27 Avril 2012
Il y a bien longtemps en Galilée, l’ange Gabriel annonçait à Marie qu’elle serait mère, et que cet enfant serait le Messie (et bien plus encore pour certains……. bien moins pour d’autres)
2000 ans plus tard, Ora, femme juive et mère de deux enfants, refuse de voir par la porte vitrée de l’entrée, les chaussures noires de ceux qui viendraient lui annoncer qu’Ofer, son benjamin, soldat de Tsahal, est mort.
En Grèce, on tuait les messagers porteurs de mauvaises nouvelles.
En Israël, Ora a décidé que le meilleur moyen de conjurer le message c’est de fuir le messager, de lui soustraire son destinataire et de raconter …. Et raconter encore.
Parler pour vivre, ou se taire pour vivre encore.
C’est pour protéger son fils avec ses mots qu’elle court retrouver son ami d’enfance, Avram, celui qu’elle avait rencontré adolescente dans un hôpital en compagnie d’Ilan (qui deviendra son mari et le meilleur ami d’Avram, mais aussi tant d’autres choses ….)
Au cours des 650 pages de cette randonnée au travers de la Galilée, de cette fuite, se déploie sous la plume de Grossman, le destin des ces enfants juifs, jouets d’une histoire qui les dépasse et les transcende.
Ora se raconte, raconte sa vie, ses enfants, à celui qu’elle n’a plus vue depuis des années, celui à qui elle a interdiction de parler de LUI.
C’est un livre dont on ignore l’existence des mystères qu’il recèle avant qu’ils ne vous explosent au visage, au détour d’un mot, d’un signe.
Car Ora croit aux signes, elle aussi.
Les signes qu’on conjure, les hasards qui n’en sont pas, les regrets et les remords qui hantent une vie, celle d’une femme, d’une mère et, encore plus, d’une mère juive en Israël.
Et puis les questions …. Tellement de questions….
Une mère peut/doit elle accepter de voir ses enfants devenir des hommes tellement durs, tellement loin des espoirs qu’ils portaient à 3, 5, 10 ans ?
Une mère peut elle accepter de voir l’homme que devient son fils, tuer l’enfant qu’il a été, ou ceux qui sont nés du mauvais côté de la foi ou de la frontière ?
Une mère peut-elle, doit-elle, soutenir envers et contre tout, contre sa raison et sa conscience, la chair de sa chair, quand elle s’égare ?
Est-ce cela être une femme, une mère ?
« On ne fait pas de littérature avec des bons sentiments » disait Gide.
Alors assurément ce livre est écrit à l’encre de la grande littérature.
Quand l’auteur va au-delà de l’histoire superficielle, quand il conte les sentiments tels que nous refusons de nous les avouer à nous même, pourtant dans le secret de notre âme.
Quand tout à l’air tellement nu, tellement brut, et pourtant tellement complexe et sophistiqué qu’il n’existe pas de mots assez denses pour décrire ce livre.
Il y a des livres qui vous prennent aux tripes et vous assènent des coups de poings au visage, comme « Le voyage au bout de la nuit » ; et puis il y a ceux qui sont une implosion sourde aux creux de nos ventres comme cette « femme fuyant l’annonce ».
Et par dessus tout, il y a le courage et l’humanité d’un écrivain juif, qui n’oublie jamais les souffrances du peuple palestinien qui partage cette Terre et son destin.
Mais il y a surtout la dignité et la force d’un père, dont le fils a payé le plus cher des tribus alors que le livre était déjà presque terminé.
La vraie question est de savoir où David GROSSMAN a trouvé le courage de vivre au-delà de ces pages et de porter le poids des signes qu’il a lui-même écrit de sa main.
Si on me demande une fois encore, « qu’est ce que la littérature », je répondrai c’est « le voyage au bout de la nuit d’une femme fuyant l’annonce ».
Une femme fuyant l'annonce
David Grossman
Seuil
2011
Cette chronique a été écrite par Attila qui je l'espère deviendra chroniqueure régulière sur "Polar, noir et blanc"
R. M.
Voici une excellente entrevue donnée par David Grossman au Nouvel Observateur
Et pour mieux connaître ce personnage qu'est David Grossman, regardez cette vidéo: