22 Juin 2011
«Pour ne pas mourir ce soir» est le premier roman de Guillaume Lapierre-Desnoyers. Et dans le respect énorme que je voue aux
auteurs, j’aborde toujours la lecture d’un premier roman avec beaucoup d’empathie mais aussi avec l’espoir de découvrir un nouvel écrivain prometteur. Je me rappelle, il y a quelques années,
avoir lu le premier tome de "Millenium", un mois avant que le «boom» commence et avoir ressenti cette étrange impression que j’avais entre les mains un roman
extraordinaire et que personne ne le savait !!! Quel plaisir !
Jamais je n’oserai dire que «Pour ne pas mourir ce soir» vivra la carrière de «Millenium»; loin
de là. Mais je peux vous affirmer que ce premier roman de Guillaume Lapierre-Desnoyers vous fera passer d’agréables moments de lectures. Et que probablement, dans quelques années, ce jeune auteur
aura à son actif, quelques très bons romans qui sauront vous apporter détente, divertissement et plaisirs de lire. Du talent, de la fougue, de l’imagination, du style et une écriture
fluide, tous les ingrédients y sont pour que ce jeune auteur (on connaît peu de choses sur lui ...) réussisse à percer, ici et je l’espère, ailleurs !
Des personnages sympathiques que l’on apprend graduellement à connaître et à apprécier; un climat et un suspense bien montés et bien structurés; une
écriture nerveuse et contemporaine, avec juste assez d’humour pour nous surprendre de temps en temps et une originalité dans certains choix qui nous annonce une propension à sortir des sentiers
battus, à confondre le lecteur ... pour son plus grand plaisir.
Une des forces de cet auteur réside dans sa capacité à alterner entre les réflexions intérieures de ses personnages et des dialogues savoureux,
souvent incisifs mais parfois très drôles. Personnellement, j’aime mordre dans ces passages où l’auteur nous transporte de l’un à l’autre et nous fait découvrir les méandres de la pensée des
personnages qui se déguise en paroles ... mais pas toujours en cohérence !
Bien sûr, rien n’est parfait ! En ce qui me concerne, j’ai trouvé quelques longueurs dans les premiers chapitres et l’entrée dans le développement
de l’intrigue un peu lente. Je me suis rendu compte, à la fin de ma lecture, que ces «moments de lenteur» venaient accentuer et mettre en valeur le rythme étourdissant du reste du récit. Il
demeure qu’il existe un danger pour que certains lecteurs délaissent le roman par lassitude ... et passe à côté d’un très bon premier cru !
Cependant, ce que nous avons perdu en intérêt au début du roman, nous y avons beaucoup gagné en connaissance de la psychologie des personnages. Et
là-dessus, j’avoue que j’ai bien apprécié. Des personnages assez originaux, photographes-journalistes de nuit dans un journal quotidien, des spécialistes des photos d’accidents et d’autos
tamponnées, de chicanes de ménage, de sorties de bars houleuses et aussi, de meurtres crapuleux. Et voilà, où commence l’histoire ...
Carl White est photo-journaliste au journal Le Jour. Désabusé, sans motivation, il passe ses nuits à attendre l’appel de la «charmante» répartitrice
qui l’envoie sur les lieux de différents événements. Chaque nuit est un peu plus difficile, chaque nuit l’éloigne de l’artiste de talent qu’il a déjà été. Et dans ce monde des médias, la
compétition est féroce, entre les photographes et même à l’intérieur du journal, pour que sa photo soit le plus près possible de la première page, du «front page» qui assure la
notoriété.
Tania Ficanemo est la nouvelle recrue du journal l’Express: belle, intelligente, professionnelle. Vive et ... désirable, elle vient mettre en doute
les certitudes de Carl. Et surtout, comment faire pour ne pas se laisser dépasser par cette compétitrice ... qui l’attire tant?
Une nuit de canicule, sur le lieu d’un accident, Carl prend la photo d’un corps qui se révélera être celui du ministre de la Justice. Est-ce un
véritable accident ? Qu’est-ce qui se cache derrière cet incident qui semble banal, trop banal ? Cette mort est un simple fait divers ou un geste politique ... ou criminel ? La photo fait
sensation mais Carl ne s’en émeut pas, trop occupé à combattre ses démons intérieurs et à lutter pour ne pas succomber aux charmes de Tania.
Puis les morts s’accumulent ! Entrainés dans un tourbillon angoissant, les deux journalistes amorcent une enquête qui fera d’eux, des proies,
poursuivies et par la police et par les membres d’un gang de criminels. Surveillances, enquêtes, poursuites, meurtres, guet-apens. Tania et Carl s’enfoncent de plus en plus vers un dénouement
imprévisible. Toutes les ficelles d’une intrigue haletante sont tissées pour créer un suspense qui tiendra le lecteur sur le bout de sa chaise ... jusqu’au dénouement ... et encore ! Le lecteur a
même droit à des cavales en bicyclettes ...
Et parmi toute cette action, l’auteur parsème son récit de moments complètement fous, des moments de surprise qui m’ont fait sourire et même une
fois, éclater de rire (Il faut lire la scène dans les toilettes d’un club privé où l’alcool coule à flots, à 7 heures 30 du matin) !
Oui j’ai beaucoup aimé ce premier roman. Malgré quelques petits défauts (normaux pour un premier roman), il est facile de voir que Guillaume
Lapierre-Desnoyers deviendra un auteur majeur dans le monde du polar québécois. «Pour ne pas mourir ce soir» vous fera passer un très bon moment de lecture et vous aurez la chance de découvrir un
auteur qui possède un très bon potentiel. En espérant qu’il se développe bien !
Voici quelques extraits qui m’ont charmé:
«C’est quand les rues sont vides que la ville est la plus bavarde, c’est dans le noir qu’on remarque l’essentiel.»
« - As-tu déjà pensé être humoriste ? Parce que t’es vraiment drôle.
- Toi, as-tu déjà pensé te suicider ? On vivrait dans un monde meilleur.»
«Une main sur l’épaule, elle lâche un autre commandement «relaxe» puis enfin, assène un ultime coup de hache dans la volonté retrouvée: un
sourire franc, sans arrière-pensée. Si elle était bergère, les moutons iraient à l’abattoir avec du coeur au ventre.»
«Ça ne peut être qu’un flic, qui d’autre achète une Crown Victoria et y prend son déjeuner ?»
«Tania y va même d’un «Je ferais pas de mal à une mouche.» La prochaine fois qu’elle prendra feu, faudra se rappeler ces paroles et se
métamorphoser en insecte.»
Message particulier, un petit mot, en passant:
Un élément important, une force de ce roman est le personnage de Tania Ficanemo. En toute complémentarité avec Carl, je crois qu’elle transcende le
roman. Des moments de tendresse émouvants et une touche de violence «presque toujours» contenue, font de ce personnage un élément clé de ce récit. Je ne sais pas si l’auteur lira cette chronique,
mais parole de blogueur et de lecteur boulimique, je voudrais bien retrouver Tania dans un autre roman (au moins ...) ! Au Panthéon des personnages féminins puissants, il me semble qu’elle
pourrait se faire une place entre Lisbeth et Mallory (Merci à Chantal et à André !!).
Bonne lecture et bonne découverte!
Pour ne pas mourir ce soir
Guillaume Lapierre-Desnoyers
Lévesque éditeur
2011
226 pages