"Sur un lit de fleurs blanches" de Patricia Parry
J’ai pris deux semaines à lire «Sur un lit de fleurs blanches». Non pas parce que je n’ai pas embarqué dans l’histoire. Non ! Cela m’a pris deux semaines pour lire ce roman parce que j’ai voulu le déguster, le dévorer à petites bouchées. Prendre le temps de savourer l’écriture et le style. Et surtout, profiter de chaque page pour en déceler toutes les subtilités, m’abandonner à ses multiples saveurs et retarder le plus possible l’apparition de la dernière page.
Patricia Parry publie son quatrième roman, quatre ans après la parution de «Cinq leçons sur le crime et l’hystérie». Après un premier roman à saveur historique, Patricia a publié deux polars où son héros principal, Antoine Le Tellier, un psychiatre, était appelé à faire certaines enquêtes où ses talents d’enquêteur et ses compétences en psychiatrie étaient mis à contribution.
L’auteure connait très bien ce milieu, car elle-même a fait des études en médecine et elle exerce sa profession de psychiatre dans un hôpital de Toulouse. Gagnante de plusieurs prix, Patricia Parry a l’imagination tellement fertile, qu’elle arrive à nous surprendre à chaque roman. Avec «Sur un lit de fleurs blanches», elle a même pris le pari (sans mauvais jeu de mots ...) d’écrire un roman sous forme de feuilleton et de nous lancer dans une aventure crimino-médicale, dans le Paris (non non, pas de jeux de mots, encore ...) de l’année 1885.
La très belle Clara Saint-James vit un deuil douloureux. Son protecteur vient de mourir et il lui laisse en héritage de quoi vivre confortablement jusqu’à la fin de ses jours. En plus, il lui a confié une étrange mission: remettre une fort jolie somme à Victor Dupuy, un jeune médecin métis.
Le courant passe entre les deux. Mais une série de meurtres impliquant de jeunes garçons d’une douzaine d’années, tous retrouvés sur des tombes de cimetières parisiens, couchés presque tendrement «Sur un lit de fleurs blanches», va les rapprocher encore plus. Clara fait appel au jeune médecin quand on retrouve son jeune groom, mort, exsanguiné, au Cimetière de Montmartre.
Commence alors une enquête fascinante dans le milieu de la recherche médicale, avec quelques incursions dans le monde des feuilletonistes. Avec comme toile de fond l’atmosphère du Paris de la fin du XIXe siècle, le lecteur sera projeté au coeur même des débuts de la recherche sur «l’appariement» des transfusions sanguines, dans des cérémonies secrètes bien particulières et marqué par le racisme provoqué par l’ignorance.
«De brillants jeunes gens à qui, parce qu’ils sont noirs, l’on proposera de devenir tambours alors qu’on aurait pu en faire des généraux.»
Patricia Parry nous raconte ces enquêtes avec une maitrise de l’intrigue qui nous ne laisse jamais dans l’expectative. Le récit se développe graduellement, l’atmosphère est bien campée, les personnages sont crédibles et, de chapitre en chapitre, nous sommes happés, tout en douceur et en nuances, dans ces enquêtes croisées:
- Pourquoi le comte de La Paillerie a-t-il consacré une partie de son héritage au docteur Victor Dupuy ?
- Qui se cache derrière le meurtre de ces jeunes garçons ? Et pourquoi cette étrange mise en scène?
- Est-ce le hasard si un certain feuilleton («La Ligue des notaires») d’un grand journal de Paris ressemble étrangement à la réalité de cette série de meurtres?
- Qui organise ces cérémonies secrètes où certains jeunes garçons vendent, à peu de frais, une partie de leur sang?
- Quels sont les liens entre les recherches du Chevaignac, son assistant François Coulonges et leur infirmière, soeur Marie-Thomas ?
Quel roman différent !
Quel plaisir de lecture !
Plongé dans un roman écrit à la manière des feuilletonistes du XIXe siècle, le lecteur savourera ces incursions dans les maisons cossues de la bourgeoisie parisiennes, dans les lupanars réservés aux monsieur de la haute, dans les cafés où trainent les apprentis écrivains, dans une colonie pénitentiaire agricole ou encore dans les officines des chercheurs qui, par essais et erreurs, souvent mortelles, bâtissent les sciences médico-légales contemporaines.
L’alternance entre un narrateur omniscient et la vision du docteur Victor Dupuy permet à l’auteure de nous donner deux perspectives différentes des événements qui parsèment le récit. En plus, tout cela est enrichi par des articles de journaux et des extraits du feuilleton litigieux. La structure du roman, les différents points de vue et le changement fréquent de narrateur assurent un dynamisme dans l’écriture et facilite, et la lecture, et la compréhension de l’intrigue.
La finale est surprenante, à multiples rebondissements et en ce qui me concerne, je n’avais rien vu venir.
Tout le talent et l’imagination de l’auteure nous transportent dans un monde inconnu, un peu inquiétant, dans les allées belles et lugubres des cimetières parisiens, là où semblent dormir paisiblement ces enfants marqués par la cupidité de certains.
«Sur un lit de fleurs blanches» est loin d’être un thriller qui vous transportera en une nuit vers une finale spectaculaire ... Malgré que ...! Je vous le recommande grandement pour savourer un plaisir particulier de lecture où vous vous laisserez porter autant par l’histoire que par l’écriture toute en nuances de Patricia Parry. Ce roman se lit en douceur. Ce roman, on doit le déguster en connaisseur. Vous aurez alors, un véritable plaisir de lecture.
Voici d’ailleurs quelques extraits que vous pourrez apprécier.
«Cette fille avait un charme. Un regard d’elle, et vous étiez seul au monde ... Tout était dit. N’importe quel épicier un peu mûr se serait laissé prendre. N’importe quel jeune imbécile. Ne parlons pas de moi.»
«Dans les salles communes, l’asepsie prônée par Pasteur demeurait lettre morte. Les soeurs priaient, je me dois de le reconnaître, mais j’eusse préféré qu’elles se lavent les mains entre deux malades.»
« Les sièges inconfortables servaient de toute évidence à entretenir l’atmosphère chaleureuse des lieux. On était prié de ne pas s’éterniser.»
« Du parfum d’une fleur peut jaillir tout un univers. Pensées enfouies, sentiments refoulés, humiliations oubliées. Les terreurs refluent tout à coup, et se brisent alors les dérisoires barrages qu’on a mis en place pour les retenir.»
Bonne lecture !
Sur un lit de fleurs blanches
Patricia Parry
Éditions du Masque
2012
570 pages
P. S. Le roman est paru en juillet en France. Au Québec, il sera disponible la semaine prochaine.
Le site de l'auteure: Patricia Parry
Un article intéressant pour mieux connaitre Patricia: sur le site Toulouse Polars du Sud
Pour se rappeler: