Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.
21 Août 2010
Quand on aborde un livre culte, un
livre qui a été un grand succès et qui est ré-édité ou traduit pour la première fois, on risque souvent d’être déçu. Quelquefois le livre a mal vieilli, parfois c’est l’histoire qui n’est plus de
son temps et souvent même, c’est le climat ou l’environnement qui n’est plus le même et qui nous empêche d’apprécier le livre comme il l’a été à sa première parution.
Qu’en est-il après ma lecture de «Le gang de la clef à molette» ?
Au début, j’ai été emballé, transporté par l’histoire, les événements et la plume acérée de l’auteur. Au milieu, je me suis un peu lassé de ce festival de démolition de monstres
Caterpillar; et à la fin, lors des derniers chapitres, je me suis ré-accroché à ce roman bien particulier.
Je ne m’étirerai pas sur l’histoire ainsi que sur l’auteur décédé depuis plus de 20 ans et dont les restes sont ensevelis dans un désert de l’Ouest américain. Edward Abbey est reconnu comme un
des fondateurs de la conscience écologique aux États-Unis. et laissez-moi vous dire que dans son roman, ça paraît !
Juste une petite phrase pour bien comprendre quel personnage était cet écrivain garde forestier et le ton de son récit. Il a dit un jour: «Si il y a quelqu’un toujours ici présent et que
je n’aie pas encore insulté, je lui présente mes excuses.»
Alors, qui est cette « ... gang de la clef à molette» ?
Ils sont quatre comme «Les trois mousquetaires»: trois hommes et une femme. Une des premières particularités du roman, c’est que dès le début, chaque personnage est présenté dans le cadre d’un
chapitre qui lui est consacré:
Leur ennemi commun: tout ce qui dérange, dépare ou défait la nature de leur bien aimé Utah. Leur combat: en faire baver à tout ceux pour qui la nature est une usine à fabriquer de l’argent ... de
l’asphalte et des ponts. Tous les moyens sont bons dans ce roman de cape et d’épée à la sauce 1970; on dirait plutôt, un roman d’essence et de dynamite !
Ces quatre chevaliers, amants de la Nature, partent donc à la rencontre des projets de construction qui défigurent l’écologie de leur coin de pays. À grands coups d’explosions spectaculaires, de
chutes vertigineuses dans les canyons, ils vengent par leurs actes de démolition, une nature qui ne peut se défendre toute seule. Très sensible aux beautés de cette nature sauvage (peut-être un
peu moins sur les canettes de bière qui jonchent leur passage...), ils professent une leçon violente de civisme écologique et de sensibilité environnementale.
«Nul ne peut dire avec précision si un pin est sensible ou non, ni jusqu’à quel degré un organisme de ce genre peut souffrir ou avoir peur. De toute façon, les constructeurs de route ont
d’autres chats à fouetter, mais il est clairement et scientifiquement prouvé qu’un arbre vivant, déraciné, met plusieurs jours à mourir.»
Percutant, n’est-ce pas ?
On suit avec beaucoup d’intérêt les aventures de ces quatre personnages attachants et les frictions d’idées sur les gestes à poser pour atteindre leurs objectifs. Malgré une certaine lassitude,
en milieu de roman, en raison des descriptions détaillées des actes de «terrorisme écologique», l’intérêt nous revient dans les derniers chapitres et nous transporte vivement vers la conclusion.
J’ai adoré ce climat de poursuite avec ce personnage extraordinaire d’évêque ambitieux, riche à craquer et obnubilé par ses ambitions politiques.
Edward Abbey possède une écriture fluide et «explosive»; ses dialogues sont savoureux, souvent drôles et toujours pertinents.
«- Qu’est-ce qui est plus américain que la violence? s’écria Hayduke. La violence est aussi américaine que la pizza.
Que le chop suey, dit Bonnie.
Le chili con carne.
Les bagels et le saumon fumé.»
Il arrive même à décrire poétiquement certains passages de démolition extrême. «... s’enveloppaient dans les flammes avec la volupté folle des amants qui s’accouplent. Incendie
rédempteur, brasier purificateur devant lequel les pyromanes maniaques du plutonium au coeur ininflammable ne peuvent que s’agenouiller et prier.»
Ses meilleurs moments d’écriture se retrouvent quand il décrit cette nature particulière des déserts et des canyons que ses personnages veulent défendre. On y sent tout l’amour de l’auteur pour
son coin de pays.
Voici quelques extraits bien révélateurs :
«Bien au-delà de ces galaxies galopantes, ou peut-être tout près, trop présent pour être vu, se tenait Dieu. Le vertébré gazeux.»
«Les ennuis comme les roses, vous arrivent toujours en gerbes.»
"Une aube obscure et ambivalente. Le ciel, une masse compacte de nuages agressifs, prêts à enfanter un orage.»
Malgré mes quelques réserves sur la longueur de certaines descriptions, je recommande ce livre pour trois raisons:
premièrement pour une raison historique. Ce livre marque le début d’une littérature et d’un mouvement écologique qui persistent encore ;
deuxièmement, parce qu’il procure quand même un très bon plaisir de lecture ;
enfin, pour découvrir un auteur qui ne nous était pas accessible auparavant et qui vaut amplement le détour.
En complément et pour le plaisir de vos yeux de lecteur, un site pour voir en images ce que Edward Abbey a si bien décrit.
http://www.americansouthwest.net/utah/index.shtml
Le gang de la clé à molette
Abbey, Edward
Éditions Gallmeister
2005
486 pages