Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.
30 Avril 2013
"La puanteur était si forte, que sur l'herbe,
Vous crûtes vous évanouir"
La Charogne – Charles Baudelaire
Puisqu'il faut bien se résoudre à regarder les choses en face, allons chercher au fond de nos placards, derrière les vieilles boîtes à chapeaux, dans un coin sombre de la cave, la petite valise.
Celle qui recueillera les seuls trésors à sauver le jour où le crépuscule s'attardera.
Croyez moi, il ne sera plus temps quand l'atmosphère deviendra irrespirable de faire des choix,
Ceux qui auraient du être faits bien mieux, et bien plus tôt.
Ceux que rien, désormais, ne peut plus ramener à la surface du possible.
Ce jour là, il ne vous restera que le temps de saisir par la poignée ce trésor d'où rejaillira peut être, pour les sombres années à venir, la seule lumière qui entretiendra la flamme du souvenir, à défaut de celle de l'espoir.
Celui d'un monde révolu, d'un jardin disparu, d'un ombre douce devenue trou noir, atroce béance, néant.
Ma petite valise « d'outre-vie » (comme d'autres ont un « outre-mer » ou un « outre-noir ») se remplit au fil du temps, au rythme des années fastes et des mois plus creux.
Elle ne contient que des livres, évidemment.
Chacun d'eux est un monde en lui même, une parcelle de cette pierre philosophale capable de tout traduire pour les siècles à venir.
Alors quand au détour d'une librairie je rencontre un livre comme « Voyages et Fleurs », le doute n'est pas permis, c'est pour ce livre là que je lis depuis toujours.
A la fin d'une vie extraordinaire d'engagement, de choix, et de souffrance, comme le siècle dernier en a connu beaucoup, celle qu'il est convenu d'appeler « la Grande Dame des lettres catalanes », disait « je suis fatiguée, fatiguée jusqu'à l'âme, par les attentats, les révolutions, les guerres civiles, les fours crématoires, la bombe atomique, les tortures, les séquestrations, les camps de concentrations, les exécutions, les assassinats …... Et ce qui est curieux, c'est que cette descente aux enfers exerce sur moi, parfois, une espèce de fascination » (extrait de Bernard de la postface par Bernard Lesfargues).
C'est cette même fascination quasi morbide pour ces poèmes en prose, dénués d'espoir, qui électrise mon imaginaire de lecteur.
Je suis le voyageur arpentant les chemins qui relient les villages glauques, peuplés de « petites filles perdues », de « femmes abandonnées », de « rats bien élevés », de « morts », de « pendus », etc ….
Partout poésie désolée, beauté absurde de « la charogne », or jaune qui corrompt tout et souille le cœur des hommes jusqu'à pousser les fossoyeurs à arracher les dents en or des morts ….
Parfois, au détour d'un chemin, une fleur.
Mais n'allez pas croire que dans cette sombre vallée les fleurs puissent générer quelque espoir.
Elles sont « désespérées », « mortes », « transplantées », tristesse », « sauterelle », « orgueil », « délire », « malade », « jalouses », « blessées » , etc ….
Il ne vous étonnera pas de savoir que, ma fleur préférée est « la fleur goutte de fiel » : « lorsqu'elle le veut, elle sort de derrière la feuille la plus inattendue et elle attaque. Plaf ! Une belle goutte de fiel. Et de nouveau elle se cache. Beaucoup disent qu'elle ne se cache pas, qu'elle perd son sang et qu'elle meurt. La goutte de fiel est inoffensive. Elle ne tache ni la peau ni les vêtements. Toutefois, si on la prend dans l’œil, on est perdu. C'est comme un coup de fouet. Et, pour le restant de vos jours, vous n'y voyez pas à plus d'un mètre de votre nez ».
« ...) l'histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre »
Boris VIAN