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15 Février 2012
Quel plaisir d’être ignorant !
Une condition essentielle à l’apprentissage.
Un moment de rencontre magique entre celui qui sait et celui qui veut savoir.
Encore mieux, si celui qui sait, ignore une chose que l’autre connaît.
Voilà cette rencontre de deuxième type à laquelle Étienne Davodeau nous convie: la rencontre entre un amoureux de la vigne et un passionné de la
bulle littéraire. "Les ignorants" nous présente cette expérience où l'art de la vigne se conjugue aux accents du 9e art.
Étienne Davodeau est un auteur de bandes dessinées et il ne connait pas grand chose au monde complexe de la vigne. Richard Leroy est un vigneron
amoureux de son terroir et il a rarement lu une bande dessinée. Les deux hommes, curieux et avides de connaissances, se donnent donc une année pour prendre contact et apprécier le domaine de
l’autre, qu’il soit vinicole ou illustré.
Le lecteur, plus ou moins connaisseur lui aussi, se verra raconter toute une année d’expériences et de plaisirs partagés par ces deux
passionnés.
Avec Richard Leroy comme guide, Davodeau participera à toutes les étapes de la production vinicole d’une année: la taille des vignes, le soin à
donner durant l’hiver, le travail du jus de raisin qui devient vin, l’entretien dans la cave, les vendanges, etc. Chaque étape fait l’objet d’un chapitre et le lecteur, en même temps que
l’auteur, apprend chacun des gestes de l’homme, qui transforment ce produit de la terre en un breuvage tant apprécié.
Pour sa part, Étienne Davodeau présente à Richard Leroy certains auteurs de bandes dessinées, avec plus ou moins de succès, selon le style et le
genre d’illustrations de l’auteur. Cette plongée dans le monde de la bande dessinée est parfois déstabilisante pour le vigneron et aussi pleine de surprises. Encore là, le lecteur participe à
cette «classe de maître». Et si comme moi, vous êtes curieux et néophyte dans le 9e art, vous pourrez suivre les enseignements de l’auteur en furetant sur les sites Internet des illustrateurs et
dessinateurs présentés.
J’ai beaucoup aimé lire et regarder ce livre, riche en enseignement et en humanité.
Le travail de création de la vigne, comme celui de la littérature, demande une grande dose d’humilité et de patience. Mais quand le créateur nous
présente son produit fini, tout prend une perspective différente, tout est permis: fierté, orgueil, plaisir de partager et même un peu d’époustouflette, souvent justifiée. Certaines scènes de
dégustation entre vignerons sont des moments émouvants de tendresse et d’amour du produit, de cette relation maternelle (oui oui, j’ai bien dit maternelle !) entre le vin et son producteur. Et
quelques pages plus loin, on ressent les mêmes sensations paternelles ( il faut bien se racheter ...) quand un auteur parle de ses albums, de son style, de ses histoires et de ses
personnages.
Et nous, comme lecteurs, nous assistons à ces réunions d’initiés en étant un peu voyeurs, un peu élèves, ne pouvant faire autrement que d’être
ébahis par le professionnalisme et la passion de ces créateurs.
Les illustrations recréent avec bonheur le climat et l’ambiance calme et sereine du long travail de la vigne. Cette atmosphère feutrée presque
enrobante, nous donne l’impression d’être sur place, de faire partie de l’histoire, d’en être un des acteurs. Même à travers les tons de gris, on ressent, on perçoit les subtilités des nuances de
rouge et on goûte, à travers nos yeux, la déclinaison des jaunes du vin blanc. L’illustration monochrome de Davodeau éveille les sens comme lors d’une dégustation à l’aveugle où, juste au regard,
on analyse les subtiles teintes de la robe du vin dans son verre.
Si j’avais un seul reproche à faire sur cet album, c’est de ne pas avoir laissé assez de place à la bande dessinée. Tout au cours de ma lecture,
j’aurais aimé en voir un peu plus, quitte à intégrer certaines planches des auteurs cités. La rencontre des vignerons autour de leur vin était des moments de grâce; j’aurais aimé vivre plus
souvent ces moments avec les illustrateurs.
Mais, en somme, je vous recommande grandement la lecture de cet album. Selon votre connaissance des sujets, vous y apprendrez plus ou moins de
nouvelles notions; mais une chose est certaine, vous pourrez vous laisser toucher par la passion de ces bâtisseurs de rêves et d’émotions.
Alors, versez-vous un bon verre de vin, installez-vous dans votre fauteuil préféré, ouvrez cet album et dégustez-en chaque page. Et surtout,
gardez-vous un peu de vin pour savourer les deux dernières pages de l’album, la dernière rencontre ... Et pour une fois, oubliez la modération !
Pour la qualité des illustrations, vous pourrez fureter sur le site de Futuropolis mais, je ne peux m’empêcher de vous citer quelques extraits qui
soulignent la valeur du texte:
En parlant de son vignoble, Leroy pense : « ... c’est une entité vivante et complexe dont il serait le compagnon attentif et l’exigeant
partenaire.»
Une réflexion du vigneron pour les buveurs: « La proximité physique et donc mentale, du vigneron avec son travail ... pense à ça quand tu
bois du vin.»
Autour d’une bonne table, où « ... se chamailler sans fin au sujet des vins bus et des livres lus ...» et surtout, principe
de base d’une bonne discussion, « C’est le genre de moment où la mauvaise foi est la bienvenue, si elle contribue à la vigueur des débats.» J’adore cette citation
!
Voici comment se définissent les créateurs de bandes dessinées: « On partage ça. Nous ne sommes pas tant des dessinateurs que des raconteurs
d’histoires. Notre dessin est une écriture. Notre but est le récit, le livre.»
Bonne lecture !
Les Ignorants
Étienne Davodeau
Futuropolis
2011
268 pages
Le site de Futuropolis où vous pourrez voir quelques
planches.