Amateurs de polars et de romans policiers, avez-vous déjà tenté cette expérience? Rendez-vous chez votre libraire préféré, placez-vous juste devant le comptoir des nouveautés de la section polars
et romans noirs et cherchez, parmi les 20 Henning Mankell, les 10 Arnaldur Indridason, les 50 Denis Lehane, cherchez bien un roman québécois … Allez, cherchez … !!! Vous ne trouvez pas ! Alors
demandez à votre libraire de vous montrer le chemin vers certains auteurs québécois de polars qui méritent que l’on fasse le détour.
Et André Marois en est un ! *
André Marois est né en France; il a fait des études scientifiques et dans le domaine de la publicité. Il a même travaillé comme dessinateur chez les pompiers. Il a finalement émigré au Québec à 33
ans. Établi à Montréal, résident du Plateau Mont-Royal, il affectionne particulièrement la littérature policière; il écrit des polars pour les jeunes et des romans noirs pour les adultes.
Sa propre mort est le premier roman pour adultes que je lis de cet auteur … et ce ne sera sûrement pas le dernier. Dès les premières pages, s’installe un climat terrifant, une atmosphère
lourde et angoissante que l’on partage avec Clara (ou Claire, selon l’époque de sa vie !) personnage principal de ce roman.
Le roman s’amorce dans une minuscule chambre de bonne, au 6e étage d’une maison du 1er arrondissement de Paris. Clara revoit son frère pour la 1re fois en 4 ans. Et on ne sent pas la joie de ces
retrouvailles. On apprend, au fil des échanges, que Clara a quitté sa famille pour se réfugier en France à la suite d’un drame qui s’est produit juste avant son départ. Une incursion sur la page
Facebook de son frère lui rappelle ces événements qui ont marqué sa vie et qui viennent la hanter. Elle qui pensait avoir tout oublié, ou du moins, tout enfoui, très loin, de l’autre coté de
l’Atlantique.
De retour à Montréal, Clara entreprend une difficile recherche de sa paix intérieure par un combat rempli de haine contre la violence du passé. Pourra-t-elle vaincre ces démons qui la
hantent, chasser les fantômes qui gâchent sa vie et qui alimentent sa honte, sa colère et surtout sa haine? Commence alors cette quête, sans aucune retenue, sans aucune frontière limitant la
vengeance pour enfin, s’affranchir, s’évader de sa prison psychique. Cette recherche la mènera vers la libération, vers le soulagement, exprimés dans une fin complètement déconcertante.
La table est alors mise pour que l’auteur exerce tout son talent pour décrire le cheminement des peurs et des pensées de ce personnage, blessé autant par les gestes posés par ses agresseurs que par
le silence, l’opacité et l’indifférence du monde qui l’entoure. Tout au long de l’accomplissement de sa vengeance, on suit pas à pas la construction de l’échafaudage où seront vengées ses quatre
dernières années d’angoisse. La vengeance est terrible, diabolique; les instruments de cette vengeance correspondent, par leur cruauté et leur spécificité, à la personnalité de chacun des
condamnés. La violence répond à la violence, l'humiliation et la pornographie appellent l'outrage.
André Marois a écrit un roman caractéristique de ce qu’est et de ce que devrait être un véritable roman noir. Le style est épuré, franc et parfaitement efficace : pas besoin de fioritures pour
exprimer la noirceur, la violence et la vengeance. Toute la tension repose sur les épaules de cette frêle et forte jeune femme qui s’acharne à accomplir sa propre justice.
L’intrigue est bien ficelée et la lecture en est fluide. On ne s’y perd pas. Malgré la violence du texte, malgré le goût amer de cette vengeance, l’auteur nous guide, en toutes nuances, vers la
compréhension, vers la compassion, à travers l’inconfort de trouver l’humain dans l’inhumain, la bestialité dans l’homme et la rémission dans la vengeance. Et André Marois pousse l’audace de cette
dualité, en réunissant diaboliquement, le policier et sa proie, dans une scène qui laisse le lecteur complètement décontenancé. Amateurs de roman noir, on adore !!!
L’écrivain illustre même cette ambiguïté, cet antagonisme, en dépersonnalisant certains personnages, en les nommant exclusivement par la première lettre de leur prénom. Une petite trouvaille que
j’ai adorée … qui fait en sorte que l’on peut résumer le roman par une formule mathématique : (A+B)xD=C !!!
Fascinant pour un littéraire !!!!
Sa propre mort est un texte fort, puissant et dérangeant; on en sort chaviré et ému. Et nous le devons à un auteur de talent qui réussit à ébranler l’adulte dans ses romans noirs et
charmer le jeune dans ses polars jeunesse. De plus, grâce à son contenu culturel, le lecteur dévore un roman accessible mais riche de référents littéraires. Plus particulièrement, j’ai été enchanté
par l’intelligente utilisation de
La Chute d’Albert Camus. Un petit plaisir de lecture pour lecteurs avisés !
Alors, à votre prochaine visite en librairie, avec la complicité de votre libraire, n’hésitez pas à plonger dans l’univers d’André Marois. Et pour mes collègues en éducation, faites découvrir à vos
élèves un auteur jeunesse qui croit à l’intelligence des jeunes!
Sa propre mort
André Marois
La courte échelle
2010
* Voir également mon texte sur André Jacques.