10 Avril 2011
Shane Stevens n’écrit pas de romans faciles ! Commencer son livre, c’est se plonger dans un voyage complexe, exigeant, peuplé de personnages marquants
mais avec une histoire tellement passionnante. Lire du Shane Stevens demande un certain effort mais cet effort est drôlement récompensé. "L'Heure des loups" saura vous
récompenser!
Avril 1975 ! Trente ans après la fin de la guerre. Le récit commence par une «banale» scène de
suicide. Dieter Bock, ancien membre des SS, est retrouvé pendu à une corde de piano. Très rapidement, la thèse du suicide se transforme en meurtre et l’inspecteur César Dreyfus est chargé de
l’enquête. Commence alors une enquête, une quête aux multiples facettes où chacun des acteurs (nombreux et complexes) essaie de cacher des vérités ... et des mensonges.
Le personnage de l’inspecteur Dreyfus est absolument fascinant: complexe, torturé par un passé
qui le hante, brisé par une vie conjugale ratée, torturé par un désir de vengeance et hanté par une histoire d’amour impossible.
L’enquête entraîne l’inspecteur tourmenté dans des chemins tortueux des milieux de l’espionnage, de
la haute finance, de l’industrie et du monde de la diplomatie, à la recherche d’un trésor caché, qui a existé ... ou non. Et pour pimenter la sauce, on y ajoute un peu d’interventions du Mossad
et de recherche des criminels de guerre nazis. Mais surtout, cette enquête se transforme rapidement en une vendetta personnelle de l’inspecteur Dreyfus: Juif et orphelin il est une victime des
camps de concentration qui lui ont volé ses parents.
L’histoire est absolument passionnante malgré quelques longueurs. Shane Stevens ne lésine pas sur
les détails: les personnages nombreux, les interrogatoires formels et informels, les rencontres croisées, les réflexions et les échanges entre les différents paliers de la justice
française. Et comme dans «Au-delà du mal», une des très grandes forces de cet auteur réside dans sa capacité à nous décrire la psychologie de ses personnages; les
pages les plus prenantes sont celles où l’inspecteur Dreyfus jongle avec ses souvenirs, exprime sa haine du régime nazi et joue avec les limites morales des actes de vengeance qu’il pourrait
poser.
«Le garçon se prend pour un homme. Il les a vus venir pour emmener ses parents, il se cache
terrorisé, pendant qu’on les entraîne, il entend leurs cris, il pleure quand ils sont partis ... L’inspecteur espérait cette fois délivrer le gamin; il se voyait comme le vengeur et l’accusé, et
probablement y était-il condamné.»
Le lecteur devra faire l’effort de se rappeler que le roman se passe en 1975 et ne pas oublier le
contexte du moment: la recherche des criminels de guerre, la guerre froide et le monde communiste et aussi, une absence des moyens modernes d’enquête ... Cependant, malgré le fait que l’on ne
connaît pas les origines de l’auteur, on peut noter une grande connaissance de Paris et une capacité à bien décrire cette époque. Et même ... « En termes de hiérarchie, le directeur des
services n’était responsable que devant son directeur général, qui n’écoutait que le préfet, qui ne parlait qu’au ministre de l’Intérieur. Le bruit courait que, depuis la mort de De Gaulle,
le ministre de l’Intérieur ne parlait qu’à Dieu.»
Il faut noter également la richesse de l’écriture du romancier et la qualité de la traduction.
Certains passages, plus descriptifs et nécessairement moins factuels, révèlent un style imagé, alliant une certaine poésie avec une dose d’humour assez intéressante.
Le lecteur doit se laisser porter par le rythme imposé par l’auteur. Des chapitres doivent être lus
avec célérité, portés par l’action qui déboule; à d’autres moments, le lecteur devra prendre un rythme beaucoup plus lent, suivre avec minutie et lenteur, un passage tout en nuances, un moment
intense de réflexion ou une description détaillée et précise.
Comme je le disais au début de cette chronique, lire du Shane Stevens, ce n’est pas facile ... mais
la récompense est quand même là ... dans le développement de l’histoire, dans la qualité de l’écriture et dans la complexité des personnages. Et au détour d’une page, vous tomberez sur un
dialogue savoureux ... comme celui-ci:
«-Vous lisez toujours à l’envers ? s’enquit César.
Seulement quand je lis entre les lignes.»
Et parfois, vous serez étonné par un petit côté didactique où l’auteur vous transmet, sans
pédanterie, quelques informations culturelles intéressantes comme la composition du menu du condamné Louis XVI, la veille de sa montée sur l’échafaud.
Si vous avez besoin d’un roman haletant, où chaque page vous transporte vers la prochaine à toute
vitesse; et bien passez votre chemin !! Ce livre n’est pas pour vous. Mais si vous recherchez un excellent roman psychologique, avec un fond historique captivant et des ambiances multiples, si
vous n’avec pas peur d’un récit complexe ... et bien ce roman répondra amplement à vos attentes.
Du style et un bon récit !!! Voilà en résumé «L’Heure des loups» !!! Et
voici donc, quelques extraits ... juste pour le plaisir de la découverte.
«Le garçon en lui n’avait vu que la forêt, la forêt à explorer. L’homme avait fini par y
voir la jungle. le crépitement de la mort était partout et le lion aveugle serait bientôt dévoré par des fourmis en colère.»
«Aux tables des hommes faisaient la roue et des femmes la moue, et tout le monde s’exprimait
avec exubérance.»
«Vous pourriez faire sauter un Suisse dans l’ail, il sentirait encore
l’argent.»
«L’histoire disait que l’oiseau de paradis rendait visite à chaque personne une fois
seulement. Si vous n’étiez pas chez vous, il laissait une plume de sa queue et c’est tout. Si le vent emportait la plume, vous n’aviez rien. Mais il vous restait l’espoir de recevoir un jour la
visite de l’oiseau de paradis.»
Joli, n’est-ce pas ?
Bonne lecture !
L’Heure des loups
Shane Stevens
Sonatine Éditions
2011
524 pages
Pour voir ma chronique sur "Au-delà du mal"