5 Novembre 2011
En
sortant de la causerie avec David Vann, organisée par la Librairie Monet, je me demandais une chose: comment une personne si affable et si drôle pouvait écrire des romans aussi noirs, des
tragédies tellement effrayantes.
Et bien cette entrevue, habilement menée par Morgane Marvier, libraire et grande connaisseure de polars, nous a révélé un personnage tout à fait
agréable, un conteur passionnant et un moulin à paroles intarissable. (Pour lire le billet de Morgane) En bref une
excellente soirée, sous le signe de l’humour, malgré la gravité des sujets abordés.
Comme je me sens un peu paresseux, aujourd’hui, je vous ferai un compte rendu en style télégraphique, au gré de mes souvenirs ... et de mes
notes.
David Vann est né en Alaska en 1966 dans une famille assez spéciale. Il raconte d’ailleurs qu’en trois générations, sa famille a vécu cinq suicides
et un meurtre. Dès son enfance, il aimait écrire des histoires, des histoires de chasse et de pêche qu’il donnait en cadeau. Il n’a jamais pensé gagner sa vie avec son écriture.
Sa famille, son enfance et la nature sauvage de l’Alaska sont des éléments majeurs de son écriture. Son amour pour la littérature, la grande
tradition des poètes anglais et le dramatique teintent grandement son univers romanesque. Sa famille est une source (!!) d’inspiration (!!). À un certain moment donné, dans son enfance, il est
entouré de onze femmes et d’un seul homme. Et tout ce beau monde se plaignait du désastre de leur vie. De quoi n’avoir aucun complexe de la page blanche!
Il fait une description assez bizarre de sa famille: il dit qu’il a toujours été entouré de menteurs, de personnes violentes, de gens qui se cachent
les vérités. Longtemps, on l’a blâmé secrètement pour la mort de son père. En effet, un jour, son père lui demande de l’accompagner en Alaska pour un an (un fait vécu qui est aussi l’amorce
de «Sukkwan Island»). Il refuse ... et son père se suicide deux semaines plus tard.
David Vann l’a longtemps caché en disant que son père était mort du cancer !
Il a pris dix ans pour écrire «Sukkwan Island» et aucune maison d’édition n’en a voulu. Il a fallu un prix
littéraire gagné dans une revue, pour que son livre soit publié ... Il a bénéficié de trois critiques littéraires élogieuses dont une du New-York Times et sa carrière d’écrivain était lancée.
Neuf mois plus tard, Olivier Gallmeister publiait la première traduction en langue étrangère. Et ce fut la découverte par les lecteurs européens et québécois.
Il écrit de façon très organisée: chaque matin pendant deux heures. Complètement isolé, sans bruit, sans dérangement et surtout sans savoir ce qu’il
va écrire. Je dirais qu’il est presque maniéré ... Tout est concentration ! Un rayon de soleil le dérange; de même il ne peut pas voir un miroir quand il écrit. De toute façon, physiquement,
quand il écrit, il hyperventile, il s’affaisse tranquillement, lui-même dit qu’il n’est pas beau à voir écrire. En voyage, il écrit dans sa chambre d’hôtel ... et envoie sa douce moitié visiter
la ville.
Pour lui, écrire, c’est un travail individuel; il n’a pas de premier lecteur et il ne révise jamais ses textes. Il travaille, il écrit et il envoie
le roman à son éditeur qui le publie tel quel !!! Pour lui, l’écriture n’est pas un travail d’équipe. Son premier jet est aussi son dernier.
Alors, ça semble clair, sa vie a grandement influencé son écriture et lui a dicté les éléments suivants:
il adore décrire des tragédies et il adore en lire;
David Vann a également parlé de son rapport avec la nature ... et j’avoue que ces révélations sont assez surprenantes. Pour lui, la nature est un
personnage qui ajoute au caractère violent de ses romans. La nature qui apaise, la nature qui repose, la nature rédemptrice, c’est de la foutaise, selon lui. Il aimerait croire à ces «pensées
positives» sur la nature mais ce n’est pas la réalité. La nature est le pire miroir dans lequel on peut se regarder; la nature amplifie la confrontation, gonfle les peurs et torture nos
pensées.
Pour lui, les descriptions de ces paysages ajoutent de la pression aux malheurs de ses personnages. La nature peut exacerber l’angoisse et la
tragédie vécue par ses personnages. Le plus bel exemple: la force, l’attirance et la répulsion de l’île sur la vie et le comportement d’Irene dans «Désolations».
D’ailleurs, il s’est beaucoup identifié à ce personnage. Mais son personnage de Rhoda est le personnage (le seul ??) qui personnifie l’espoir, la foi en l’humain, en l’avenir.
Pour revenir à «Désolations», il a commencé son écriture il y a 15 ans ... s’est arrêté et l’a repris il y a quelques
années. Lors d’une visite au bord d’un lac de l’Alaska, il a regardé à travers la glace du lac et comme il n’y a rien vu, il a imaginé Irene voir le même néant, son mariage, reflété sur la
glace noire. Il a donc repris l’histoire et commencé par l’écriture de cette scène, prenante, forte et dramatique.
Une phrase choc ... qui demanderait probablement une longue analyse: je n’aime pas les idées; les idées
mentent.
Une autre: il aimerait rêver ... mais il n’y croit pas. C’est un des paradoxes de sa vie. (Un peu comme le noir de ses romans et l’humour avec
lequel il en parle)
Ses auteurs préférés: William Faulkner, Cormac McCarthy, Elizabeth Bishop, Annie Proulx et Gabriel Garcia Marquez.
Son prochain roman «Dirt» parlera surtout de la relation mère-fils. il nous fait la promesse: pas de suicide, pas
d’Alaska, pas d’île !!! Avec le sourire en coin, il essaie même de nous faire croire que ce roman sera drôle !!!
En résumé, ce fut une rencontre fort agréable, intéressante et passionnante. Une excellente occasion de rencontrer un écrivain extraordinaire et un
homme fascinant.
Si vous ne l’avez jamais lu, je vous le recommande. S’il passe dans votre coin, allez le rencontrer.
Bonne lecture !