" La Tristesse du SamouraÏ " sous le soleil noir de l'Espagne
La préface de "La tristesse du Samouraï" nous convoque au chevet d’une Maria agonisante, au sujet de laquelle l’auteur nous transmet quelques notes biographiques, en ce mois de mai 1981 :
« Elle avait trente-cinq ans. Avocate de renom, séparée, sans enfants, elle vivait avec une autre femme (…). Elle risquait par ailleurs un procès pour l’assassinat de plusieurs personnes, un jugement qui ne serait jamais prononcé, car Dieu, ou toute entité qui gouverne les destins, avait déjà prononcé la sentence : coupable sans appel. »
Le premier chapitre nous transporte à la gare de Mérida, le 10 décembre 1941. Accompagnée de son jeune fils Andres, Isabel Mola s’enfuit de chez elle pour quitter un mari violent. Le train la mènera à Lisbonne (le précepteur de son fils lui a donné une adresse où se réfugier) puis elle ira en Angleterre. Toutefois, un sbire de son mari la retrouve. Jamais il n’est nommé mais on apprend que cet homme et Isabel ont eu une liaison et Isabel est d’autant plus ébranlée d’être menacée de mort par celui qu’elle aimait.
Le fils ne veut pas quitter sa mère mais le traître lui promet un katana s’il revient à la maison de son père. Andrès retournera auprès de son père qui ne l’aime pas et Isabel périra de la main de son amant.
Le destin des deux femmes est intimement lié mais le lecteur devra s’engager dans un labyrinthe de lieux, de situations et de rebondissements avant de comprendre le lien dramatique qui les unit depuis 40 ans.
L’auteur nous fait percevoir le climat de ces deux époques à travers les faits et gestes de Guillermo Mola (le mari d’Isabel) et de son bras droit, chef de la sécurité, Publio, devenu député dans les années 1980. Dans le roman, Victor del Arbol lui fait mener des affaires avec le représentant du Vatican, avec l’ambassadeur d’Allemagne et même avec le gendre de Mussolini. Il recourt à la délation, aux exécutions sommaires, aux emprisonnements arbitraires pour maintenir son pouvoir.
Ce Guillermo Mola n’est pas seulement un mari violent; c’est aussi un père dénaturé. Il ne peut supporter Andres qui est un enfant différent; il se débarrasse de son aîné, Fernando, en l’intégrant à division Azul. [1] Fernando prononce alors des paroles prophétiques : "Dieu m’est témoin que je te rendrai au centuple le mal que tu nous as fait à tous."
Et cette vengeance, elle impliquera de multiples personnages dont les vies s’imbriquent les unes aux autres, au fil de l’intrigue.
Pourquoi la tristesse du samouraï? Gabriel, le père de Maria était forgeron d’armes à Mérida durant quelques années. C’est lui qui avait forgé le katana donné au jeune Andres. En 1980, un inconnu vient le voir et lui montre un petit dragon en bronze encadré de deux œillets :
"- C’était l’une des deux pièces qui ornaient chaque côté de la poignée.
Gabriel prit la pièce que l’autre lui tendait et y jeta un coup d’œil professionnel.
- Ce n’est pas à proprement parler un ornement, dit-il. Ces protubérances que vous voyez là servent à caler les doigts pour que le sabre ne glisse pas.
(…)
- Comment appeliez-vous ce sabre? Ah oui : la tristesse du Samouraï."
Trahisons et complots se succèdent sur trame d’histoire espagnole pour faire de "La Tristesse du Samouraï", un suspense complexe dont les rebondissements nous font admirer la maîtrise romanesque de Victor del Arbol. Chaque personnage vivra longtemps dans mon esprit.
Magistral, à lire absolument!
Des passages à savourer ou à méditer :
"De grands eucalyptus somnolaient sous un soleil d’hiver qui ne réchauffait rien."
"Ne pleure pas sur ton père, mon garçon. Les héros n’existent pas. Et ceux de l’enfance encore moins que tous les autres."
"Le garde leur lança un regard plein de vodka et de toundra"
"La pièce était pleine de recoins qui murmuraient, une géographie mystérieuse de boîtes fermées, de meubles cachés sous les draps et de livres poussiéreux."
Bonne lecture !
La tristesse du Samouraï
Victor del Arbol
Actes noirs
Actes Sud
2012
351 pages
[1] Force expéditionnaire espagnole engagée à aider les Allemands sur le front soviétique.