9 Janvier 2013
«L’ambition va toujours plus loin quand elle se déguise en vertu»
Éric Dupont parlant au nom d’une Madeleine ...
Sensation particulière !
Je termine ce roman et je me dis que je viens de lire quelque chose de vraiment spécial. Un chef-d’oeuvre ? Peut-être pas ! Un excellent roman ? Oh oui ! Sûrement quelque chose de rare, une impression de m’être laissé bercer ( ou berner ? ) par un grand écrivain qui me raconte une excellente histoire.
Passionnante ! Touffue ! Surprenante ! Intelligente ! La même sensation quand lorsque j’ai terminé la lecture de «Cent ans de solitude» de Gabriel Garcia Marquez.
«La fiancée américaine» d’Éric Dupont fait déjà l’unanimité au Québec bien que ce roman ne soit pas d’un accès facile. La grosseur des caractères vous rebute un peu: 557 pages qui ressemblent beaucoup plus à un bon gros pavé de 700 pages. Mais, s’il vous plaît, passez outre ce premier réflexe et lancez-vous à la découverte des Madeleine qui «hantent» de leur présence, cette famille des Lamontagne de Rivière-du-Loup.
Voici donc l’histoire d’une famille bien particulière se déroulant sur presque un siècle où il doit toujours y avoir une femme vivante prénommée Madeleine. Louis Lamontagne, surnommé le Cheval (à cause de sa force herculéenne ...) fils de Madeleine l’Américaine, élevé par sa grand-mère, Madeleine-la-mére ( oui, oui avec un accent aigu !), «produira» une famille de trois enfants dont, vous l’aurez deviné, une Madeleine qui adorera les histoires de son père.
L’histoire commence par la recherche désespérée de Madeleine-la-mére qui s'acharne à trouver une Madeleine qui épousera son fils, Louis-Benjamin. Finalement, cette Madeleine viendra des États-Unis. Elle charmera une partie du village; Louis-Benjamin en tombera follement amoureux et un soir de Noël, à la messe de minuit, au milieu d’une Crèche vivante, Madeleine l’Américaine accouchera de Louis ( futur Cheval Lamontagne ) et mourra juste après l’accouchement. Entouré de sa grand-mère (ou grand-mére ...) et chouchouté par les religieuses du couvent local, le petit Louis (12 livres à la naissance !) grandira en force et en beauté. Il deviendra le plus bel homme du village ... avec ses yeux couleur sarcelle !
L’adolescence passée, le Cheval partira à la guerre, y découvrira la musique classique ("Que ma joie demeure"), fera sa marque et à son retour, il sillonnera les États-Unis, comme un saltimbanque, en exhibant sa force et en laissant, ici ou là, quelques coeurs blessés par son départ.
De retour à Rivière-du-Loup, il assistera à la mort de Madeleine-la-mére qui pour une raison inconnue du lecteur continuera à intervenir dans le roman comme elle le fait le jour de son enterrement où on lui demande, dans sa tombe, où elle a rangé le sucre.
« Au lieu de s’épuiser à donner des directives qui seraient de toute manière à répéter le jour suivant, la Mére décida de se lever pour trouver le sucrier et se recoucha ensuite ans son cercueil.» Attention, futurs lecteurs ... cette fantaisie, inexpliquée, fait partie d’une entente implicite entre l’auteur et le lecteur ! Pour notre plus grand plaisir, il faut y croire ... sans comprendre ! Comme un mystère !.
Et voilà, le début de cette histoire rocambolesque, qui agrémentée des extraits de la Tosca, nous transportera à NewYork, à Berlin, à Rome, à Toronto et à Montréal, en partant de Fraserville ( http://fraserville.ca/ ) qui deviendra en 1919, Rivière-du-Loup. Le lecteur suivra les péripéties de Madeleine qui mettra sur pied une chaîne de restaurants de petits-déjeuners avec l’aide de son amie Solange. Mais le noeud de l’histoire, le coeur de cette passionnante saga familiale, mettra en scène les deux fils de Madeleine, Michel, le chanteur d’opéra et Gabriel, le professeur d’éducation physique (qui se monte une bibliothèque bien garnie en volant un roman à chacune de ses conquêtes d’un soir ( ou plus ...).
Tout au long du récit, vous serez remués par les nombreux rebondissements qui feront en sorte que très rarement (ça m’est arrivé une fois ... une dizaine de pages ... sur 557 ...) vous serez ennuyés par le récit. À moins de trouver ennuyeux un meurtre avec une tarte au sirop d’érable, une «grand-mére» morte-vivante qui passe ses commentaires et qui aide au salon funéraire de son petit-fils, un francophone venant de Toronto qui écrit des lettres dans le métro aérien de Berlin, un prêtre artiste qui peint un chemin de croix ou une religieuse qui subtilise un bijou à une morte ... Vous en voulez encore ? Une rescapée de la Deuxième guerre mondiale qui écrit son journal et pourquoi pas une clé de fa qui n’est pas du tout musicale, même une petite chainette en or qui voyage allègrement ou pourquoi pas, des religieuses (mayas ?) qui annoncent la fin du monde ? Le roman est foisonnant et le récit nous transporte ... Un véritable bonheur de lecture !
L’histoire est passionnante. Éric Dupont nous démontre un souffle, une énergie inépuisable, une capacité à maintenir une tension constante. L'auteur installe graduellement l'histoire de cette famille, nous dépeint cette généalogie bien particulière et nous entraîne joliment vers une intrigue, une quête de la vérité qui nous prendra aux tripes. Il réussit à conserver notre intérêt par le déroulement du récit et parfois par la magie de son imagination complètement débridée et des digressions toujours intéressantes, L’histoire est superbement bien écrite et surtout, l’auteur nous offre quelques phrases géniales qui nous charment et nous enchantent. Son style est riche; ses dialogues efficaces, parfois drôles mais souvent touchants.
Et le récit s’enrichit d’une galerie de personnages digne des romans «réalistes magiques» d’Amérique du Sud. Chacune des Madeleine possède son charme personnel; on regrette même le très court passage de la Madeleine du titre, elle qui ne fait que passer mais qui est tellement présente dans notre esprit. Mais le lecteur sera ravi par la Madeleine contemporaine, propriétaire machiavélique de restaurants dans plusieurs pays, celle dont le premier mot prononcé a été le chiffre 12 avant même de dire maman ou papa et qui est la mère des énigmatiques jumeaux, angéliquement prénommés Michel et Gabriel. Et comment ne pas être touché par la tendresse un peu équivoque des enfants du beau Louis Lamontagne qui parfois prennent des poses bien particulières pour écouter les histoires de leur père ou pour s’endormir.
«La fiancée américaine» est le quatrième roman d’Éric Dupont. Il a fallu 7 ans de recherche et deux ans d’écriture pour nous offrir un roman d’une qualité extraordinaire. Alors, n’hésitez pas à vous lancer dans cette lecture joyeuse et festive, laissez-vous émouvoir par ces personnages aussi vrais que natures et surtout, suivez ces intrigues, ces rebondissements, en vous laissant charmer par l’écriture et le style de l’auteur.
Voici donc quelques extraits pour vous convaincre, si ce n’est pas déjà fait:
« Combien de fois avait-il essayé de raisonner le garçon ? Il était allé jusqu’à lui expliquer que les feux ardents peuvent parfois être éteints temporairement du moins et qu’il suffisait pour ça de se trouver quelque endroit où on était certain d’être en paix et de se varloper le madrier jusqu’à ce que bourdonnent les oreilles.»
« L’homme était devenu une sorte de ruine parlante, un morceau de patrimoine dont il était impensable de se départir, qu’on tolérait comme on endure le prof sénile sur le point de prendre sa retraite.»
« Ils étaient arrivés juste après Venise, un gros et un maigre. Un Laurel et l’autre, un peu trop hardi, s’étaient installés et cuisinaient maintenant la jeune femme de leur langage grivois.»
« Loin d’évoquer la grâce du vol des anges, son visage rappelait l’effondrement du mur de Jéricho que l’Annonce faite à Marie. Quant à sa voix, un filet rauque émis par une gorge grise et ridée, on l’eût crue sortie d’un trou profond et fumant sur une terre dévastée.»
Bonne lecture !
La fiancée américaine
Éric Dupont
Éditions Marchand de feuilles
2012
557 pages
La maison d'édition: Éditions Marchand de feuilles
Un peu de musique ... "Jésus, que la joie demeure"
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