16 Janvier 2012
Comme beaucoup d’autres amateurs de romans noirs, j’avais été complètement séduit par «Garden of love» de Marcus Malte, publié au début de l'année 2007. Ce roman, d’une richesse et d’une complexité qui pouvait en dérouter quelques-uns, nous happait par le style de l’auteur et par cette ambiance très particulière qui enveloppait, et les personnages, et les lecteurs qui s’y aventuraient.
Le dernier Marcus Malte, "Les Harmoniques", n’a pas cette complexité, ni cette atmosphère déroutante, mais il possède une puissance qui m’a encore une fois envouté. Le retour de ses premiers héros, le pianiste Mister et le chauffeur de taxi Bob, donne, évidemment une couleur typique à ce roman.
Pour ceux qui ne le connaitraient pas, Marcus Malte (de son vrai nom Marc Martiniani) (Excusez-moi, je viens de ma laisser aller dans le potin artistique ...) est un écrivain français, prolifique auteur de romans pour adultes, de nouvelles et de littérature pour la jeunesse. Il est aussi un excellent musicien.
Sur son site internet, il a écrit d’ailleurs une phrase que j’affectionne particulièrement:
" Je suis né en 1967 à la Seyne/Mer, et j’y suis resté. Devant la mer.
J’ai fait des études de cinéma, mais ça n’a pas trop marché.
J’ai fait un peu le musicien, mais ça n’a pas trop marché.
Aujourd’hui j’essaie d’écrire des histoires. On verra. "
En ce qui me concerne et en accord avec ses lecteurs, Marcus Malte peut maintenant dire qu’il est un des meilleurs auteurs de polars de la France. Contrairement au cinéma et à la musique, l’écriture, a été une réussite. Et «Les Harmoniques» est, selon moi, un excellent polar musical, pour la musique de ses phrases et celle qui teinte de ses notes et de ses harmonies, chacune des pages de ce roman.
Permettez-moi une parenthèse. On parle beaucoup de livres électroniques et de liseuse ... mais je viens d’y voir toute une utilité, en lisant ce roman de Marcus Malte. À tout moment, les personnages parlent de la musique, en choisissent, en écoutent; ce serait fort plaisant, qu’intégrée à l’oeuvre, lecteur puisse écouter la même musique que les personnages du roman. J’ai tenté l’expérience en lisant quelques chapitres avec mon ordinateur branché sur YouTube ... ! Et bien, ce fut une expérience sensorielle assez extraordinaire. Je me suis senti beaucoup plus près de ces deux compères et du climat dans lequel ils évoluaient !!
Bon, assez de divagations ... Revenons en à l’histoire !
Vera Nad est retrouvée morte, complètement calcinée, dans un vieil entrepôt. La jeune yougoslave d’une vingtaine d’années était actrice et fréquentait régulièrement le club de jazz où jouait Mister, le grand pianiste noir. Deux jeunes dealers de drogue avouent le crime; la police classe l’affaire, tout est réglé ! Un simple fait divers qui ne suscite aucune autre question. Affaire classée !
Pas pour Mister, qui réussit à convaincre son ami Bob que cette affaire cache quelque chose. Vera ne prenait pas de drogue; elle ne trempait donc pas dans ce milieu. Nos deux héros partent donc sur le chemin tortueux qui les mènera peut-être vers une autre vérité. Moins assurée. Plus laide encore que les apparences. peut-être même, plus énorme qu’elle n’y parait!
Commence alors cette longue quête qui les mènera dans une école de théâtre bien particulière, premier arrêt avant de pénétrer dans un monde peuplé de pourris, de magouilleurs, de comploteurs et de politiciens véreux. Les douze portraits de Vera retrouvés dans une exposition seront le passeport qui les mènera jusqu’aux rives du Danube, en passant par Paris et par Vukovar.
Vukovar, le village où tout a commencé ! Vukovar, là où un énigmatique narrateur nous raconte le chemin parcouru par Vera. Intercalé entre les chapitres du récit, ce mystérieux personnage fait revivre Vera, nous la décrit dans ce passé tout récent et dans celui, plus lointain, plus horrible. Ces arrêts, ces chapitres en italique, sont d’une poésie et d’une force qui transcendent violemment le développement du récit. Les réponses s’y trouvent mais elles suscitent d'autres points d'interrogation.
Marcus Malte réussit un tour de force en nous décrivant un monde violent, infâme, sans jamais qu’une goutte de sang ne vienne tacher notre lecture. Le récit des horreurs d’une guerre lointaine nous sont racontées avec justesse et émotions; l’auteur les imagine dans ses mots; le lecteur les lit et s’en fait une image toujours juste. Sans démonstration inutile.
Le style de Marcus Malte est d’une poésie prégnante ... Son écriture est complexe mais parfaitement lisible ... Ses images nous touchent ! Ses personnages nous collent à la peau. La belle Vera est morte dès le début mais sa présence est tellement forte qu’on voudrait la ressusciter et la faire revivre dans les bras de Mister.
Il ne faut pas oublier également l’amour inconditionnel de l’auteur pour la mer. Dès les premières phrases du livre, dans une scène pleine d’émotions, avec une trame musicale, un fond harmonique tout en douceurs, le récit commence par cette vision aveugle de «cette modeste flaque noire» qu’est la mer en pleine nuit. Le ton est donné, la musique flotte tout doucement, le récit commence, le lecteur se laisse emporter par les vagues musicales et le doux ressac de la poésie de l’auteur.
La mer, nous la verrons sûrement un jour !!!
Voici quelques extraits illustrant le style de Marcus Malte:
« Ce type est un vrai poète: on lui donne trois poils de cul, il en fait une balayette.»
«Il y eut des nuits mémorables - putain ça, oui -. de purs orgasmes auditifs, d’inconcevables délires aussitôt nés aussitôt morts et dont le seul souvenir est celui qui restera à jamais gravé dans la cire des oreilles de ceux qui y étaient.»
« Qu’importe celui qui trône. Qu’importe le maître, pourvu qu’on ait la place à ses pieds. Pour profiter de ses caresses. Et bouffer ses restes lorsqu’il est repu. Et monter la garde. Et mordre lorsqu’il l’ordonne. Brave bête, va.»
Un dialogue qui m’a fait sourire:
« - Ah ! Le hasard ... Sais-tu ce que disait Kierkegaard à propos du hasard ?
Mister sentit une grande lassitude l’envahir. Ses paupières tombaient toutes seules. Il dut faire un effort pour les relever.
Non, dit-il. je ne sais pas.
Dommage, dit Bob. J’aurais bien aimé connaître son avis sur la question.»
Et finalement, un superbe paragraphe que j’ai lu et relu pour m’en imprégner:
« La photo.
Celle qu’il eût préféré ne jamais exposer à son regard. Inexorablement. Une lame la recouvrait, elle sombrait, s’enfonçait, disparaissait dans une des fosses profondes de la mémoire et alors l’espoir naissait, celui de la savoir perdue, enfin, engloutie, exilée, celui de la savoir condamnée à l’oubli et aux ravages de l’éternité, mais sitôt caressé ce rêve s’évanouissait tandis qu’à l’opposé elle renaissait, elle, toujours elle, la photo, tache grise, puis blême, puis claire de plus en plus à mesure qu’elle se détachait du noir des abysses et remontait, palier par palier, resurgissait du néant en dansant sa petite danse lente et obstinée, légère, mouvement ascensionnel exactement contraire à celui de la feuille morte et desséchée - telle sa trajectoire reflétée dans le miroir du temps, dont l’air de rien elle bouleversait le cours, le prenant à rebours - et ainsi réapparaissait, progressivement, grossissait, se précisait, se regorgeait de vie et de force et finissait par émerger, nette, implacablement nette, en révélant ce qui jamais n’aurait dû être et qui pourtant était»
Vera.
Sa faiblesse.
Sa défaite»
Essayez d’être insensible à la puissance de cette phrase ... à tout le drame qui se cache derrière une seule photo !!!
Et après, seulement après, je vous souhaiterai, bonne lecture !
Les harmoniques
Marcus Malte
Série noire
Gallimard
2011
370 pages
Il m'était impossible de parler d'un roman aussi "jazzé" sans vous mettre en référence la chronique de l'oncle Paul, un grand amateur de jazz !! Allez-y faire un tour ! (Juste ici !)
Le site de l'auteur: Marcus Malte
Marcus Malte présente "Les Harmoniques":