4 Juin 2010
Rencontre de James Ellroy
Librairie Monet
Montréal
Jeudi 3 juin 2010
Il est entré dans la salle. Immense ! Une présence ! Un monstre sacré !
Une trentaine de personnes subjuguées par le personnage, appréhendant ce qui allait se passer, ne sachant trop comment l’auteur aborderait cette présentation.
Il s’est dirigé vers la table, devant la salle, refusant de s’asseoir. Il est resté debout, du haut de son 1 mètre 87, imposant, regardant la salle avec des yeux perçants, le regard inquiétant,
le sourire absent ! Il s’est adossé au mur, comme si il ne voulait rien derrière lui, il a plié le genou, remonté son soulier le long du mur et nerveusement, il a attendu.
L’animateur a fait la présentation de sa biographie, en français. Évidemment, il n’a pas compris mais à certains mots, il détournait son regard qui scrutait la salle, regardait l’animateur et
esquissait un sourire, non, plutôt une grimace, une amorce de rictus!
Puis, il a dit quelques mots, nous disant qu’il était content d’être ici et qu’il allait nous lire un passage de son roman, "Underworld USA". Par la suite, il dédicacerait tous
les volumes qu’on lui présenterait.
Et là !!! Il a pris les quatre pages photocopiées de son roman entre ses mains, il a jeté un regard circulaire sur son auditoire, il s’est penché vers nous, courbant le dos et ouvrant grand les
yeux de son regard intimidant et il a crié fort le mot:
"AMERICA !"
Le premier mot de son roman.
La salle figée, chaque spectateur surpris, peut-être même terrorisé par la puissance et la force de ce mot, dit par ce personnage, qui à ce moment précis, était plus grand que son oeuvre.
Il a commencé sa lecture et parfois, il déclamait plus qu’il lisait; il a poursuivi sa lecture théâtrale, d’une voix puissante, gesticulant, parlant avec toute l’expression de son corps, haussant le ton et puis baissant la voix, un véritable comédien qui vit pleinement son texte.
Les personnes présentes étaient captivées, même ceux qui ne comprenaient pas l’anglais semblaient hypnotisés par le spectacle de cet auteur nous livrant sa prose, dure, noire et frappante.
Comment ne pas être fasciné par cet être mythique qui vient nous faire une lecture si prenante. Comment ne pas penser à la tribu, entourant son chaman, invoquant les démons du récit funèbre
et dur des dessous de l’histoire de la société américain
e...!, Et nous entourions ce sorcier des mots, juste pour le plaisir de se faire raconter une histoire ... Et le méchant, non, le créateur du méchant, du serial killer, du politicien véreux, du policier ripoux, du parrain de la pègre, le créateur de ces personnages fascinants, était là, devant nous, nous racontant avec verve, l’histoire qu’il nous avait écrite. À cet instant précis, il l’avait imaginée juste pour nous, uniquement pour nous.
Par la suite, monsieur Ellroy a répondu aux quelques questions que la salle lui a posées.
Je lui ai d’abord fait la remarque que je ne pourrais plus jamais lire un de ses livres sans m’imaginer le voir et l’entendre me raconter l’histoire, avec toute sa théâtrale éloquence. Et là, il
a souri !!!
Par la suite, il a évoqué sa façon d’écrire, premièrement en récitant son histoire dans une petite enregistreuse, en lisant à haute voix les dialogues, en recopiant ce texte et surtout, au
départ, en se donnant un synopsis très détaillé. Et chose surprenante, il écrit à la main ... pas d’ordinateur, pas de téléphone portable, pas d’internet ... rien que l’information dont il a
besoin pour écrire ses livres.
Une réponse étonnante quand un participant lui a demandé si il était satisfait des adaptations cinématographiques faites à partir de ses romans. Réponse claire, précise, sans équivoque: mon roman est terminé, je suis satisfait de mon travail.
Pour le cinéma, je vends mon oeuvre pour de l’argent. Le reste, je m’en fous, ce qu’ils en font, aussi !!!
Comme la salle était composée à majorité d’hommes ( peu fréquent dans ce genre de rencontres), à la question s’il écrivait une littérature d’hommes ... Il a répondu avec un sourire carnassier
!!!! Non, j’écris pour plaire aux femmes !!!
Une curiosité ! Toute proportion gardée, il vend plus de livres en traduction française qu’en version originale américaine. Et la dessus, il faut remercier François Guérif son ami et éditeur chez
Rivages pour la qualité de la traduction.
Un moment où il m’est devenu très sympathique, et où il m’a résolument conquis, à la fin de la période de questions, il a dit, avec un élan du coeur: «I want to meet you, guys !» C’était le temps de serrer la main de ce diable d’homme !!! Et de lui dire un mot ou deux.
Juste une petite déception ... la dédicace très très sommaire ! Le prénom du lecteur... et sa signature ou plutôt le gribouillis de ses initiales qui lui sert de signature !!!
En conclusion, on peut affirmer que cette rencontre aura laissé des traces, autant dans la mémoire des lecteurs présents que sur le mur de la librairie !
Je termine ce billet en remerciant chaleureusement Anne-Pascale Lizotte et la librairie Monet pour l’organisation de ces rencontres. Quelle belle façon de jouer son véritable rôle de passeur
culturel. Merci !!!