5 Août 2012
«Une mort honorable» est le deuxième roman qui met en vedette l’excellent limier, Jérôme Marceau. Je vous rappelle que le premier avait pour titre «Cinq secondes» et qu’il avait remporté le Prix du meilleur roman policier du Québec, le Prix de Saint-Pacôme 2010.
Et le plus drôle, c’est que Jacques Savoie ne se doutait même pas qu’il avait écrit un roman policier. Bon joueur, dans la dernière page de ce nouveau roman, il remercie Chrystine Brouillet « ... qui m’a appris que j’écrivais des romans policiers.»
Et des bons, en plus !
«Une mort honorable» est un excellent roman ! Qu’il soit qualifié de policier, certainement ! Mais un policier en congé de maladie, victime d’une agression, et surtout, ralenti par le désir de sa patronne de ne pas le revoir au travail, avec un rapport très incriminant concernant les circonstances de la mort du juge Adrien Rochette. Handicapé de naissance à cause de la thalidomide et peu respecté de sa hiérarchie, Jérôme Marceau se retrouve donc avec la possibilité de penser «à des choses inutiles.»
Il lit un roman où le personnage principal décide de partir à l’aventure dans une mythique Westfalia. Cela lui donne, lui aussi, l’idée de partir à la recherche de son intérieur profond, tout en changeant de décors et de lieux. (Ceux qui l’ont lu, reconnaitrons ici «Volkswagon blues», le roman de Jacques Poulin, un de mes auteurs préférés).
Il se met alors à la recherche du véhicule qui pourrait répondre à ses besoins d’évasion. Il achète alors l’auto très, très laide (je m’excuse auprès de mes lecteurs qui seraient propriétaires de cette marque de véhicule !), une Pontiac Aztek qui a la particularité de pouvoir se transformer en tente ... Et dans cette auto, sous la roue de secours, il trouve une tache de sang qui va le propulser vers son activité de prédilection: mener une enquête.
Parallèlement à ses préparatifs de voyage, Isabelle Blanchet l’entraîne presque malgré lui dans une affaire de passeports volés. Dans des locaux souterrains qu’il connait très bien, il nous fait découvrir une bien étrange histoire. Un épisode relié au référendum sur la souveraineté du Québec de 1995 ( Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire du Québec, je me ferai un plaisir de vous faire un petit cours en accéléré ... «Pour bien comprendre le Québec» !). Et d’un pacte de silence qui n’aurait jamais encore été dévoilé.
Le mystère plane au-dessus d’un certain texte: le Protocole 1995. Ici, pas d’ésotérisme; juste une bribe de l’histoire contemporaine du Québec. Une histoire méconnue dont la révélation pourrait avoir de graves conséquences.
Et pour ajouter à ses épreuves, Jérôme Marceau apprend que sa mère, l’envahissante mais attentionnée Florence, est condamnée par un cancer virulent qui ne lui laisse que quelques mois de vie.
Voilà donc l’environnement dans lequel notre policier en congé de maladie se retrouve. Alors, au lieu de suivre l’itinéraire du personnage en Volkswagon, il partira à la recherche des indices laissés par un certain Sanjay Singh Dhankhar, ancien propriétaire de l’Aztek et responsable probable de cette tache de sang; et dont les deux filles semblent être en danger.
Il part donc, fuyant presque certains corps de police reliés à l’enquête sur le vol des passeports, tout en amenant sa mère, à qui il promet de lui montrer la mer. Commence alors une enquête "road trip" qui, sous des airs de vacances, habite et hante l’esprit de Jérôme Marceau.
Et tout cela marqué par de délicieuses scènes entre Jérôme et sa mère, des dialogues (de sourds ??) pleins de tendresse et de moments tristes. Et des moments qui font sourire.
Jacques Savoie a encore écrit un très bon roman policier ( ... et je crois qu’il le sait maintenant !) mais il a aussi écrit un magnifique roman d’amour. On se régale de ces scènes où le non-dit parle autant que les paroles, où les paroles sont parfois des silences terrifiants de sens et de tendresse.
L’auteur nous fait vivre une enquête passionnante où le lecteur sera plongé au coeur de l’histoire récente du Québec. Vous serez confrontés autant aux arcanes politiques qu’aux méandres de la pensée religieuse et au choc des cultures. Tout au long du roman, vous serez exposés aux thématiques habilement présentées par Savoie: la bataille pour la survie, les dessous peu glorieux de la politique, les crimes d’honneur et les ravages du cancer sur les malades et sur ceux qui les entourent. Et tout cela, avec une touche d’humanité et de sensibilité, comme sait si bien le faire Jacques Savoie. Vous serez happés par l’histoire, touchés par les personnages et leurs émotions.
La suite demandée dans ma chronique sur «Cinq secondes» a été livrée ... Merci Jacques Savoie ! Vos lecteurs attendront avec un plaisir anticipé la troisième aventure de ce policier attachant. Mais dites-moi, monsieur l’auteur, une question personnelle: reverrons-nous cette charmante grèffière, Sonia Ruff, autour de Jérôme ? Que voulez-vous, cher auteur, les lecteurs comme les blogueurs, sont passionnés de romans policiers haletants et bien écrits ... mais ils sont aussi bien romantiques !!!
«Une mort honorable» est un roman policier passionnant, un roman d’amour filial tendre, un roman d’espionnage révélateur, une critique sociologique sensée et une analyse de moeurs très actuelle. Chaque page vous apportera son lot d’émotions et la finale vous laissera avec son bagage d’espérance.
Et tout cela « ... parce que je n’ai pas été capable d’attraper ce ballon rouge ...»
Quelques extraits :
Et un clin d’oeil à Jacques Poulin: «Un homme partait sur les routes des États-Unis au volant d’une Volkswagon. Au lieu de découvrir des paysages insoupçonnés, des gens qu’il n’aurait jamais croisés sur sa route ou des villes sans souterrains, le héros de cette histoire faisait un voyage intérieur, une expédition dans ses souvenirs. En avançant vers nulle part il reculait dans son passé, pour mieux le comprendre mais aussi pour l’oublier.»
« Les événements s’étaient précipités depuis la veille. Il dansait les yeux bandés au bord du précipice.»
«L’aimer, c’est soigner un mal que j’ignorais avant de mettre les pieds ici. Ce voyage m’aura au moins appris cela. J’ai compris la peur de celle que j’aime parce qu’elle est devenue la mienne.»
Au plaisir de la lecture.
Une mort honorable
Jacques Savoie
Libre Expression
2012
311 pages
Pour en savoir plus sur Jacques Savoie: la page de l'auteur sur Libre Expression