29 Avril 2010
Certains livres nous laissent perplexe. On les lit et un moment donné, on trouve cela génial. Deux chapitres plus tard, on se demande si on s’ennuie. Puis, ça recommence, on dirait les montagnes
russes du plaisir de lire avec des montées vertigineuses et des descentes qui vous remontent le cœur dans la gorge … On voudrait que cela finisse mais une fois la lecture terminée, on se demande
si on a vraiment aimé cela. Et on en voudrait plus !!!
J’ai terminé Les Survivantes, il y a dix jours. J’ai pris tout ce temps avant de me décider à écrire ma chronique … Incapable de me faire une opinion. Et encore aujourd’hui, c’est
l’indécision.
Jetons donc un coup d’œil à l’histoire. Strasbourg, un été de canicule; il fait très chaud, l’humidité alourdit l’air de la ville. L’hôpital est envahi par les malades et les morts s’accumulent
dans la morgue.
Anne Boher, médecin légiste, est sur le bord de la dépression, harcelée par quelqu’un qui lui envoie des lettres de menaces et des poupées ensanglantées. Quelqu’un lui en veut et est prêt à aller
très loin … Jusqu’à la mort ???
Autour d’elle, des amis qui ne désirent que l’aider et d’autres qui ne cherchent qu’à la discréditer. Son adjoint Enzo Marquèz, son amie et psychologue Laure Bellanger et Franck Albertini, un
ancien policier, font tout en leur pouvoir pour aider et supporter Anne. Malgré, parfois, quelques doutes qui s’installent.
Derrière la porte de la morgue, des collègues et d'autres travailleurs de l’hôpital sont prêts à tout pour la faire craquer. Personnellement, j’ai adoré la qualité de ces personnages que l’on
aime tant haïr : la laideur de Lou Werfel, la beauté et la méchanceté de Sophie Mangin, l’intransigeante et citoyenne volontaire Ingrid Hensberger et finalement, la haine dévastatrice du
médecin Jérôme Horn. Une véritable galerie de personnages , tous suspects, sûrement tous un peu responsables et peut-être même coupables !!!!
L’auteure nous emporte dans un tourbillon de chaleur et parsème notre lecture d’indices, de personnages, d’un ancien dossier égaré, d’une mère mourante mais assez énigmatique, d’une brigade de
citoyens volontaires et, en prime, le martèlement d’un message, incrusté dans la tête de la médecin légiste, un message lancinant, un mantra aux pouvoirs diaboliques :
« Perce l’abcès. 242 ! Retire le pus. Noir. Toxique … Enfonce la lame jusqu’au cœur de Lucifer. 242 ! Tiens bon. Éradique Bélial … Cautérise la plaie ou meurs …
Assez, par pitié. »
Charmant, n’est-ce pas !!!
Pour ajouter à ce climat lourd et caniculaire, venant de nulle part mais tellement préoccupant, un air de La Traviata qui résonne dans la ville.
Lalie Walker a un talent certain. Son style est percutant; elle trame, habilement et diaboliquement, une atmosphère tout à fait angoissante. À cause du climat de tension qu’elle installe,
même pour le lecteur, l’air est irrespirable. On vit avec Anne Boher, on souffre avec elle, on cherche la moindre petite parcelle d’air qui nous permettra de prendre une pause. Cependant,
l’auteure ne nous fournit pas souvent ce petit passage « climatisé » qui nous permettrait de reprendre notre souffle, d’essuyer nos sueurs troublées d’angoisse. Et c’est peut-être ce
climat glauque et pesant qui, sans que je m’en rende compte, a fait en sorte que j’ai dû étirer ma lecture, de soir en soir et ainsi, m’empêcher de vraiment apprécier ce roman, à sa juste valeur
…
Mais on reste médusé devant la qualité et l’intensité des nombreux dialogues intérieurs qui habitent le personnage principal … un dialogue de sourds ou un monologue de muet !!!
Je vous présente quelques phrases assassines qui illustrent magnifiquement le style de Lalie Walker :
Cette phrase est une véritable beauté du roman noir :
« Cheveux, membres et visages en désordre, ensanglantée, une horde se rua à l’assaut du miroir. Aussi haineuses que désarmées, du fond de leur mortelle prison, vociférant, des bouches se
pressèrent contre la froidure du verre. Qui se fissura sous le poids de l’attaque. Menaça d’éclater. »
En parlant d’un corps :
« … de la douleur d’un corps qui aurait déjà dû depuis longtemps servir d’engrais. »
« Sa plus grande joie, elle l’avait ressentie à la mort de son mari. »
« Son corps craquait comme une maison livrée aux courants d’air; aux pluies acides venues d’un désert inconnu. »
En y repensant bien, je vous conseille grandement ce livre …
Après quelques jours de recul et en relisant certains passages pour réaliser cette chronique, je réalise combien cette lecture m’a marqué, combien le style de Lalie Walker m’a envouté et surtout, comment l'auteure vous permettra de jouir de la fin … de cette conclusion digne d’un grand roman noir !!!!
Pour les amateurs du genre, lisez Les Survivantes pour apprécier un roman vraiment noir. Pour les autres, régalez-vous du style de Lalie Walker et aux dernières pages du roman,
appréciez l’imagination et la créativité d’une romancière qui vous a caché, si longtemps … qui étaient Les Survivantes.
Les
Survivantes
Lalie Walker
Actes noirs Actes Sud
2010
357 pages