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9 Janvier 2011
Quel étrange roman
!
Première vibration pour "La huitième vibration" de Carlo Lucarelli !
Je vous l’avoue : j’ai pensé arrêter ma lecture de ce livre au moins cinq fois. Quelle erreur j’aurais faite ! C’était seulement une question d’attitude, d’attente
ou même de façon de lire. Si je n’avais pas compris l’invitation que me faisait l’auteur, j’aurais passé à côté d’un excellent livre et surtout, je n’aurais pas eu la chance d’apprécier, jusqu’au
bout, un romancier qu’il me tarde de mieux connaître.
Commençons donc par mon désenchantement ! La lecture de la 4e de couverture m’avait complètement séduit. Une galerie de personnages tout aussi loufoques les uns que
les autres, un petit village africain envahi par des Italiens colonisateurs, des Africains résignés (??), une mi-sorcière et une petite fille qui danse inlassablement dans un climat d’histoires
d’amour, de trahison et de préparation d’une guerre, gagnée d’avance. Il n’y avait qu’un pas à faire pour penser se retrouver dans le réalisme magique des sud-américains ... Oh que non
!!!
Les premiers chapitres nous plongent dans cette atmosphère chaude et humide de l’Afrique orientale.
Tout le monde sue ... le lecteur, aussi. L’ensemble des personnages nous est présenté à tour de rôle, en action, en histoire ... et en photographie. On arrive
difficilement à faire des liens entre les différents chapitres, entre les personnages et l’action qui se déroule. Je cherchais l’histoire, je devais me laisser bercer par les histoires. Plus
tard, au courant de notre lecture, on comprend toute l’importance de cette présentation de personnages dans les premières pages du livre.
Page 99 ! Je referme le livre en me disant que j’avais fait tous les efforts; l’auteur m’avait perdu ! Je repose le livre et comme d’habitude: REMORDS.
Je lui laisse une dernière chance.
Page 100 ! Un personnage prend l’autre par la main: «Pour l’amener chez lui, le zaptiè l’avait pris par la main ... puis il s’était rappelé que c’est ainsi
qu’on fait à Massaoua, jeunes et vieux marchent dans la rue, doigts emmêlés, comme les enfants ...» Voilà, j’avais trouvé le mode d’emploi de ce roman. me laisser prendre par la main,
marcher dans ce village en regardant les gens vivre, en entrant dans les maisons, les salons ... et les chambres, en épiant les militaires préparant cette guerre inévitable, en souriant de
l’incompétence, de la désorganisation et de la malhonnêteté de certains dirigeants et même, parfois, en assistant à certains ébats amoureux licites ou illicites.
En me laissant guider par ce plaisir de voyeur, en me promenant, de chapitre en chapitre, en découvrant chaque personnage pour ce qu’il est, en suivant les
événements, un par un, sans chercher à faire de liens et même, en me faisant ami avec certains d’entre eux, je me suis laissé porter par un bonheur de lecture bien particulier ... que je
recommande sans réserve.
Oui quand même ... pas une réserve mais un avertissement: Commencez votre lecture en vous disant que chaque chaque chapitre, chaque personnage est un roman en soi.
Puis, à un moment donné, vous vous rendrez compte qu’il y a un fil conducteur, une trame qui tisse un lien entre chacun ces personnages. Oui, oui, laissez-vous porter par la beauté de Aïcha, les
amours de Cristina, l’éloquence des silences de Sciortino, Serra, un carabinier prêt à «tout» pour arrêter un tueur d’enfants, le discours politique de Pasolini qui combat complètement nu pour ne
pas s’identifier à l’armée et à la guerre, les rêves économiques de Léo, les préparatifs militaires du lieutenant Amara et du capitaine Branciamore. Et tout cela, dans la chaleur prégnante du
village de Massaoua.
Pour ma part, j’ai adoré le personnage de Pasquale Sciortino, soldat, bègue et un peu niais mais qui manifeste une tendresse toute particulière à son petit plan de
fèves et à la femme qu’il aime. « ...il fit un rêve érotique comme il en faisait, beaucoup d’imagination et peu de souvenirs, car Sciortino ne l’avait pas encore fait avec personne,
jamais, pas même aux pâturages, avec les brebis.»
Évidemment, on connaît la fin de cette histoire mais on s’y laisse amener avec beaucoup de plaisir. L’écriture de Lucarelli est tout à fait spéciale, d’une poésie
toute empreinte de sensations. L’auteur décrit l’atmosphère et le climat tellement bien ... que même en hiver, ici au Québec, on se prend avoir chaud ( avec le feu de foyer, j’avoue que ça aide
...).
Je ne connaissais pas du tout, Carlo Lucarelli. Mais j’ai vraiment l’intention de mieux comprendre cet auteur de romans policiers qui vit à Bologne et qui met
en scène des Italiens en Afrique en disant qu’il commençait avec «La huitième vibration», sa deuxième vie d’écrivain. J’explorerai donc ses premiers romans (comme
«Almost Blue») avec son personnage fétiche de l’inspectrice Grazia Negra et aussi, j’irai probablement découvrir un polar historique comme «L’Île de l’ange
déchu».
Je vous propose certains extraits pouvant illustrer le ton de ce roman:
«Sa tâche était de faire disparaître la marchandise inexistante au moment du débarquement à Massaoua ... Faire disparaître quelque chose qui existe n’est
pas difficile, il suffit de la voler. Mais pour faire disparaître quelque chose qui n’a jamais existé, c’est différent. Il faut la Magie.»
«Mission morale, nous devons apprendre à ces sauvages à porter des chaussures et à ne pas se promener les attributs à l’air ...»
« ... toutes les autres, sont nues, alors qu’elle, au contraire, elle semble déshabillée.»
« ... elle portait sur le visage toutes les années qu’elle n’avait pas encore.»
Au plaisir de la lecture.
La huitième vibration
Carlo Lucarelli
Métailié
2010
414 pages