26 Juin 2011
Faire partie d’un jury est souvent une expérience fort intéressante; parfois on peut faire des découvertes passionnantes, souvent on est carrément ennuyé par le récit et quelques fois, on retrouve un auteur que l’on avait délaissé. Ma participation au Club du livre de Saint-Pacôme pour le choix du Prix du public est une occasion pour moi, de découvrir le talent des auteurs québécois de polars et Andrée A. Michaud fait partie de cette catégorie.
Je n’avais jamais lu cette auteure avant «Rivière Tremblante»; gagnante de plusieurs prix, des romans publiés au Québec et en France, Andrée A. Michaud ne m’avait pas accroché. Et pourtant, «Lazy Bird», son avant-dernier roman avait connu tout un succès. Et je n’ai même pas d’explication pour cette ignorance ! Juste des regrets que je vais effacer très prochainement. Andrée A. Michaud m’a convaincu ! Elle est une auteure avec un talent exceptionnel et «Rivière Tremblante» est un roman puissant, je dirais même angoissant, duquel on sort bouleversé, sans aucune réponse mais avec des questions et des émotions qui nous habitent !
«Rivière Tremblante» est un roman qui dépasse les genres. Ni polar, ni roman policier, beaucoup psychologique mais pas exclusivement, ce roman nous présente la pire des enquêtes, celle qui nous habite à l’intérieur de soi, celle qui se fait en silence, en dialogue avec soi-même, celle qui cherche les pourquois et les comments d’un drame qui nous affecte.
«Rivière Tremblante» est un roman sur la disparition, sur l’absence inexpliquée et inexplicable et surtout sur les conséquences de ces disparitions. Ici, on ne suit pas une enquête policière, on ne recherche pas un assassin, on essaie même pas de retrouver la personne disparue (il est trop tard ...). Ici, dans ce récit, dans ce long monologue intérieur, le spectateur, celui qui était là, celui qui aurait dû être là, celui-là devient victime ... et coupable ! Ostracisé, rejeté, banni, celui qui n’a rien fait devient inexorablement coupable d’un crime qu’il n’a pas commis ... du moins ... peut-être !
«Rivière Tremblante» c’est l’histoire de deux disparitions qui ont eu lieu à 30 ans d’intervalle.
Michael Saint-Pierre a disparu mystérieusement dans un bois au moment où il jouait avec Marnie Deschamps, son inséparable amie. Hantée par cette histoire, Marnie et son père quittent le village, vivant intensément les suites de ce drame. Adulte, Marnie s’exile à New-York ... pour fuir, pour oublier ou tout simplement pour ne plus voir le fantôme de cet ami disparu.
Trente ans plus tard, à la sortie de l’école, la petite Billie Richard disparait. Personne n’a vu ce qui s’est passé. Le drame est trop douloureux pour les parents de la fillette, Lucy-Ann et Bill, qui s’entre-déchirent dans un mélange d’accusations et de culpabilité mutuelles. Le couple ne résiste pas à cette tempête.
Bill Richard, auteur à succès de littérature pour la jeunesse, quitte la ville et s’isole dans un petit village sur le bord de la Rivière Tremblante, accompagné seulement par le chat de sa fille et les personnages de ses albums. Un jour, il croise le regard de cette femme triste, Marnie Duchamp, assise dans une auto suivant un convoi funéraire. Son père vient de mourir et elle décide de rester un peu dans ce village où son enfance s’est perdue avec la disparition de son ami.
Puis, un jour, un autre enfant disparait près de la Rivière Tremblante. Réveil d’une culpabilité qui ne s’était jamais endormie, l’infernal questionnement reprend, amplifié par les soupçons incessants de la police locale. Marnie et Bill nous racontent, chacun leur tour, dans une alternance en parfaite synchronicité, leurs angoisses, leurs culpabilités, leurs regrets et leurs minces, très minces espoirs en l’avenir, à jamais perdus.
us rattraper. On ne sort pas indifférent de cette lecture, elle nous happe, nous torture par son questionnement et nous intègre dans l’âme de ces personnages. Un grand roman psychologique. Un grand roman d’enquête ... intérieure, avec nous-mêmes comme seul policier et le monde qui nous entoure comme juge.Andrée A. Michaud nous transporte au coeur même de ces personnages, dans leurs pensées les plus profondes, leurs émotions les plus secrètes; un voyage effrayant au pays de la culpabilité, du malheur profond, de l’absence et surtout, de l’espoir déchu. Une disparition, un corps non retrouvé, tous les espoirs sont permis mais toutes les horreurs peuvent s’inviter chez la folle du logis de notre cerveau. Et voilà ce qui reste, le pire: ne pas savoir !
La structure même du roman amplifie cette angoisse que l’on partage avec les deux personnages: chacun devient, en alternance, le narrateur de son propre malheur. L’auteure a décidé de ne mettre aucun dialogue; le roman est purement l’expression de la pensée de Marnie et de Bill. Par leurs yeux et par leurs émotions, le lecteur découvre toute la souffrance qui les habite et qui finit par nous rattraper. On ne sort pas indifférent de cette lecture, elle nous happe, nous torture par son questionnement et nous intègre dans l’âme de ces personnages. Un grand roman psychologique. Un grand roman d’enquête ... intérieure, avec nous-mêmes comme seul policier et le monde qui nous entoure comme juge.
Il ne faut donc pas s’attendre à suivre une enquête policière et à trouver toutes les réponses; là n’est pas le propos. Il faut se laisser imprégner par les récits de ces deux victimes collatérales et s’émouvoir de la qualité d’écriture de l’auteure. Car Andrée A. Michaud écrit très bien. L’intensité dramatique peut souvent nous faire oublier le style de l’écrivaine mais il faut absolument se laisser bercer par la sonorité et la beauté de certaines phrases, de certains paragraphes. Et il faut ajouter à cette musique du style, une grande quantité de références musicales qui peuvent nous accompagner dans notre lecture.
Alors oui, je vous recommande chaudement ce très beau récit humain. Comme amateur de polars, j’ai ressenti, parfois, un besoin de plus d’actions et d’un peu moins de réflexions ... mais ces petits moments de lassitude passagère s’estompaient très rapidement. L’auteure me raccrochait très rapidement avec des mots comme ceux-ci:
«Il avait douze ans, j’en avais onze, et, comme dans les récits chevaleresques, nous avions juré de ne jamais nous quitter, ignorant que l’éternité du serment peut être brève.»
«On me refusait le statut de victime sous le simple motif que j’étais vivante, et l’enfant effarée en moi donnait raison à ceux qui m’en voulaient presque ...
J’étais la rescapée, celle qui n’avait droit ni à la compassion ni à la chaleur des bras tendus. C’est ainsi qu’une vie d’enfant se termine, dans l’apprentissage de la culpabilité, dans la honte du survivant.»
«Je n’étais désormais qu’un restant d’homme, j’étais le peu sur lequel pouvaient compter ceux qui n’avaient plus rien, une ombre, ce qui persiste du souvenir des morts alors que tout s’est envolé et qu’il faut bien un abruti pour garder le fort.»
«J’étais dans un sanctuaire secoué par la furie du nordet s’écorchant à ses voûtes, mais le tumulte demeurait à l’extérieur, au-delà des murs sombres enfermant la lumière de la neige. Au creux du sanctuaire, régnait l’inaliénable silence des bois.»
Et voilà, je vous souhaite de découvrir ce roman tout en humanité et en détresse ! Pour ma part, je me ferai le plaisir de continuer l’exploration de l’oeuvre de cette écrivaine. Prochaine étape, la lecture de «Lazy Bird» publié en 2009.
Bonne lecture !
Rivière Tremblante
Andrée A. Michaud
Québec Amérique
2011
364 pages
Pour découvrir cette auteure et son avant-dernier roman "Lazy Bird" :
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