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3 Février 2013
«Le corps des femmes est un champ de bataille»
Juste avec le titre, vous pensez vraiment que ce sera un roman ordinaire? Impossible !
Vous ne retrouverez pas ici un petit polar aux allures d’enquête classique, avec un policier qui court après un truand, un criminel. Oh non !
En y pensant bien, vous n’y verrez pas un thriller haletant qui vous transportera dans un monde frigorifiant créé par le vent et la vitesse des pages qui tournent frénétiquement ! Non plus !
Même en cherchant bien, vous ne trouverez pas beaucoup d’humour pour alléger le climat, un coin de ciel plus clair pour détendre l’atmosphère, la tension interne du lecteur envahi par une armée de phrases venues combattre l’ennui.
Ce que vous retrouverez dans «Le corps des femmes est un champ de bataille», c’est quelque chose d’autre, un peu indéfinissable, insaisissable, presque évanescent. Un monde créé par Laurent Chabin ! Ses mondes sont parfois étranges, quelques fois déjantés, parfois inquiétants mais jamais ternes.
Ici, le champ de bataille, vous pourrez le visiter dans cette rue de Saint-Louis, aux États-Unis. Une rue qui, la nuit venue, devient aussi inquiétante que toutes les autres. Mais pas autant que le couloir de la mort de cette prison du Missouri. Nous sommes le 1er septembre 2009, un meurtrier vient d’être exécuté; une certaine société américaine a obtenu sa ration de vengeance nécessaire à l’assouvissement de ses croyances. L’affaire est close ! Il a été exécuté pour le meurtre de deux personnes; les preuves étaient accablantes. Et puis quelle idée de tuer quelqu’un dans la nuit précédant le matin d’un certain 11 septembre 2001. Qui s'intéresse vraiment à ce tueur ?
Et le roman ne fait que commencer!
Oublions les policiers, oublions les enquêteurs, nous pénétrons dans un récit qui sort des sentiers battus. Le meurtrier est un romancier, un auteur respecté, un grand parmi les grands. Sa réputation n’est plus à faire; on l’étudie dans les plus grandes facultés universitaires.
«Chatham, en une nuit, était passé de la gloire littéraire la plus éternelle au néant le plus nauséabond»
Les victimes, un couple d’amis canadiens. Lui, Léo Cavanagh, un peu plus jeune, est en passe de devenir un écrivain aussi célèbre que son ami américain. Sa femme, Maurine, qui l'accompagnait à cette conférence universitaire, est sauvagement violée et assassinée.
Les circonstances sont claires, les mobiles pas évidents mais les preuves irréfutables. Lee Chatham est condamné et sa vie se finira par une injection léthale. Jusqu’au dernier moment, il a nié, clamé son innocence. Jamais il n’a avoué ses crimes. Il n’est pas le premier, ni le dernier; d’autres avant lui l’ont déjà fait. L’innocence ne se clame pas; comme la culpabilité, elle doit se prouver.
Quelque part, à Montréal, une jeune étudiante en littérature comparée, commence sa thèse en mettant en parallèle l’oeuvre de ces deux auteurs. Découragée par son directeur, elle conserve l’étude de l’oeuvre de la victime, en évitant celle du criminel ... et commence une enquête bien particulière pour comprendre ce qui s’est passé, cette nuit du 11 septembre. Voici donc, notre enquêtrice nouveau genre: jeune, très belle, impudique et provocante, avec l’innocence de sa jeune vingtaine et une culture littéraire riche ... dont elle aura bien besoin.
Et voilà, tout est en place pour un polar atypique, truffé d’échanges passionnants sur la littérature, quelques phrases assassines sur les écrivains et quelques scènes de sexe pour pimenter la lecture. Laurent Chabin, dans son style très personnel nous brasse l’intellect avec une ambiance noire mais supportable, une enquête toute en nuances où les questions sont plus souvent d’ordre littéraire que criminel mais où le lecteur se sent quand même au centre d’un récit où la trame se tisse d’un fil d’Ariane mince et coloré.
Le lecteur est pris par l’intrigue mais aussi, il rencontre au fil (hum ... je sens que je tricote un peu ...!) des événements, des moments de grâce littéraire, quelques fois même, assez iconoclastes. Et des moments étonnants, même parfois assez dérangeants, qui laissent un peu pantois, qui vous impliquent tout en vous gardant hors de l’histoire.
«Les grands écrivains ménagent des blancs dans leur oeuvre afin que les lecteurs puisse s’y investir et participer au jeu. Le scribouillard, lui, ne sait pas se retenir et il aligne les mots jusqu’à l’indigestion.»
Malgré un ou deux romans où je me suis perdu dans l’imaginaire de Laurent Chabin, j’aime beaucoup la production de cet auteur qui écrit autant pour les grands que pour les petits. Chabin ne fait aucune concession à son imagination et c’est tant mieux. Parfois c’est difficile à suivre, c’est toujours passionnant mais souvent, ça crée un très bon moment de lecture. Ce dernier roman fait partie cette catégorie de roman qui nous divertit tout en nous charmant par le style et la poésie de son langage.
«Le corps des femmes est un champ de bataille» est un polar littéraire ( puisque presque tous les personnages sont des auteurs) qui prouve que le polar peut être ... littéraire.
Quelques extraits:
«Le nom de Minski surnage vaguement dans les brumes de mon esprit comme un cadavre de méduse, ses poils urticants s’entortillant autour de mon cervelet avant de se déliter dans ma conscience enfin revenue.»
Cet extrait, je ne le prend pas personnel:
«Les romanciers mentent, c’est leur métier; mais les critiques les surpassent, c’est le leur ...»
«Un écrivain n’est pas un danger pour personne, il n’est qu’une arme de destruction légère ... Dérisoire et fragile. Tout ce que le plus grand écrivain du monde est capable de détruire, c’est lui-même. Les autres, les impuissants, les baveux, les dysentériques du mot imprimé, ils survivent.»
«Dans cette affaire, reprend-il avec un sourire en me fixant de ses yeux noirs, personne ne sait rien mais tout le monde s’imagine que les autres savent quelque chose. Alors chacun prêche le faux pour savoir le vrai, et le faux des uns devient le vrai des autres, et vice versa.»
Bonne lecture !
Le corps des femmes est un champ de bataille
Laurent Chabin
Coups de tête
2012
220 pages
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