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29 Mai 2010
Ce livre avait tout pour attirer mon regard: un auteur
parfaitement inconnu, un titre qui intriguait et une couverture pleine de mystères. La 4e de couverture annonçait que ce livre était le premier d’une série mettant en scène le commissaire Gereon
Rath (J’adore les personnages récurrents que l’on découvre au fil de nos lectures) qui évoluera dans l’époque assez mystérieuse de l’entre-deux guerres, à Berlin. Et voilà, tout pour susciter ma
curiosité, tout pour anticiper un véritable petit plaisir de lecture.
Et je n’ai pas été déçu. Ou presque !
On connaît peu de choses de l’auteur. Ce qui est intéressant, cependant, c’est que Kutscher est historien et qu’il a été journaliste pendant un certain temps; habituellement, la recette avec des
ingrédients tels que le journalisme et l’histoire, ça peut donner quelque chose d’assez distrayant. Mais disons-le tout de suite, «Le poisson mouillé» n’est pas un «page turner»
de type américain où chaque chapitre nous force à lire le prochain ... Non, ce roman est construit comme un excellent roman policier où graduellement, l’intrigue se construit; les indices
sont parcimonieusement semés, tout en douceur, par l’auteur et le foisonnement de détails, de personnages, de rues et d’événements, nous demande comme lecteur, une concentration soutenue.
L’esprit du lecteur ne peut vagabonder pendant la lecture parce que bien vite, c’est la confusion qui s’installe.
L’histoire est assez complexe et difficile à résumer. Mentionnons plutôt quelques éléments qui vous aideront à comprendre quelle est l’intrigue de ce roman.
Premièrement, Berlin est un des personnages principaux de cette histoire. Ses rues glauques, ses bars mal famés, la drogue, la prostitution, les pots de vin et le trafic d’influence. Voilà, dans
ce livre, vous ne visiterez pas souvent les beaux quartiers de Berlin !
Deuxièmement, vous vous retrouvez dans ce climat politique singulier de l’entre-deux guerres, en Allemagne. Devant vous, se dessine un portrait complexe mais fascinant du paysage socio-politique
de cette époque. La social-démocratie, le communisme, la montée du nazisme d’un coté; et de l’autre, le gangstérisme, les trafics d’influence, les policiers pourris et la difficile cohabitation
entre les différents corps policiers. Et en plus, vous y rencontrerez une galerie de personnages qui illustrent très bien l’atmosphère de cette époque: policiers plus ou moins honnêtes,
politiciens véreux, tenanciers de bar profiteurs, prostituées et pourquoi pas, une comtesse russe, un émule du Docteur Mabuse et un certain Adolf. Et un trésor caché ! Avouez que le défi
est grand pour un premier roman d’assurer l’équilibre dans tout cela et d’éviter le désordre qui pourrait devenir assez dérangeant.
Troisièmement, dès les premières pages du roman, un mort. Et en ce qui me concerne, le premier chapitre de ce roman est une pièce d’anthologie. Si l’auteur avait maintenu ce rythme, ce souffle,
cette atmosphère pesante et tellement noire, aucun lecteur n’aurait pu se rendre au bout de ces 566 pages. Oui, le premier chapitre est à lire et à relire.
Quatrièmement, vous y apprendrez ce qu’est «un poisson mouillé». Ah, vous voulez le savoir tout de suite ! Alors, vos désirs, chers amis lecteurs sont des ordres. Et comme la 4e couverture le
dévoile, je ne me sens aucune culpabilité de vous révéler qu’un poisson mouillé, c’est une enquête non résolue, une affaire non élucidée que l’on met de coté, parfois pour des raisons obscures et
pas nécessairement honnêtes et légales.
Et enfin, probablement, une des grandes forces de ce roman, un commissaire, Gereon Rath, typique des commissaires créés par les auteurs contemporains, avec un passé trouble, un charme certain, un
goût pour la divine bouteille et un certain succès auprès des femmes. Ce personnage attirera votre attention car il me semble plein de promesses. Il vient d’être muté à Berlin suite à un incident
qui s’est passé à Cologne; un événement assez grave pour qu’il soit réaffecté ailleurs. Il semble avoir la gâchette facile et la morale élastique; jusqu’où l’auteur l’amènera-t-il, quels actes
illégaux ou immoraux le commissaire Rath fera-t-il dans les prochains écrits de Kutscher. Ou deviendra-t-il le parfait policier irréprochable et vertueux ?
Un élément important et sûrement une influence marquante dans le développement de ce personnage: son père a une influence politique très grande dont il veut se détacher, même si parfois, il
n’hésite pas à en profiter. Cette relation sera sûrement un élément essentiel de développement dans les prochaines enquêtes du commissaire Rath.
Et finalement, une question un peu plus fleur bleue: est-ce que l’amour entre le commissaire et la belle sténo-dactylo (non non, oubliez l’ordinateur, nous sommes en 1929 !) Charlotte Ritter fera
partie des prochains romans ?
Comme vous pouvez vous en rendre compte, j’ai beaucoup de questions suite à la lecture de ce premier roman. et c’est bon signe !
Au fil de ma lecture, je me demandais si j’aimais ce livre, je ne sentais pas cet élan qui pousse le lecteur à lire un chapitre de plus, le genre d’élan qui t’amène à la dernière page ... juste
au moment où le soleil se lève !!! Mais après, j’ai compris que ce livre n’est pas un thriller et qu’il doit être lu comme un polar à caractère socio-politique, en comprenant les conditions de
l’époque, en plaçant les personnages dans cet environnement et en suivant l’enquête, tout en se rappelant que nous sommes dans une période fragile et friable de l’histoire de l’Allemagne. «Le
poisson mouillé» est un roman d’atmosphère.
Rappelons-nous que l’auteur est un historien et que, au fil de notre lecture, nous serons immergés dans cette période d’ébullition politique de la montée du nazisme en Allemagne. Et alors, tout
prend un sens, tout s’explique et surtout, on comprend la portée politique et sociale des gestes posés par les bons ... et les méchants.
En d’autres termes, je vous recommande grandement ce roman mais je vous conseille, avant la lecture, un petit survol historique du paysage politique de l’Allemagne des années 1920-1930. Ainsi,
vous pourrez plus facilement apprécier les grandes qualités de ce premier roman. Et surtout, comme moi, vous serez impatients de lire les prochaines histoires de ce commissaire qui je le pense,
continuera à nous surprendre.
Voici quelques phrases qui valent une 2e lecture pour leur sensibilité ou pour le contexte:
La pensée d’un homme qui subit la torture: «Le premier coup était toujours le pire. Ceux qui suivaient ne faisaient que répartir la douleur».
Une description politique: « À ses yeux, les communistes étaient le produit du sous-prolétariat qui habitait dans les grandes villes. Ceux qui naissent dans ce milieu-là avaient le choix
entre devenir criminels ou bien communistes. Ou bien les deux. Criminel, communiste: pour beaucoup de policiers, cela revenait au même.»
Une pensée de l’entre-deux guerres: «Il y a trop de gens dans ce pays qui croient que les armes à feu sont la meilleure solution pour régler leur problème.»
Un dialogue percutant:
«- Berlin accueille pourtant tout le monde à bras ouverts !
Oui, avec les poings prêts à frapper.»
Et une dernière: «À la façon dont il leva les yeux au ciel, on aurait pu croire qu,ayx yeux de Werner Lanke ces personnes «très haut placées» ne pouvaient être que Dieu en personne.»
Aux plaisirs de la lecture.
Le poisson mouillé
Volker Kutscher
Seuil Policiers
2010
566 pages