Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.
23 Janvier 2011
Je suis en peine d’amour !
En peine d’amour littéraire, évidemment.
Je viens de terminer, dans une poussée d’émotions et de tristesse, «L’homme inquiet»
de Henning Mankell, le dernier roman de la série Kurt Wallander.
Avec un serrement de coeur mais avec un plaisir littéraire évident, j’ai lu ce roman comme si je disais adieu à
un ami, à quelqu’un que j’ai appris à connaître, qui m’a fait rire et réfléchir, qui m’a parlé de lui et de ses problèmes, en toute amitié et avec tant de sincérité.
J’ai aimé ce personnage de Kurt Wallander pour plusieurs raisons. Sûrement pour son humanité, sa vision écorchée
du monde qui l’entoure, ses nombreux défauts et ses mauvaises habitudes; j’ai accompagné ce personnage dans ses amours impossibles et dans ses relations paternelles pas toujours
pertinentes.
Mais surtout, je dois remercier ce grand commissaire suédois pour m’avoir fait découvrir le monde merveilleux du
polar, du roman policier. Avant cette découverte, je lisais les "rompols" de Vargas, les thrillers de Grangé et les bonnes histoires d’Élisabeth Georges, en dilettante, au hasard de mes visites
en librairie. Mes auteurs favoris étaient d’un autre genre: Gabriel Garcia Marquez, Mario Vargas Llosa, Éric-Emmanuel Schmitt, Philip Roth, Didier Van Cauwelaert, Ken Follet, Boris Vian, Jacques
Poulin et Stéphane Bourguignon.
Mais depuis, ce diable d’homme, avec ses enquêtes tout en douceur, ses réflexions sur la vie et la Suède, ses
problèmes personnels et familiaux, ce commissaire bien particulier, né de la plume et de l’imagination d’un grand écrivain, m’a fait découvrir toute la richesse sociale et psychologique du polar
contemporain.
Et voilà, une passion qui naissait !
1er mars 2006 ! Je terminais «La muraille invisible» et je trépignais d’impatience de
me procurer les autres romans; fin août, j’avais fait le tour de la production de Mankell et je me mettais en mode d’attente de la sortie du prochain ... qui n’arrive jamais assez
rapidement.
Et depuis ce temps, d’autres personnages sont venus habiter mon imaginaire d’amateur passionné de polars
et s’installer, côte à côte, dans ma bibliothèque (maintenant très bien garnie de plus de 1 200 polars et romans policiers). Jetez un coup d’oeil circulaire sur ces romans, sagement alignés, qui
entourent mon bureau de travail et derrière qui se cachent:
- Montalbano et Pepe Carvalho devisant «crimes et cuisine» avec Maud Graham;
- Ingrid Diesel faisant un massage à Alexandre Jobin;
- Antoine Le Tellier, Georges Villeneuve et Garrance Hermosa discutant psychologie;
- Jean-Baptiste Adamsberg regardant Lisbeth qui clavarde agressivement sur son ordinateur;
- Patrick Kenzie, Harry Bosch et John Rebus qui tournent autour de Louise Morvan;
- Gabriel Lecouvreur en grande conversation avec Dortmunder et Bernie Rhodenbarr;
- Armand Gamache, Erik Winter et Erlendur qui parlent de la froideur des hivers à Constantin le Grec;
- et finalement Guido Brunetti, Al Seriani, Salvo Charitos et Ricardo Mendez parlant de l’amour de leur
ville.
Voilà tous les «amis imaginaires» que la lecture de ce premier Wallander m’a permis de rencontrer.
Certains ne reviendront plus, malheureusement, et d’autres se laissent attendre, désirer.
Bon, une bien longue introduction ... qui je l’espère me sera pardonnée par mon «gourou critique littéraire»
!
«L’homme inquiet» est un roman captivant, un film qui passe en filigrane, illustrant
les pensées de Kurt Wallander pendant cette dernière enquête. D’ailleurs, cette enquête, selon moi, est très secondaire; elle sert de prétexte, de déclencheur à une réflexion sur le sens de la
vie de ce personnage.
Wallander est seul. Il l’a toujours été. Même entouré, il s’isole, il réfléchit. Tout ce qui compte, c’est ce
crime, ce meurtre ou cet enlèvement qu’il doit résoudre. Et cette dernière enquête est une autre occasion d’exprimer cette solitude du commissaire. Il est père, il est grand-père, ex-mari et
ex-amant mais surtout, il est policier. Dans toute son humanité, il se définit plus comme policier que comme être humain.
Je ne vous raconterai pas l’histoire, l’enquête, car pour moi, elle est secondaire ... même si elle est
importante. «L’homme inquiet», c’est une très bonne histoire, prenante, qui se tisse graduellement autour de son intrigue et qui finalement vous accroche sans que l’on
s’en aperçoive. «L’homme inquiet» est aussi un formidable roman psychologique, un «road story» vers la vieillesse et le vieillissement.
Kurt Wallander a maintenant 60 ans; il sent et ressent les effets de cette jeunesse et de cette vigueur qui
s’envolent. Diabétique, en mauvaise forme, mal alimenté, il vit périodiquement des pertes de mémoire ... même des pertes occasionnelles de conscience. Apeuré par ces épisodes, angoissé par cet
avenir de plus en plus sombre, il cherche désespérément dans son enquête, la fontaine de Jouvence qui lui permettra de revivre ses succès antérieurs. Tourmenté par son rôle de père et envouté par
Klara, sa petite-fille qu’il voudrait bien voir grandir et ainsi se racheter pour ses absences comme père, il continue quand même à les laisser de côté pour résoudre l’énigme de la disparition
des beaux-parents de Linda. Il refait la même erreur mais cette fois, avec encore plus de culpabilité.
Tout au long de ce roman, Mankell insiste énormément sur l’aspect de la météo. Comme Québécois, je me suis senti
interpellé par cette facette du roman. Presque à chaque chapitre, il est question de météo, de l’arrivée tardive de l’été, de l’automne qui approche tellement vite, de la pluie torrentielle, de
l’imminence des orages qui toujours, pointent à l’horizon, qui vont bientôt éclater. En regardant la thématique du roman, je n’ai pu faire autrement que de voir un rapprochement entre l’état de
santé physique et mentale de Wallander. Le sentiment de vieillir ... l’impression de plus en plus réelle qu’il est plongé dans l’automne de sa vie, que ses pertes occasionnelles de mémoire sont
annonciatrices d’un orage particulièrement paniquant dans son cerveau; que le beau temps est juste une pause avant les pluies torrentielles de la vieillesse et de ses dérèglements. Quand il
regarde le ciel, Wallander voit la tempête qui s’annonce: plus paniquant encore, quand il se tourne vers lui-même, l’orage imminent semble encore plus dévastateur.
Kurt Wallander reverra-t-il le soleil ?
Henning Mankell a réussi son pari de faire un dernier roman à la mesure de la grandeur de son personnage.
Évidemment, on aura tendance à dire que «L’homme inquiet» est le meilleur mais je crois que cette 10e enquête de Kurt (vous me permettrez cette familiarité !) est et
sera le dessert de cette série, le glaçage sur le gâteau, la boucle qui décore un cadeau déjà bien emballé.
À tous ceux qui n’ont jamais lu une histoire de Kurt Wallander, je n’ai qu’un mot à vous dire: chanceux !! N’hésitez pas à vous lancer à la découverte de cet extraordinaire écrivain (voir aussi «Les chaussures italiennes») et de ce personnage attachant. Lisez-les en ordre
pour découvrir toute l’évolution de cet anti-héros et des gens qui l’entourent.
Pour ceux qui l’ont lu et apprécié, procurez-vous ce dernier ouvrage où vous aurez tout le plaisir et toute la
peine, également, de côtoyer une dernière fois, monsieur le commissaire Kurt Wallander. Et de plus, tout au long de votre lecture, vous retrouverez, comme dans un album de photos que l’on
feuillette, une série d’images et de souvenirs de la plupart des enquêtes de notre héros, parsemés tout au long de la narration. Et Mankell, conscient du rôle réminescent de son roman, nous
présente la galerie de personnages qui ont accompagné toute la vie romanesque de notre commissaire. Il ne faut surtout pas rater le chapitre où « ... la grande passion de sa vie ...» vient le
visiter ... avant la grande tempête. Un passage d’une tristesse insupportable !
Je n’ai pas raconté l’histoire, de peur d’en dire trop et surtout, pour insister sur le caractère humaniste de
ce roman.
Et comme à mon habitude, juste pour me faire plaisir et vous permettre de goûter un peu à l’avance, les plaisirs
de cet excellent récit, voici quelques extraits que j’ai appréciés et que je vous laisse en apéritif:
«C’était une autre forme d’oubli, qu’il ne reconnaissait pas. Comme une obscurité qu’il n’aurait eu
aucun pouvoir d’éclairer.»
« ... il prit un demi-somnifère en pensant sobrement que c’était l’une des rares manières qu’il avait
encore de faire la fête: attirer le sommeil en dévissant le couvercle blanc de sa boîte à pilules.»
Et avec un certain sens de l’humour: « Ce n’était pas une aiguille qu’il cherchait mais déjà, pour
commencer, une botte de foin.»
Et pour terminer, une phrase, image d’espoir et de sérénité: «Les enfants, c’est une chose; les
petits-enfants, c’en est une autre. Les enfants donnent le début d’un sens à nos vies, mais les petits-enfants le confirment. Avec eux vient un sentiment d’accomplissement.»
Et voilà, c’est sûrement la même chose pour les romans ...
Au plaisir de la lecture.
P. S. Ne manquez pas, mardi, l'avis de Lystig, sur ce roman de Mankell ... Une autre vision ? Un avis différent ??
L’homme inquiet
Henning Mankell
Seuil Policiers
2010
552 pages