20 Juillet 2011
Chère madame Laura,
Vous permettez que je vous appelle Laura ?
J’aimerais prendre cette liberté juste pour vous remercier, chère Laura, de m’avoir fait cadeau de votre livre. Et c’est pour cela, et aussi pour d’autres raisons, que je mentionnerai plus tard, que j’ai décidé de vous écrire cette lettre au lieu de faire la critique de votre roman.
Non, non, n’ayez crainte ! J’ai beaucoup aimé votre roman; en fait, je l’ai adoré, j’ai été conquis, mais ce n’est pas pour cela que je vous écris cette lettre.
La première raison, elle se situe au coeur de votre générosité. Quel plaisir de recevoir un courriel, tout discret, comme une entrée sur la pointe des pieds, me demandant la permission de m’envoyer votre livre parce que, dans la liste de mes livres lus, il n’y a pas de thriller judiciaire. Cette première gentillesse est tellement difficile à refuser !
Quelques jours plus tard, le colis a traversé l’Atlantique et m’arrive avec une petite dédicace toute simple mais tellement appréciée. Comme blogueur, je reçois des livres de beaucoup de maisons d’édition et c’est toujours un plaisir; mais quand on reçoit le livre, directement de l’auteur, avec un mot, ça devient alors un moment magique. Quelle que soit la phrase écrite, quel que soit le message, ce que j’y lis, c’est un don de soi, le résultat d’un travail de création, c’est l’âme de l’auteur qui se livre à toi.
Alors, ce livre prend toute une importance, devient un objet précieux et se voit accorder une place spéciale parmi toutes les lectures faites et à faire. Dès lors, le lecteur doit choisir avec précaution le moment pour le lire, l’occasion et le climat pour rendre justice à l’oeuvre ... et à son auteur.
Mais tout ceci ne justifie pas encore pleinement cette lettre !
Quand j’ai commencé la lecture de votre roman, j’ai tout de suite aimé l’atmosphère que vous bâtissiez avec votre style limpide et agréable. L’écriture souple coulait comme une source au printemps et les pages se succédaient à un rythme assez rapide. Dès la fin du «long» prologue, j’étais pris dans l’histoire et je voulais savoir ce que vous réserviez à ce magnifique personnage de Mélanie Vincent, excellente enquêtrice mais mère absente «qui ne faisait rien pour paraître séduisante, mais elle plaisait.»
Mais surprise, vous m’avez déstabilisé, pour la première fois: les prochains chapitres oubliaient complètement (sauf à quelques occasions) ce personnage que l’on venait de rencontrer, que l’on avait appris à aimer. Lecteur un peu frustré mais acceptant de jouer le jeu, je me suis laissé porter par une autre histoire et la découverte d’un personnage assez peu agréable à suivre: Mathis Clay’h, avocat et buveur, dans une pente descendante vers un néant éthylique, la déchéance imprégnée dans le visage et dans l’allure, qui s’occupe de petites causes d’aide juridique.
Cependant, il porte un lourd secret et il tarde au lecteur impatient de le connaitre et surtout de faire des liens avec la première histoire. Mais vous, auteure démoniaque, vous jouez un peu avec cette impatience et vous nous trainez dans les dédales de commissariat lugubre et de palais de justice, en nous laissant macérer gentiment.
Mais la créature la plus effrayante que vous nous offrez, est bien l’accusé de ces meurtres horribles, ce monstre qui aurait fait vivre à une dizaine de jeunes filles des tortures inhumaines en les ligotant artistiquement ... pour créer cette nouvelle discipline, «La Géométrie du tueur». Vous l’avez créé avec de multiples contradictions qui ont l’art de nous mettre sur des fausses pistes tout en nous prouvant sa culpabilité si évidente et son innocence présumée: manipulateur, bon père de famille, intelligent, esprit tordu, sain d’esprit et psychopathe ! Et vous le laissez imposer un dilemme cornélien à ce pauvre avocat en lui faisant faire le pire des choix, en lui infligeant une terrible torture psychologique.
Voici donc une autre raison qui justifie cette lettre ... Pour vous dire combien le lecteur, amateur de polars et de thrillers, apprécie ce jeu de chat et de souris dans lequel vous, l’écrivaine, êtes la sardonique "maître" du jeu ! Quel plaisir de sentir cette complicité entre l’auteure qui tire les ficelles de ses personnages et le lecteur qui s’y emmêle, avec un plaisir coupable et consenti !
J’étais conquis, ravi et surtout prêt à me rendre au bout de ma lecture en vivant le paradoxe d’un roman haletant: lire rapidement pour connaître toutes les ficelles du récit et de son dénouement mais ralentir ma lecture pour déguster le talent de l’auteure. Un heureux mélange, générateur d’excellents moments de lecture.
Puis, tout à coup, au détour d’un paragraphe, un doute s’est créé: deux paragraphes qui se suivent mais avec une certaine cassure du récit. Comme lecteur, j’accroche, j’arrête, j’essaie de comprendre, je me pose des questions. Quelles étaient les intentions de l’auteure ? Ma réaction ?? "Wait and see" comme disent les Chinois (du Chinatown de San Francisco, évidemment !).
Moins d’une centaine de pages, plus tard ... même expérience !! Même doute ! C’est là que j’ai décidé de vous envoyer un petit mot pour vous demander une explication !
Et là, autre élan de gentillesse et disponibilité extraordinaire, vous m’avez répondu tout de suite (malgré le décalage horaire ...). C’est alors, en lisant votre réponse, si éclairante (effet de stylistique), que j’ai décidé de ne pas faire de chronique sur votre livre mais de vous dire toute mon appréciation pour ce chaleureux contact avec ce lecteur éloigné de l’autre continent.
Évidemment, en publiant cette missive sur mon blogue, je ne peux faire autrement que de vanter votre livre (le premier que je lisais ...) et de le recommander aux lecteurs de «Polar, noir et blanc».
Car les deux histoires dont je parlais tantôt vont évidemment se rencontrer dans une explosion d’événements qui tiendront les lecteurs collés sur leur chaise. Ils ne pourront faire autrement que de se laisser surprendre par votre imagination créatrice et les nombreux revirements et rebondissements de votre récit. J’en suis presque venu à arrêter de faire mes propres hypothèses parce que vous réussissiez tout le temps à me déjouer par de l’inattendu, de l’étonnant et même parfois, du déroutant. On s’en délecte par pure gourmandise littéraire !
Vos futurs lecteurs seront intéressés par le déroulement dynamique du procès qui ne prend pas toute la place dans le roman. Et surtout, en ce qui me concerne, je suis convaincu qu’ils seront charmés par votre style d’écriture qui fait en sorte que jamais, même avant la fin, on ne se doute du dénouement final.
Au fait, une question bien personnelle, un doute (encore !!) qui m’est venu à l’esprit à la lecture des dernières pages: est-ce réellement un dénouement final ? Ne reste-t-il pas quelques secrets à dévoiler ? Seriez-vous en train de nous préparer une suite aux aventures (!!!) de Mélanie et de Mathis ?
Et voilà, cette lettre a été écrite juste pour vous remercier. Un merci sincère d’un lecteur, un peu groupie, à une auteure qu’il vient de découvrir.
Et si par hasard, cette lettre est lue par quelques-uns de mes lecteurs, je leur conseille grandement la découverte de votre roman et je leur dédie ces quelques extraits ... juste pour le plaisir égoïste de les relire.
«C’était l’usage de ne jamais demander explicitement de faveur. Avocats et policiers sollicitaient de menus services les uns aux autres de manière indirecte, avec des simagrées et des cadeaux, telles des tribus indigènes voisines. Il convenait de sauver les apparences et de ne pas donner l’impression qu’on contournait les procédures.»
«Son petit dossier de vol de voiture virait au drame bourgeois, avec des petits secrets inavouables, son linge sale qu’on ne veut pas laver avec un domestique, et ses préjugés qui éclatent au moindre conflit.»
«Elle avait prêté serment comme d’autres prononcent leurs voeux et portait la robe noire comme une soeur de la Charité, la sienne, pour signifier qu’elle était au service des autres.»
« ... Vous me citez des philosophes, vous me parlez de géométrie et vous vous exprimez comme une tireuse de cartes !»
«Elle restait bouleversée, égarée sur le trottoir. le ciel au-dessus d’elle était d’un blanc crayeux. L’aube se levait. Tout son être désirait retourner vers lui, mais l’appréhension, mêlée à un sentiment de honte et d’impuissance, l’en empêchait.»
Merci madame l’auteur !
Merci madame Laura !
Au plaisir de vous lire !
Richard
La Géométrie du tueur
Laura Sadowski
Odile Jacob
2011
380 pages
S. Pour mes lecteurs qui ne connaitraient pas la bibliographie de Laura Sadowski, je vous présente les trois autres livres, publiés chez Odile Jacob.
«La peur elle-même», 2010
«L’Origine du sexe», 2009
«L’affaire Clémence Lange», 2008