9 Avril 2012
"La malédiction du voyageur sans bagage" ... Quelle belle image !
Sentiments partagés à la conclusion de cette longue lecture de près de 750 pages du dermier roman de Jean-Christophe Grangé, "Le Passager" : l’impression d’avoir été happé par une histoire haletante, de m’être laissé prendre au jeu mais aussi, d’avoir été dupé par un auteur qui est tombé dans la facilité, pris en flagrant délit de raccourcis romanesques.
J’ai donc eu beaucoup de plaisir à lire ce pavé mais à certains moments, je me suis dit: «Non, Jean-Christophe, vraiment ! Tu aurais pu trouver mieux !» Avec cette histoire tout à fait fascinante, ce sujet mystérieux et intriguant qu’est «le syndrome du voyageur sans bagages», ce long voyage à travers le cerveau et la vie par étages d’un homme tourmenté par ses passés, l’auteur a parfois pris quelques raccourcis qui font en sorte qu’on en sort avec le sentiment que ça aurait pu être un très grand roman.
L’histoire commence par un meurtre banal (pour le lecteur, pas pour la victime !). Ah ! mais j’oubliais, l’assassin avait empalé la tête d’un taureau mort sur la tête de sa victime.
Mathias Freire, psychiatre, reçoit dans la clinique qu’il dirige, le témoin et éventuel suspect de ce meurtre. Son nouveau patient a perdu la mémoire; il ne connait ni son nom, ni son lieu de résidence et encore moins ce qu’il faisait sur la scène d’un crime.
Commence alors cette descente aux enfers, cette enquête angoissante sur un passé tout proche mais complètement effacé de la mémoire. Et surtout, ce passé est remplacé par un présent fabriqué par on ne sait qui, un présent pas toujours joli, peuplé de fantômes incontrôlables qui rattachent à ce passé d’hier qui cache celui d’avant-hier ... Chaque lecteur le moindrement curieux, sera fasciné par la découverte de cette maladie mentale (réelle), cette fugue psychique qu’est cette «amnésie dissociative, résultant d’un traumatisme émotionnel.»
Il est très difficile de résumer ce roman car je ne pourrais que vous dévoiler des éléments qui gâcheraient votre plaisir de lire. Alors, comme l’éditeur l’a fait, je passerai donc sous silence l’intrigue mais je me paierai quand même le plaisir de vous parler de quelques éléments du roman.
Bien sûr, il y a des meurtres, parfois crapuleux et toujours en plein jour. On ne fait pas dans la dentelle dans ce milieu ! Quelle idée extraordinaire de relier ces assassinats à la mythologie: du Minotaure à Pégase en passant par Icare et Dédale.
Oui, oui, il y a un bon ! Un bon qui pourrait être un méchant mais qui ne l’est pas ... ou peut-être que oui.
Et évidemment, il y a la jolie enquêtrice, engagée, volontaire, belle à croquer mais avec un passé trouble et un père qu’elle préférerait oublier. Parlant d’oublis, Anaïs (car tel est son prénom) oublie très souvent les règles et les modes de fonctionnement de sa hiérarchie. Ce qui lui vaut, souvent, quelques misères et des tapes sur les doigts plus ou moins fortes.
Et, ô bonheur, il y a une intrigue ... et toute un intrigue. De celle qui se tisse rapidement et qui ne vous lâche plus jusqu’à la fin du roman ... ou presque.
Finalement, il y a le «style Grangé» ! Efficace, direct, ciselé, un brin surfait et parfois non crédible. Mais si on passe ces quelques petits moments, on est en droit de s’attendre à de bons moments de lecture.
Mais, ce qui laisse un goût amer, ce sont les raccourcis qu’a pris l’auteur pour faciliter l’écriture et le développement de l’intrigue. J’avoue que la première fois, je me suis dit que l’auteur avait peut être le droit à cette petite récréation, à cette entourloupette qui fait en sorte que tout arrive au bon moment; mais quoi, on est dans la fiction ! Mais quand, ça se reproduit à quelques reprises, quand ça devient presqu’une habitude, quand on sent que l’auteur aurait dû faire un effort supplémentaire pour trouver un filon plus crédible ... permettez-moi de vous dire que j’ai été tenté de laisser ma lecture en plan.
Mais ma curiosité légendaire et livresque l’a emporté sur mon côté critique. Devoir de blogueur de donner au moins une chance à l’auteur.
Quelques exemples de ces «hasards très hasardeux» :
Voilà donc quelques incohérences qui entachent notre plaisir de lire. L’auteur aurait-il pu faire autrement ? Sûrement ! Personnellement, je crois qu’il aurait pu resserrer son intrigue et trouver quelques liens un peu plus crédibles. Mais si vous recherchez un bon «thriller», prenant, haletant, vous êtes quand même à la bonne adresse.
Enfin, voici quelques extraits qui illustrent le style toujours percutant de Jean-Christophe Grangé:
«Le monde n’est pas un visage de Dieu mais un mensonge du démon.»
Dialogue entre la policière et le psychiatre d’un hôpital:
«- Aucun malade ne s’échappe ?
Aujourd’hui, on les appelle des usagers.
Comme dans le bus?
C’est ça, sourit-il. Sauf qu’ici, on ne va nulle part.»
«Les pierres patientes d’un mur opaque, dressé entre son passé et son présent.»
«L’homme est une bête. Il suffit de lui lâcher la bride pour qu’il repousse les limites de l’ignoble.»
«Elle se tenait au-dessous du niveau de la mort.»
Finalement, si vous avez besoin d’une bonne lecture divertissante et que votre âme de lecteur est prête à pardonner quelque invraisemblances, je vous conseille d’attendre un peu et de vous procurer ce pavé ... quand il sortira en livre de poche. Votre frustration sera moins grande ! Et je me sentirai moins coupable de vous le recommander tout de même!
Bonne lecture !
Le passager
Jean-Christophe Gramgé
Albin Michel
2011
749 pages
Un article très intéressant de L'Express sur l'auteur: "Comment devient-on Jean-Christophe Grangé? "