21 Mars 2012
Imaginez qu’en ouvrant ce livre, les gymnopédies de Satie commencent lentement à résonner à vos oreilles ;
Imaginez, qu’imperceptiblement, la température se mette au diapason de l’automne norvégien ;
et enfin, laissez doucement l’enfant de 10 ans, tapi en vous, gagner vos sens, vos émotions, vos peurs et vos désirs.
Si vous ne pouvez faire ce chemin à l’envers, alors, passez au large, la porte du "Palais de glace" ne s’ouvrira pas à votre approche, et vous risqueriez de vous ennuyer médiocrement dans cet univers de ce qui ne peut se dire.
Mais si cet enfant oublié, endormi au creux de vos souvenirs, peut sortir de son engourdissement ;
si vous pouvez encore sentir le vertige de l’absolu de vos 10 ans ;
si vous avez su autrefois, qu’on pouvait mourir d’amour autrement qu’en chanson, et que le compromis n’était pas une façon de vivre;
si vous vous êtes déjà senti «semblable à une goutte sur une branche »;
si les signes invisibles aux yeux d’adultes ont un jour peuplé votre univers ;
et si enfin, vous n’avez pas tout à fait oublié la route pour y revenir.
Alors plongez maintenant sans retenue dans le monde de VESSAS, « le magicien de l’indicible ».
Venez à la rencontre de Unn et Siss, «cœurs d’amour épris qui reviennent naturellement à l’essence de leur hantise de perfection ».
Deux petites filles dont le cœur va connaître l’amour absolu tel qu’il ne peut exister qu’à 10 ans. Et c’est la crainte de la perte de cet amour, ou la certitude que rien, jamais, ne pourra le surpasser, qui ouvrira à Unn la porte du "Palais de glace".
Siss devra à son tour choisir entre ce mausolée de la pureté, ou l’appel du monde, celui des adultes, celui d’un amour moins pur, ce monde dans lequel les petites filles n’ont plus peur la nuit, car les hautbois claironnent sur les côtés de la route.
Si résonnent encore en vous les serments de vos 10 ans, et que le temps qui passe vous a délié de vos promesses ;
Si, comme Siss, vous avez voulu croire que les choses peuvent redevenir comme avant ;
Si pour vous « un garçon a transformé le Palais »
Alors, avec le soleil du printemps norvégien, la rivière en crue emportera les derniers vestiges du Palais de glace, comme le temps qui jamais ne s’arrête, emporte avec lui l’absolu et la froide pureté de l’enfance.
Mais même emporté par la rivière du temps, votre cœur peut encore se demander «à qui parlons nous lorsque nous nous taisons ? ».
Quelques extraits pour entrapercevoir le monde de Vesaas
« Il fait nuit. De quoi s’agit-il ?
Du cadeau.
Je ne comprends pas.
Il fait nuit et on m’a fait un beau cadeau.
On m’a fait don de quelque chose que j’ignore, que je ne comprends pas. Ce présent est là, à m’observer sans rémission.
Il m’attend. »
« Des deux côtés de la route, les hautbois avaient surgi.
On marche très vite alors qu’on voudrait que le chemin n’eût jamais de fin »
Et celle qui illustre parfaitement son univers, tant sur le fond que sur la forme :
« Ce n’est quand même pas agréable lorsqu’une fenêtre s’ouvre sans raison. On balance entre la réalité et l’imagination ».
Pour finir, un extrait de la préface qui donne une clef de l’œuvre de VESSAS (préface à ne surtout pas lire avant le roman, si vous ne voulez pas vous gâcher le moment en connaissant les tours du magicien avant le spectacle) : « un an avant de mourir, il a confié : ce que je voulais, c’était raconter le jeu caché et secret qui se passe aux heures de la nuit, quand le jour nouveau point à peine et que tout devrait dormir dans la maison. »
En refermant le "Palais de glace", on ne peut que constater qu’il a magnifiquement réussi, et se consoler en se rappelant que les magiciens ne meurent jamais.
Palais de glace
Tarjei Vesaas
Flammarion Poche
1993
Chronique proposée par Attila.
Merci Attila, d'avoir accepté de relever ce défi !