1 Mai 2010
Quand la mort s’invite à une première est le deuxième roman de Bernard Gilbert (merci pour la précision, monsieur Spehner !!!!). Mais ce roman est lui-même une première ... et fait assez
rare, ici au Québec, un polar, historique, politique ... qui parle des années de la Grande Noirceur (Pour mes amis européens, la Grande Noirceur couvre la période où régnait sur la
«Province de Québec», un premier ministre despotique, contrôlant l’ensemble des leviers politiques, économiques et religieux, au nom particulier de Maurice le Noblet Duplessis !!!).
Le roman commence le soir de la Première de la pièce "Zone" de Marcel Dubé, un de nos plus grands dramaturges. Un des acteurs meurt sur la scène ... et quelques minutes plus tard, le régisseur
tombe lui aussi. Deux morts foudroyantes !!!
L’inspecteur Marmet est chargé de l’enquête. Policier aux tendances de gauche dans un monde envahi par la droite politique, religieuse et policière, lecteur de Camus et impliqué dans le mouvement
syndical, Marmet aura bien de la difficulté à naviguer dans cette atmosphère de corruption, de trafic d’influence, de conspiration ( est-ce que j’ai dit historique ????), dans un environnement
inspirant des interventions de groupes révolutionnaires encore peu violents et mal organisés.
Tout au long de cette enquête, nous découvrirons les sales dessous de la politique de ce temps (historiques ???), l’intolérance envers l’homosexualité et les liens pas toujours sains entre le
politique et le clergé, et tout cela pimenté de «prostitution de filles et de garçons, (de) détournement de fonds publics ... de trafics d’influence, (de) chantages ...».
Il est évident que pour apprécier pleinement ce roman, la connaissance de la société québécoise des années cinquante est grandement utile. Cependant, en faisant abstraction des noms de
politiciens, hommes de clergé et des intellectuels présents dans le roman, on peut, avec un peu d’imagination, changer les noms de ces personnages historiques et en accoler de plus actuels
... que l’on soit Québécois ou Français.
Un aspect amusant ... le choix des noms de personnages: Hermine Hérésie l’actrice vedette du Théâtre municipal, Jeannette Mance l’habilleuse, Jobidon le chef de police, Bastide Ganglion le
député, Edmond Granteuil un des morts. Un roman historique avec des références culturelles qui nous arrachent un sourire !!!
J’ai bien aimé ce roman, surtout pour le choix du sujet et de l’époque. L’ère du duplessisme a été un élément marquant de l’Histoire du Québec et a provoqué, après sa mort, la montée de la
Révolution tranquille et de l’indépendantisme.
Cependant, j‘ai eu quelques difficultés avec le développement du récit et le rythme du roman. Il me semble qu’un travail d’édition aurait dû être fait pour accentuer le mouvement et tenir ainsi
l’intérêt du lecteur. Cependant, malgré ces quelques moments de longueur, jamais au cours de ma lecture, j’ai songé à quitter «le bateau», le sujet même étant porteur d’intérêt.
Par ailleurs, j’ai bien aimé le style de l’auteur et les quelques trouvailles suivantes montrent bien tout le talent de Bernard Gilbert:
«Chacun des éléments, immobile, compose une métaphore saisissante de la peur.»
En entrant à l’Archevêché «Pas besoin d’un nez exercé pour déceler l’odeur du pouvoir.»
« ... le scandale lèvera tel le sexe de bien des curés devant un jeune élève.»
«Son cerveau tourne comme un derviche en transe.»
En parlant de prostituées: « ... des jeunes filles triées sur le volet pour leur connaissance des choses de la vie.»
« ... le vernis de la foi ne résiste pas toujours aux obligations du règne des apparences.»
En parlant de la politique: «à cet égard, s’en tenir à la vérité devient, de facto, le seul scénario à proscrire.» (J’ai bien dit «roman historique» ???)
En tenant compte du fait que le thème du roman Quand la mort s’invite à la première n’était pas simple à développer, j’applaudis quand même à cette production pour en
souligner l’audace, le sujet, le choix de l’époque et le traitement historique. Tous les liens, voulus ou non avec notre actualité contemporaine, nous permettent de nous rappeler qu’il faut
apprendre l’histoire pour comprendre le monde dans lequel on vit.
Malgré ces quelques difficultés dans le développement de l’intrigue, je vous recommande quand même ce livre. Je crois que ce roman est un prélude intéressant à une production qui pourrait
marquer le paysage littéraire québécois. Les romans historiques sont souvent difficiles à écrire et demandent tant de recherche, qu’on en retrouve peu sur les tablettes de nos librairies. Mais,
quand, en plus, un auteur à la témérité et la fougue pour en faire un bon polar; alors moi, je dis oui ... nous en voulons d’autres !!!
Quand la mort s’invite à la première
Bernard Gilbert
Québec Amérique
2010
333 pages