7 Février 2013
«Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé»
Une phrase glanée quelque part entre les méandres de Facebook et les montagnes russes de la twittosphère, une phrase qui m’a fait sourire mais surtout, une phrase qui ne va pas du tout avec l’auteur du roman «Liquidations à la grecque», Petros Markaris. Ce jeune auteur de 75 ans ne perd pas son temps à regarder le passé, au contraire. À l’âge vénérable où chacun aurait tendance à tourner le dos à l’avenir, Petros Markaris jette un regard sur le présent et nous concocte une trilogie.
J’adore !
Je rêve d’être comme Markaris, Camilleri, d’Ormesson ... et vivre ma vie jusqu’au bout !
Bon, revenons à la littérature !
Petros Markaris est un auteur grec qui porte un regard acéré et tranchant sur la société dans laquelle il vit. Il fournit à son personnage toutes les occasions de râler et de tempêter contre la circulation, la pollution, l’immigration albanaise et aussi, les travaux exigés par la tenue des Jeux olympiques. Markaris fait de son commissaire un exemple presque parfait d’un policier au mauvais caractère.
Le commissaire Kostas Charitos a les deux pieds sur le sol d’Athènes et toute sa tête à ses enquêtes. Sans être autant colérique que son collègue sicilien, Charitos ne laisse pas sa place pour faire quelque colères libératrices. Mais Charitos a la chance d’avoir à la maison, une femme qui sait comment le prendre, comment le manipuler (oh !! quel mauvais mot !), comment guider ses choix ...
Voyons cela de plus près.
Ce sixième roman de la série Charitos commence dans la joie ... ou presque, quelques minutes avant le mariage de Katérina, la fille de Charitos et de Adriani, la femme du commissaire. Phanis (le futur marié) attend à l’église pendant que la mère et la fille scrutent chaque petit détail. Et que le niveau d’ébullition de colère du commissaire monte dangereusement.
Dehors, une magnifique Seat Ibiza espagnole, pour ne pas encourager les Allemands, les Asiatiques ou les Français ... pour être solidaire entre pauvres. Elle remplace la vieille Miraflori qui aurait fait les délices du musée Fiat; pas de direction assistée, pas d’air climatisé, pas de tout ou presque ... Pour les habitués de Markaris, la disparition de la vieille automobile de Charitos demeure un moment triste ! Rappelons-nous ses sautes d’humeur, ses colères durant les très très chaudes journées de l’été athénien.
Dans cette atmosphère de fête, commence une enquête atypique, placée au centre des problèmes financiers de la Grèce et comme dans une suite du phénomène mondial des Indignés. Des banquiers sont décapités par l’épée (celle de Damoclès ??), les manifestations bloquent les rues d’Athènes, une campagne de tracts immerge la ville de slogans «Ne payez pas vos dettes», «Ne payez pas vos impôts», «Ne remboursez pas les banques». De quoi, énerver grandement les financiers ... et les politiques.
Qui se cache derrière cette campagne de publicité ? Quel rapport avec cette série de meurtres? Tous les Grecs ont des raisons de se mettre en colère et dans tout le roman, chaque personnage déballe un mobile possible: perte d’emploi, coupe de salaire, perte de bénéfices marginaux, retraite retardée ou remise aux calendes ... (non, je ne la fais pas, elle est trop facile !!!). Bref, tout un chacun possède une raison de frapper ceux qui ont provoqué un tel pétrin ...
L’enquête de Charitos est passionnante. J’adore ce policier qui réfléchit, qui râle, qui peste contre tout ce qui l’empêche d’avancer. Celui qui prend tous les moyens pour arriver à ses fins. Et plaisir sublime, après un bon repas préparé par Adriani ou même, après une bonne dispute sur tout ou sur rien, le repos du guerrier, se plonger dans son dictionnaire, lieu de savoir, de connaissances mais aussi de réflexion !
L’écriture de Petros Markaris est fluide, efficace et toujours teintée d’un humour accrocheur.
« - Tu sais pourquoi tu es le plus intelligent, ici ? lance-t-il en guise de bonjour.
- Celle-là, je l’entends pour la première fois. Je t’écoute.
- Parce que tous les autres sont des crétins. Tu es le plus intelligent par élimination.»
« ... pour Adriani, la meilleure thérapie, c’est le martyre silencieux.»
Sans être didactique et même en étant tout à fait intéressant, Markaris nous présente avec amour, sa Grèce blessée, et dans son économie, et dans sa joie de vivre.
Par une analogie avec la bouffe ... qu’il aime tant (surtout les plats d’Adriani ...) ;
«Comme plat de résistance il y a la crise économique et les discussions sans fin avec les dirigeants des partis, les syndicalistes et divers autres spécialistes. Resservi chaque soir, le plat de résistance est devenu soupe populaire. Cependant, le fricot de ce soir évoque plutôt la haute gastronomie.»
Ou plus crûment, dans cette triste réalité d’un drame au quotidien ...
«Quand mon mari meurt, sa retraite est supprimée au lieu de m’être reversée. Ce qui veut dire que je vais me coltiner un connard pendant mes quarante années de boulot, me crever la paillasse, lui faire des mômes, il va me gonfler toute ma vie et à sa mort je ne pourrai pas toucher sa retraite comme préjudice moral. C’est ça l’égalité, la justice ?»
Je vous recommande grandement la lecture des derniers romans de Petros Markaris. J’avoue que les deux premiers romans de la série sont très moyens mais à partir du troisième, «Le Che s’est suicidé» (son meilleur selon moi ...), vous entrerez dans un imaginaire «à la grecque» qui saura vous charmer. Sous le soleil d’Athènes, pris dans la circulation dense de ses rues, à la table d’Adriani, au commissariat de Charitos ou en parcourant une page d’un dictionnaire, chaque lecteur y trouvera un petit bonheur de lecture ... hellénique !
Bonne lecture !
Liquidations à la grecque
Petros Markaris
Policieurs Seuil
2012
328 pages
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