marko) et rapporter l’argent au Parrain.
Marko Voronine trouve refuge sur une petite île des côtes bretonnes ; les habitants la nomment l’Île des fous. Cette île, habitée par des pêcheurs depuis des générations, oscille entre une timide modernité et l’empreinte prégnante des légendes bretonnes. Beau programme pour un étranger qui y débarque et qui ne veut pas se faire remarquer. Aussi visible qu’une pleine lune dans un ciel dégagé au-dessus d’une mer calme, le nouveau pêcheur craint de plus en plus l’arrivée des tueurs de la mafia.
Mais, ce n’est pas le seul problème de Marko. La découverte d’un mort (ou d’une partie d’un mort), correspondant à l’arrivée de l’Ukrainien (qui se fait passer pour un Grec !), fait en sorte que toutes les têtes sont tournées vers lui, comme meurtrier potentiel. Celui-là même qui vient voler un emploi aux gens d’ici. Heureusement, il est protégé par le capitaine Caredec, propriétaire d’un chalutier qui l’a engagé à bord.
Commence alors, un aller-retour hallucinant entre la réalité d’une enquête complexe, pleine de sous-entendus, marquée par le mutisme des habitants de l’île et la peur viscérale d’un monstre de légende, l’Ankou, l’ange de la mort. Tout le monde le craint car il a été longtemps, le coupable idéal de tout ce qui se passait de négatif sur cette île de fous.
Emmanuel Grand manie cette intrigue avec un doigté hors du commun pour un premier roman. Dans un huis clos presque étanche, il réussit à nous plonger dans un monde oppressant où les non-dits et la promiscuité se partagent la scène avec les vents d’une tempête bretonne et les vagues d’une mer déchainée. À l’aube d’une journée de pêche, chaque marin se lève aux aurores pour vivre en symbiose avec la mer autant nourricière que meurtrière, au cœur de cette relation amour-haine. Puis le soir, au retour, les marins se retrouvent dans un bar pour oublier l’effort de la journée, qui rapporte de moins en moins.
Il faut souligner un autre coup de maître de l’auteur, celui d’avoir réussi à naviguer entre les eaux du réalisme et celles, très prenantes, de la légende et des monstres qui peuplent l’imaginaire de ces insulaires. Même l’étranger, exempt de tout atavisme, se laisse envahir par ces histoires tellement effrayantes.
Enfin, il faut souligner la diversité des personnages, même si parfois, certains ressemblent à des clichés. Le commissaire Fontana, le curé omniprésent, la libraire alcoolique, le capitaine grincheux et le vieux marin impotent, enrichissent quand même le récit.
« Terminus Belz » est un excellent roman qui saura vous passionner et vous donner des bons moments de lecture. Cet excellent premier ouvrage place la barre très haute pour le suivant… que j’attendrai avec plaisir !
Quelques extraits … pour notre plaisir :
« Sa tête pesait une tonne et lui faisait un mal de chien. Le sang, sous ses tempes, tapait comme un torrent de montagne et des centaines de micro-décharges électriques convergeaient vers son front pour s’évanouir brutalement dans une sorte de trou noir. »
« Sans littérature, sans chimères, sans métaphysique, nous ne sommes rien de plus qu’un tube digestif avec deux pattes, des chimpanzés avec le bac. Dans le meilleur des cas … Ah non ! Le père Darwin n’avait pas prévu ça, nom de Dieu … »
« Il y avait à Belz de nombreuses maisons touchées par le malheur. Un malheur qui prenait toujours, quelle qu’en soit la forme, la couleur de l’eau. L’eau trouble, l’eau noire, l’eau déchaînée et hurlante contre ces hommes qui avaient fait le vœu de la braver chaque jour que Dieu fait pour nourrir leurs familles et gagner leur vie.
…
Chaque maison pleurait un père, un fils, un cousin … Et quand elle ne pleurait pas, c’était qu’elle ne pleurait pas encore. »
Bonne lecture !
Terminus Belz
Emmanuel Grand
Liana Levi
2014
488 pages
Emmanuel Grand - photo Philippe Matsas/Opale Une petite interview du vendredi et c'est Emmanuel Grand qui s'y colle aujourd'hui. Merci à lui d'avoir accepté de nous parler de ce désomais fameux ...
http://quatresansquatre.com/article/emmanuel-grand-l-interview-de-l-auteur-de-terminus-belz
Une entrevue sur Quatre Sans Quatre !