"Purge" de Sofi Oksanen

10 Novembre 2010

Purge Certains livres sont écrits pour nous émouvoir, pour toucher notre sensibilité et s’adresser directement à notre coeur, à l’humain que nous sommes; «Purge» est un de ceux-là. Un de ces livres marquants, mémorables, qui illustrent avec véhémence, l’impact d’une guerre sur le monde ordinaire, qui poussent le lecteur vers l’horreur épiant les victimes des pays ensanglantés par le pouvoir, la rancune et la haine.

J’ai rarement ressenti cette fièvre mais je me rappelle avec émotion les grands moments de lecture que m’ont offerts les Gil Coutemanche avec «Un dimanche à la piscine à Kigali», Jean-Yves Soucy avec «Un été sans aube», Jaume Cabré avec «Les voix du Pamano» ou encore Yasmina Khadra avec «L’attentat». Tous ces livres sont des romans de guerre, de violence mais aussi de grands romans d’amour !

Et bien, après la lecture de «Purge», je peux vous dire que ce roman rejoint ces grands livres, ces histoires dans le déroulement de l’Histoire, la vie des gens ordinaires (?) passant au travers des moments qui dépassent l’extraordinaire.

«Purge» est le troisième roman de Sofi Oksanen. Cette toute jeune auteure (elle a 33 ans !) a atteint une maturité littéraire hors de tout doute. Née en Finlande d’une mère estonienne et d’un père finlandais, Sofi Oksanen nous transporte dans la culture étrange de ce pays qui a souffert de l’invasion russe, du joug de l’Allemagne nazie et des batailles internes de son peuple blessé.Toute sa sensibilité est mise au service de notre découverte de l’Histoire récente de ce pays qui nous est pratiquement inconnue, à travers les yeux de deux femmes, deux personnages énigmatiques aux passés, aux présents et aux futurs troubles.

En 1992, les Russes quittent l’Estonie et ce petit pays apprivoise son indépendance. La vieille Aliide se terre sur sa petite ferme dévastée, craignant les représailles et le pillage. On entre dans sa cuisine et on y sent l’odeur des confitures de framboises, du jus de betteraves à sucre et de la résistance. Elle surprend, dans sa cour, une jeune femme, Zara, qui semble poursuivie. Aliide, après moult tergiversations et hésitations, lui ouvrira finalement sa porte, tout en étant très prudente et méfiante. Les deux femmes feront donc connaissance et nous, lecteurs, découvriront, dans un aller-retour historique, l’histoire de ces femmes, le destin qui les a réunies dans cette petite maison aux multiples secrets.

Ce roman est extrêmement bien écrit et malgré une structure complexe ... plus axée sur le développement des sentiments de nos deux personnages que sur l’ordre chronologique, l’auteur nous transporte sans difficulté dans les méandres de leur histoire. Le passage d’une époque à l’autre, les retours dans le passé, les liens entre tous ces personnages, tout cela coule de source dans un langage simple mais recherché, avec une poésie de la phrase évocatrice et débordante de sentiments.

Sofi Oksanen possède une écriture souple qui transporte les émotions, son style est achevé. À travers les faits et les événements, elle dessine ce récit complexe comme un triptyque historique ... trois époques qui se précipitent vers le présent. Des personnages qui se font, qui se modèlent au gré des vents de folies meurtrières générées par la guerre, la haine et le besoin de pouvoir.

Certains passages sont touchants de sensibilité et marquants par leur violence physique et psychologique; certaines scènes nous ébranlent par la dure réalité de ces femmes, leur combat pour se défendre et la résilience nécessaire pour regarder l’avenir plutôt que de se laisser abattre par le passé. «Toutes celles dont on apercevait, à la taille de leur blouse, qu’elles portaient plusieurs paires de culottes. Toutes celles qui n’étaient pas capables de regarder droit dans les yeux. Avaient-ils dit la même chose à celle-là, lui avaient-ils dit: «Chaque fois que tu iras au lit avec ton mari, tu te souviendras de moi» ?»

Comme vous pourrez le constater, vous ne ressortirez pas de cette lecture sans y avoir ressenti quelques émotions. Quand vous amorcerez la lecture de la première page de cet excellent roman, il faut vous attendre à être un peu secoué. Vous aurez fait la lumière sur l’histoire d’un petit pays peu connu mais surtout, vous aurez navigué dans les tumultes de l’esprit humain ... en temps de crise ! Vous assisterez à l’expression parfois très rude et laide de l’inhumain qui se cache dans l’humain.

«Purge» est un roman de haine, de vengeance, de violence mais aussi d’amour, d’amour passionnel aux conséquences souvent brutales. Surtout, il nous démontre comment l’humain devient si fragile, si frénétique quand la situation, quand la politique, quand la guerre le place dans une situation favorisant le dévoilement et l’explosion de son côté sombre.

Je vous présente, ici, quelques phrases qui illustrent très bien le style raffiné et efficace de Sofi Oksanen:

«Les pensées s’enfuyaient en trottinant, sans qu’elle puisse les retenir; les vérités aux longues oreilles, les mensonges à la queue courte la laissaient dans l’embarras, lui vidaient la tête, lui obscurcissaient la vue et l’ouïe.»

«Une si bonne éducation ne s’acquiert qu’au prix d’une bonne dose de crainte.»

«Les rides avaient aspiré ses joues à l’intérieur de sa boîte crânienne, comme s’il avait le visage étroitement ligoté.»

«Ingel disait qu’Aliide s’était mise à puer le Russe. La même odeur que les gens qui avaient fait leur apparition à la gare, assis parmi tous leurs ballots. Les trains en vomissaient sans cesse, et les nouvelles usines les avalaient.»

Il faut lire «Purge» pour ses qualités littéraires et pour sa trame romanesque très bien développée. Mais surtout, il faut lire «Purge» pour découvrir une jeune auteure qui saura sûrement nous charmer par son talent de conteur et son imagination fertile. Et si elle peut, à 33 ans, écrire un roman comme «Purge», prendre des risques et sortir des sentiers battus, on ne peut que se demander jusqu’où son courage et sa détermination l’amèneront.

Une auteure à suivre ... immédiatement !

P.-S. J’apprends avec plaisir que Sofi Oksanen a reçu le Prix Fémina Étranger pour son roman «Purge» !

Bonne lecture !

Purge
Sofi Oksanen
La Cosmopolite Stock
2010
400 pages 