24 Juillet 2010
«Trop d’intelligence rendrait-il inhumain ?»
Tous ceux qui suivent ce blogue depuis le début, savent que je suis un groupie d’auteurs, que j’ai énormément d’admiration pour ces personnes qui alimentent nos imaginaires en manque d’histoires.
J’ai quelques amis auteurs que j’apprécie énormément, autant comme auteur que comme personne et généralement, ce sont des humains fort intéressants.
Après ma lecture de «Potens», je n’ai qu’un seul désir, mieux connaître Ingrid Desjours. Sachant qu’elle est psychologue et après avoir rencontré cette galerie de personnages qui hantent son
dernier roman, je me questionne:
Vous comprendrez que ces trois questions sont un clin d’oeil complice à l’auteure pour lui dire que j’ai bien aimé son roman et surtout, la profondeur de ses personnages.
«Potens» est un roman noir, très noir, qui ne laisse aucun repos au lecteur, aucun oasis où un personnage ordinaire, normal, pourrait nous consoler du pauvre genre
humain, dépeint dans cette histoire.
Ingrid Desjours est une jeune auteure, psychologue spécialiste en sexo-criminologie; elle a un visage d’ange mais elle écrit comme une diablesse. (Voir son site
personnel) Cette écrivaine est une terrifiante créatrice de personnages, elle leur peint un profil psychologique inquiétant et leur forge un passé générateur de carences affectives et
émotives. Depuis quelques temps, pour notre plus grand plaisir, elle a arrêté sa pratique pour se consacrer à l’écriture et aux conférences.
Revenons donc à ce livre ! L’histoire est relativement simple (c’est bien la seule chose simple dans le roman ...). Un meurtre crapuleux est commis, on découvre le corps d’une femme qui a
été ébouillantée et tuée de nombreux coups de couteau. Sauvagement ! Avec rage ! Patrick Vivier est le commandant chargé de l’enquête et il sera assisté par Garrance Hermosa, psycho-criminologue.
Ces deux-là ont eu une relation assez particulière et les effets sont encore très marquants: des relations tendues ... et tordues.
La victime, Charlotte Delaumait est une personne absolument antipathique. Le lecteur découvre, au fil de sa lecture, une femme rongée par l’ambition, qui prête son corps pour se construire des
influences et qui se sert des travers de tous, pour les faire chanter. Sorte de veuve noire du chantage, chacun de ses partenaires sexuels ne s’en sort jamais sans égratignures, sans être écorché
et dépouillé de toute dignité. Une victime idéale qui a créé une brochette de suspects. Et tout ce petit monde se retrouve dans une organisation pour personnes super-intelligentes: Potens.
Les personnages secondaires sont intéressants, complexes, chacun possédant des caractéristiques et une histoire qui en font des suspects idéaux. L’auteure sculpte au scalpel, des cerveaux
dérangés, des pensées morbides et des comportements pathologiques. L’analyse de chacun de ces personnages est franchement très intéressante «Ils se présentent comme des «têtes»
quand ils ne sont que des «crânes vides». Cependant, quelquefois, lors de certains passages, la richesse et le nombre de détails peuvent facilement rendre certains lecteurs (dont
moi ...) un peu confus.
L’histoire est construite autour de trois axes.
Premièrement, menée par ce couple explosif l’enquête s’étire à certains moments en longueurs ; mais heureusement, l’intrigue prend de l’ampleur et du tonus, dans les derniers chapitres. Les
premiers jalons du travail d’investigation m’ont semblé un peu lent mais le rythme s’accélère, les suspects se succèdent à la barre, très rapidement et le lecteur peut enfin courir après la
résolution de cet énigme criminelle.
Puis, dans quelques chapitres, l’auteure nous invite dans la tête du meurtrier pour un petit voyage au pays de sa folie meurtrière. Cette petite visite dans le psyché du coupable permet à
l’auteure de parsemer des indices nous permettant de faire certains liens entre ces chapitres «en italique» et l’enquête qui se mène parallèlement.
Et enfin, le plus intéressant pour moi, l’histoire de Garrance Hermosa, «héroïne» principale du roman, personnage passionnant par son histoire, riche et complexe par ses comportements déviants,
attachante par ses faiblesses, captivante par son enfance et fascinante par ses choix pas toujours avisés. Suivre l’évolution de cette personne, intrigante dans les deux sens du mot (québécois et
français), est tout à fait passionnant; et j’ai vraiment hâte de lire sa 3e aventure. La sortie du premier livre (Écho) en poche fera probablement partie de mes futurs
achats.
Juste un mot sur le style d’Ingrid Desjours. Je devrais plutôt dire les styles ... J’ai été charmé par certaines phrases, drôlement bien tournées, parsemées, ici et là, au fil de son
écriture. Par exemples:
«Elle est un sculpteur apraxique qui ne sait exprimer que sur sa propre chair les tourments qui ravagent son coeur.»
«Elle était à bout de forces, à bout de souffle, en bout de course.»
« ... Charlotte était un enfant de remplacement, un enfant-pansement conçue pour conjurer la mort de son ainé ...»
Et ensuite, j’ai été secoué, par des phrases coup de poing, des phrases choc:
« - Et que me donnes-tu en échange ?
- Mon cul. Sans limite. Et un enfant ...»
«Il lui donna exactement ce qu’elle était venue chercher. Du simple, de l’acte mécanique, efficace. Pas de tendresse, de mots doux ou de baisers. Juste un échange de sueurs à la hâte, la
douce brûlure d’une pénétration rapide, le plaisir du fast food qui vous rassasie et vous laisse un délicieux arrière-goût de honte, le sentiment d’être une moins-que-rien indigne de toute forme
de tendresse, juste bonne à s’offrir au premier venu et à pousser des râles de jouissance sous une porte cochère.»
J’adore ce mélange de langages, de la poésie et du langage de rue ; quand un auteur trempe successivement sa plume dans les nuages de la poésie et dans les feux brûlants de l’enfer. Comme je
reconnais les aptitudes de l’écrivaine pour une écriture et un style recherchés, soignés et esthétiques, j’aurais aimé qu’elle exprime plus ce talent, qu’elle nous abreuve de phrases nous
démontrant son talent.
Oui, en général, j’ai bien apprécié ce roman malgré quelques longueurs et certaines confusions probablement dues à l’ampleur de l’information donnée. Malgré deux passages assez sanglants (la
description du meurtre et l’autopsie) et une langue assez crue par moments, je recommande quand même à tous ce livre, même aux «âmes sensibles». La véritable noirceur de ce roman réside
dans l’analyse psychologique des acteurs de ce drame. Et cela, Ingrid Desjours l’a réussi haut la main.
Un gros merci à Sophie (cliquez ici pour voir son blogue) qui m'a offert ce livre, directement de l'autre côté de l'Atlantique !
Bonnes lectures !
Potens
Ingrid Desjours
Nuit Blanche
2009
374 pages