9 Décembre 2011
Quel album !
On ne se lasse plus de le regarder, de l’admirer.
Et l’histoire ... Mais quelle histoire ! Et quelles histoires ?
À chaque lecture et relecture, je me suis raconté une histoire différente.
Et j’y revenais, pour relire une phrase, redécouvrir une illustration, me laisser bercer par une suite de tableaux, jouir de certains détails, revivre une émotion.
Et encore !
Un album magique ...!
Une lecture résistante, dans le sens où le lecteur participe autant à l’histoire que les auteurs et qu’il doit s’investir, s’impliquer, prendre part, se mouiller ...
Une oeuvre d'arts originale où chaque page peut être différente: parfois roman, souvent bandes dessinées, parsemée d'illustrations sans texte ou de textes sans illustration et de suites d'illustrations dramatiques. Chacune des pages, avec ses caractéristiques, transporte une gamme d'émotions où tous les sentiments du lecteur sont convoqués.
Une lecture pour tous, amateurs de noir ou non, férus de bandes dessinées ou non, jeunes adultes, adolescents ou personnes matures, amants de littérature générale ou de genres ...
Bref un album à posséder, à laisser traîner, à donner en cadeau, à se donner en cadeau.
OUF !!
Que me reste-t-il à dire après cette poussée d’émotions ?
Que pourrais-je vous dire de plus pour vous convaincre de mettre la main et l’oeil sur cet objet d’art et de poésie ?
Le titre, peut-être ... !
«Au pays de la mémoire blanche» est le fruit d’un travail de trois ans et demi, entre un des meilleurs illustrateurs du Québec et son ami écrivain français.
Je ne connais pas Carl Norac; cependant, j’ai découvert dans cet album, un écrivain avec une phrase puissante, avec un pouvoir certain de réaliser une écriture «coup de poing», qui frappe le lecteur au coeur de ses émotions. Un détour sur le site personnel de l’auteur, me permet de découvrir un poète prolifique et un auteur jeunesse sensible aux émotions de l’enfance.
On reste souvent sidéré devant des phrases comme:
« Parfois, j’essaie de parler, mais c’est encore du blanc qui sort de ma bouche.
Je ne dirais pas que je me sens mal: je suis absent.
On pourrait me changer de monde sans que je bronche.»
Et notre regard glisse, lentement, avec une certaine angoisse, vers l’image, où le personnage est assis sur une chaise invisible, dans une chambre impersonnelle, éclairée d’une lumière blafarde perçant une fenêtre sans apparat. Le drame est complet, les émotions transpercent l’image et le texte.
L’image !
L’imaginaire de Stéphane Poulin.
Il y a longtemps que je connais la production de cet illustrateur étonnant.
Comment oublier le magnifique «Vieux Thomas et la petite fée», le superbe «L’oiseau des sables» et le très attachant «Petit zizi» ?
Je connaissais très bien l’illustrateur mais grâce à la librairie Monet, j’ai eu la chance de rencontrer un homme généreux, sensible et surtout, un poète de l’acrylique ...
Bon ! Si je vous racontais un peu l’histoire ...
Le récit commence dans une chambre où le blanc domine ... Le lecteur habite la tête du personnage; nous sommes ses yeux. Graduellement, le flou se disperse ...
On tourne la page et ... une phrase, non, quelques mots ... et une image:
«Un trou sans étoiles.»
Un personnage est couché sur un lit d’hôpital. Il regarde sa main.
Il ne sait plus qui il est. On lui dit qu’il est un chien.
On lui parle d’un accident, d’un bus piégé, d’une grosse dame qui en perdant sa vie, l’a protégé, l’a sauvé d’une mort certaine.
Un flic lui dit qu’il s’appelle Rousseau et qu’on le soupçonne de faire partie du groupe de terroristes chats qui aurait fait sauter l’autobus.
Finalement, on le laisse sortir, on lui remet un peu d’argent et il se dirige vers ce possible «chez lui». Il découvre alors une ville étrange où les policiers sont chiens et les prisonniers sont chats, où les murs ont plus que des oreilles et où tout le monde s’épie. Une certaine violence se ressent, une tension qui l’accable. Cette ville étrange ajoute à l’anxiété de ne pas savoir qui il est.
Rentré chez lui, il découvre un appartement où il ne se reconnait pas ... avec une drôle de nourriture. Commence alors, une longue quête pour retrouver son identité, apprendre qui il est, s’approprier les souvenirs d’un autre lui et peut-être mieux comprendre le monde où il vient de retourner.
Son parcours sera insolite et parfois angoissant: regarder la ville vivre son désordre, lancer un ballon de l’autre côté d’un mur qui semble instable, fluide et menaçant, tenter de se retrouver dans des photographies scolaires et recevoir une mission occulte de l’aura d’une licorne.
Quelles histoires extraordinaires peut-on se raconter à la lecture de ce texte profond ! Quels voyages fascinants, le lecteur peut se permettre, en se laissant aller dans les rêveries de l’imaginaire de Stéphane Poulin.
Voici donc un grand coup de coeur !
«Au pays de la mémoire blanche» est un album événement.
Un album qui plaira à tous les lecteurs.
Un album qui fera réfléchir autant qu’il saura vous émouvoir.
Et en plus, excellente nouvelle: comme cet album a été édité en France, il est facilement disponible des deux côtés de l’Atlantique!
Au plaisir de la lecture, pour l’âme, les yeux et le coeur !
Et en prime, grâce à la générosité de Stéphane Poulin qui m'a gentiment envoyé six pages de son album, je vous en présente deux, pour le plaisir de lire ces magnifiques illustrations. Merci Stéphane !
Et pour me faire plaisir, une de mes préférées:
Au pays de la mémoire blanche
Texte: Carl Norac
Illustrations: Stéphane Poulin
Éditions Sabarcane
124 pages
2011