27 Juin 2010
J’avais beaucoup aimé «La Trilogie berlinoise» et je
l’avais recommandé à tous mes amis lecteurs de polars. Avec «Une douce flamme», j’ai retrouvé ce même plaisir, peut-être même amplifié ! Pour deux raisons: le style de Philip Kerr que
j’apprécie et le personnage de Bernie Gunther, de plus en plus attachant. Et il faut également que j’ajoute une 3e raison: la découverte d’une partie de l’histoire du nazisme en Argentine
et de l’implication du président Juan Peron et de sa femme Eva.
«Une douce flamme», ce léger frémissement que les nazis ressentaient en présence de leur Führer, nous fait vivre un épisode important de l’histoire allemande du dernier siècle: odeurs
prégnantes de défaite, restes de rancoeur et de haine mais retour à la vie, dans un autre pays, les deux pieds en Argentine mais la tête et le coeur encore à Dachau.
L’histoire débute en 1950. Bernhard Gunther, le toujours très cynique policier, débarque du navire SS Giovanni dans sa ville d’adoption, Buenos Aires. Dès ce premier paragraphe, Bernie nous met
dans l’ambiance: une allusion aux SS sur un bateau qui se nomme SS, un commentaire sur la nourriture italienne et un «bar bien garni». Connaissant le personnage, il ne manquait qu’une femme et un
paquet de cigarettes, dans l’ordre, évidemment !
Comme beaucoup de ses anciens collègues de la SS, Bernie est accueilli très amicalement en Argentine. Un haut gradé de la police de Buenos Aires reconnaît Bernie, lui avoue une certaine
admiration et le charge d’une enquête sur un meurtre qui ressemble étrangement à une histoire non résolue à Berlin, en 1932. Et alors commence un aller-retour entre les souvenirs de cette
enquête, sous le signe de la montée du nazisme (Hitler n’est pas encore au pouvoir) et l’enquête contemporaine auprès d’anciens SS résidant maintenant en Argentine.
Graduellement, les liens se tissent, les histoires s’entrecroisent, les personnages re-visitent leurs vérités et les événements retrouvent leurs aigres saveurs d’horreur et de violence. Philip
Kerr nous concocte un mélange savamment dosé de personnages fictifs venant jouer leur partition, donnant une saveur tannique de vérité aux personnages réels et aux événements passés. On doute, on
espère que l’enquête nous démontrera que l’humain n’est pas si inhumain, qu’il ne peut pas répéter les erreurs et les horreurs du passé.
Malgré un 5e livre en moins de 2 ans, avec le même contexte et le même personnage, l’auteur réussit le tour de force de maintenir notre intérêt jusqu’au dénouement. Et en plus, à la fin de notre
lecture, on espère et on attend le prochain.
Qu’est-ce qui fait donc la force de cet auteur ?
Premièrement, le lecteur ne s’ennuie jamais. Dès le départ, les premiers chapitres campent l’intrigue, les personnages sont bien typés, les enjeux sont clairement définis. Le lecteur découvre
graduellement toutes les ficelles de l’enquête, une à une, au rythme imposé par l’auteur. Et l’intérêt ne se perd jamais.
Deuxièmement, le personnage de Bernhard Gunther. Très sympathique, plein de défauts, arrogant et suffisant, fumeur, buveur et amoureux de «la» femme, avec un sens de l’humour et de la dérision,
il dédramatise toutes les situations en exprimant ses peurs, en prenant un ton léger même dans les situations les plus dramatiques.
«C’était le genre d’endroit où même le cuir de vos chaussures se sent légèrement nerveux.»
«Certains hommes en pincent pour la guitare ou les dominos. Moi, c’est le derrière des femmes. Il ne s’agit pas d’un passe-temps à proprement parler. N’empêche, dans ce domaine, je suis
plutôt bon. Un homme doit être bon dans quelque chose.»
Un petit reproche, cependant. Dix-huit ans séparent les deux époques de cette histoire et on ne remarque aucune évolution dans ce personnage. Même sa maladie, ses cheveux de plus en plus gris et
l’âge, n’arrivent pas différencier le Bernie de 1932 de celui de 1950. Il est vrai qu’on l’aime comme il est mais une petite évolution dans le personnage ajouterait sûrement un peu plus de
profondeur et de réalisme.
Un troisième élément réussit aussi à nous séduire. Le voyage historique que l’auteur nous fait vivre, cette découverte d’une époque pas si lointaine mais marquante du XXe siècle. Autant les
événements que les personnages, tout nous fascine dans cette chronique du nazisme. Comment ne pas réagir au portrait que nous fait l’auteur, de Josef Mengele, d’Adolf Eichmann et surtout, de
l’effrayant Hans Kammler? Comment ne pas frémir à la description de leurs actes, de leurs croyances et de leurs visions d’un monde bien particulier ?
Finalement, il faut souligner la qualité du style de Philip Kerr. Une écriture vive, serrée, un style truculent qui parsème le récit de comparaisons étonnantes et réjouissantes. Et une
imagination parfois délirante ! Il le faut pour arriver à décrire une attaque contre un ancien SS... à coup de concombre; et en plus, on y croit !
Quelques citations qui illustrent bien le style de Kerr:
En parlant d’un personnage relativement gros: «Il marchait les bras derrière lui, ce qui n’était guère étonnant non plus avec tout ce qu’il y avait devant.»
Un départ théâtral: «Je me contentai de partir avec mes vêtements, mon sens de l’humour et ma culture classique.»
En forçant une serrure: «J’ai été flic, vous vous souvenez ? Nous faisons tout ce que font les criminels mais pour beaucoup moins d’argent. Ou même pour rien ...»
«J’avais déjà vu des types ayant l’air en meilleure santé dans des cercueils.»
Et tout cela, vous permettra peut-être de découvrir, au tournant d’une page, toute la violence possible d’un «dialogue socratique» !
Philip Kerr, avocat et journaliste écossais, continue son périple dans l’histoire du nazisme avec beaucoup de plaisir. Déjà, deux autres romans ont été publiés en anglais et seront sûrement
traduits et publiés aux Editions du Masque. Personnellement, je vais me lancer dans cette lecture avec autant de plaisir que pour les cinq premiers. Cependant, j’ai une petite demande
personnelle, une petite frustration de lecteur boulimique: à quand la publication d’une nouvelle édition de son roman «Une enquête philosophique», absolument introuvable, présentement ?
Pour ceux qui n’auraient pas encore lu Philip Kerr, il serait quand même intéressant de commencer par «La Trilogie berlinoise». Vous pouvez d'ailleurs lire mon billet, ici.
Pour les autres, «Une douce flamme» sera une bien bonne lecture de vacances.
Bonnes lectures !
Une douce flamme
Philip Kerr
Éditions du Masque
2010
427 pages