21 Juin 2012
"Certaines journées ne laissent pas de traces.
Elles passent comme si elles n'avaient jamais existé, oubliées aussitôt dans la brume de ma routine."
Journal de Mila Strachan
27 septembre 2009
"Le pisteur doit s'imaginer à la place de l'animal qu'il traque afin de déterminer le chemin que celui-ci a suivi; il pourra ainsi décider à l'avance où il risque de trouver des signes, et éviter ainsi de perdre du temps en le recherchant."
"Principes de la traque"
Pour pasticher la première citation de cet immense roman de 722 pages, je serais tenté de dire que certaines lectures ne laissent pas de trace tandis que d’autres marquent le lecteur qui s’aventure dans ses méandres. «À la trace» ne laissera personne seul dans la brousse africaine. Deon Meyer, le romancier pisteur, aura superbement laissé une série de petits cailloux pour que son Petit Poucet de lecteur, retrouve son chemin dans ce roman atypique.
Deon Meyer ne fait pas dans la dentelle avec ce roman, noir à souhait. Le lecteur traverse son Afrique du Sud sur la corde raide de tous les genres: roman d’espionnage, roman policier, roman psychologique, roman de poursuite, thriller animalier et tout cela avec un égal talent .... Qui touche parfois à la perfection. Cet auteur vous tiendra en haleine au cours des 722 pages de ce roman, en vous racontant trois histoires qui ont très peu de choses en commun. Il vous amènera vers une finale, toute en nuances, en laissant le lecteur tirer ses propres conclusions.
D’un auteur reconnu comme Deon Meyer, on trouve cette finale géniale. Mais une question me laisse songeur. Comment aurais-je accepté cette finale d’un auteur qui aurait signé son premier roman ? Amis lecteurs et amies lectrices, vous avez une réponse à cette question ?
Avec «À la trace», Deon Meyer nous raconte trois histoires et fait intervenir deux de ses personnages récurrents, un petit plaisir en ce qui me concerne. Pour notre plaisir, comme si on retrouvait de vieux amis, nous retrouvons Lemmer et Mat Joubert dans la même histoire ... ou plutôt, dans le même livre. Ne boudons pas ce plaisir offert par le meilleur r.présentant de la littérature policière de l’Afrique du Sud.
La première histoire met en scène Milla Strachan. Fraîchement divorcée, elle ré-apprend à vivre pour elle, sans penser à son mari ni à son fils qui la méprisent. Elle veut refaire sa vie, travailler comme journaliste, elle qui a étudié en communications mais n’a jamais oeuvré dans le domaine. Et elle veut danser ! Apprendre à danser. Par un concours de circonstances, elle obtient finalement un emploi à l’Agence présidentielle de renseignement où elle monte des dossiers de recherche, traite de l’information confidentielle alimentant les décisions prises par les patrons de cette Agence hautement secrète.
Du jour au lendemain, Milla passe d’une vie de «femme à la maison» à la recherche sur des individus louches, des terroristes islamistes et des structures hautement criminalisées. Et pour compléter le tableau, après une rencontre singulière à ses cours de danse, sa vie prendra un virage assez étonnant et elle se retrouvera au centre d’une poursuite où elle sera suivie à la trace.
La deuxième histoire, les habitués des romans de Meyer, retrouveront Lemmer, héros rencontré dans «Lemmer l’invisible». Policier à la retraite, vivant avec sa nouvelle flamme, Emma, il vit un monde «presque parfait». Mais comme toujours, « Ce n’est pas moi qui cherche les ennuis, ce sont les ennuis qui me cherchent.» Et ces ennuis, et bien, ils prennent l’allure de deux rhinocéros devant être transportés du Zimbabwe vers une réserve naturelle, transport financé par un mécène de l’Afrique du Sud. Travail facile en apparence mais qui, pour Lemmer, se complexifie au fur et à mesure du périple. Comme tous les personnages de ce roman, c’est à la trace que l’on suit ce petit convoi formé des deux mastodontes, du chauffeur et de la belle Flea, vétérinaire astucieuse,qui prend un soin jaloux de ses bêtes.
Que cache ce convoi qui mérite tant d’attention d’un gang criminalisé ? La valeur des cornes sur le marché noir justifie-t-elle cette poursuite et ces morts qui vont joncher la route de ce camion ?
Finalement une troisième histoire nous permet de retrouver Mat Joubert, lui aussi sorti de la police et nouvellement employé d’une agence de détectives privés. On lui confie une affaire qui semble fort simple.
Un homme est disparu depuis quelques semaines. Est-ce un meurtre, un enlèvement, une fuite ? Toutes les hypothèses sont étudiées par la police; puis, faute de réponses et de traces, l’enquête piétine et semble vouloir s’arrêter. Selon l’épouse du disparu,son mari, un homme sans histoire, employé d’une entreprise de transport en commun, ne peut avoir été victime d’un meurtre, ni d’un enlèvement et encore moins s’être enfui. Quoique ...
Face au piétinement de l’enquête, Tanya Flint investit ses maigres économies pour savoir vraiment ce qui s’est passé. Mat Joubert se consacrera à cette enquête, sans moyen, sans services, en faisant appel à son instinct et en développant une relation proche avec Tanya.
Qui était réellement cet homme ? Que lui est-il arrivé ? D’où vient cet argent qui, par magie, est apparu dans sa vie peu de temps avant sa disparition ? Danie Flint menait-il une double vie ? Voilà autant de questions qui intriguent Mat Joubert qui se lance à la trace des mystères de la vie du mari de la belle Tanya. Et ce, tout en questionnant et en contestant les valeurs morales de son nouvel employeur.
En définitive, quels sont les liens entre ces trois récits qui ont comme éléments communs, des poursuites à la trace et les paysages fascinants de l’Afrique du Sud ? De la ville du Cap à la réserve nationale du Karoo ... dans toute la gamme déclinée de l’atmosphère de l’après-Apartheid !
On s’attendrait d’un autre auteur à une finale nous faisant découvrir tous les fils dénoués un par un ou une finale spectaculaire avec quelques feux d’artifice et des tirs de mitraillette pétaradante ... !
Et non! Tout le talent de Deon Meyer réside dans la subtilité de ses quelques éléments de solution, de ces récits qui se terminent en fine intelligence. Pire, il ne fait que ramener les trois histoires dans un épilogue tout en nuance, où les récits s’effleurent tout doucement, laissant au lecteur le loisir de terminer le travail et de participer à la conclusion du casse-tête final. Deon Meyer fait confiance au lecteur, il fait appel à son intelligence et lui donne quelques indices pour lui permettre d’inférer la fin du roman. La fin des romans ?
Alors si vous avez le goût de vous lancer dans cette belle aventure où l’auteur vous mettra en contact avec une mère de famille qui prend le large, avec un mercenaire à la recherche de son argent, un ex-policier qui combat ses vieux péchés, un garde du corps ... de rhinocéros, une vétérinaire qui a des airs de Lisbeth Salander et l’ensemble du personnel d’un centre d’espionnage ... Tout cela en vous faisant faire une petite visite du pays ... Et en prime, Meyer vous parlera d’écologie, du respect des animaux, de l’intégrisme islamique, des menaces de terrorisme, de gangs criminalisés, de trafic d’armes, de vol de diamants...et d’émancipation des femmes ! En ai-je oublié ??
Oh oui ! Une toute dernière chose, n’oubliez pas de vous régaler des citations du deuxième livre, citations prises entre autres dans le «The art of tracking» de Louis Liebenberg.
Et si vous acceptez ces rendez-vous, vous suivrez «À la trace», ces différentes intrigues, sans jamais un moment d’ennui, ni une perte d’intérêt. N’ayez aucune crainte quant à la grosseur du pavé, vous aborderez les derniers chapitres en vous disant: non, pas déjà, j’en prendrais encore ... !
Deon Meyer est un grand ! Et durant plus de 700 pages, il nous le prouve encore. Une suggestion de lecture pour les vacances d’été ... Suivez ses traces jusque chez votre libraire.
Bonne lecture !
À la trace
Deon Meyer
Policiers Seuil
2012
722 pages