10 Mai 2011
Comme dirait un de mes peintres préférés: ceci n’est pas un polar !!!
Alors attention !
«L’homme qui aimait les chiens» est un roman biographique et historique où vous suivrez la vie d’un assassin et de sa victime. L’assassin s’appelle Ramon Mercader, ou Jacques Mornard; la victime, Lev Davidovitch Bronstein, mieux connu sous le nom de Leon Trotski. Et tout cela, raconté sous la plume d’un écrivain raté, Ivan Cardenas Maturell, qui vient d’enterrer sa femme et qui avait rencontré «L’homme qui aimait les chiens». Un roman à l’image de la peur et du mépris, un roman marqué du signe de la désillusion. Passionnant ... mais difficile.
Tout d’abord l’auteur. Leonardo Padura est le maître du polar cubain. Né à La Havane en 1955, Padura fait des études en littérature hispano-américaine. Il commence sa vie professionnelle comme journaliste. En 1988, il commence sa carrière d’écrivain avec son premier livre «Passé parfait». Principalement axés sur son personnage fétiche, le policier Mario Condé (devenu libraire après sa démission de la police), ses romans provoquent une certaine réflexion sur la société cubaine. Les romans policiers de Padura et son personnage de policier aimant le rhum (évidemment !!!) sont sûrement une découverte à faire.
Mais «L’homme qui aimait les chiens» est d’un tout autre ressort; il ne faut pas s’attendre à lire un roman policier avec une intrigue quelconque. L’Histoire nous révèle tout: l’assassin, le mobile, le moment et les circonstances. Ce roman nous montre plutôt le côté obscur de la désillusion d’une grande utopie, les manipulations et les mensonges d’un politicien en mal de pouvoir et la fabrication machiavélique d’un terroriste, d’une machine humaine à tuer !
Ce roman nous raconte donc trois histoires, trois histoires qui se situent à des époques différentes mais qui convergent immanquablement vers une rencontre meurtrière, un assassinat attendu, connu et quand même angoissant. Mais ce qui l’est encore plus, c’est tout ce qui se cache derrière ce crime, toute l’ambition personnelle de chacun des personnages marquée par une tromperie idéologique tellement grosse ...
Le roman commence à l’enterrement de la femme d’Ivan Cardenas Maturell. Dès ce premier chapitre, le lecteur ressent tout le drame de cet écrivain, sans succès, responsable d’un misérable cabinet vétérinaire mais qui un jour, a rencontré «L’homme qui aimait les chiens». Cette rencontre l’a marqué, bouleversé et lui a laissé un goût amer ... le salaire de la peur. Pris entre la véritable histoire de ce qui est arrivé et le silence imposé par une société qui cache ses mensonges et punit les vérités, Ivan vit une valse hésitation entre écrire ou se taire.
La deuxième histoire nous raconte l’Histoire de la déportation multiple de Trotski, les dessous crapuleux du stalinisme et les impacts et conséquences sur la vie de la famille de Léon Trotski. J’avoue que cette partie est parfois difficile à lire. Le roman est truffé de références historiques, de personnages qui m’étaient complètement inconnus, d’événements qui ont marqué cette époque de l’histoire de l’Union soviétique. Parfois ardu, quelques fois didactique mais aussi très instructif, le lecteur moyen (dont je suis ...) a parfois intérêt à passer rapidement certains passages trop pointus.
Mais cependant, il faut avouer que la réflexion de Lev Davidovitch, la description des misères de l’exil, ses relations parfois difficiles avec ses amis, les pertes successives de ses amis révolutionnaires et son côté humain du vieux monsieur qui nourrit tendrement ses lapins, tout cela nous amène à développer une certaine sympathie pour ce personnage qui avait quelques milliers de morts sur la conscience.
L’attente quotidienne d’un éventuel retour chez lui, cette attente qui l’empêche de «... planter une seule graine en terre reviendrait à admettre la défaite.»
Finalement, la troisième histoire, elle, est carrément passionnante, prenante. Ramon Mercader est le fils d’une agitatrice communiste espagnole, Caridad, la femme qui donnait des baisers au goût d’anis. Un peu par conviction, beaucoup par amour pour la belle Africa de las Heras, ce " ...volcan en éruption ..." et noyé dans les convictions politiques de sa mère, Ramon Mercader accepte de s’impliquer dans le combat pour la montée du communisme mondial. Espagnol, il devra, peut-être, devenir le bourreau de Léon Trotski. Alors, commence un entrainement, une longue marche vers l’action pour laquelle le Parti et surtout, Staline l’ont désigné.
«Ramon se sentit supérieur: lui faisait partie des initiés, au milieu d’une masse de marionnettes.»
Successivement, Ramon Mercader s’efface pour laisser émerger «Soldat 13» et «percevoir une mutation chromatique de sa conscience» ! Ce premier grand «ménage» effectué, il travaillera à devenir Jacques Mornard, et Frank Jacson, celui qui deviendra le bras de Staline, pour assouvir son désir de vengeance ... quand «la chasse au canard sera ouverte.» En attendant ce moment, Ramon s’immerge dans la sainte Trinité imposée par Staline: Obéissance, Fidélité et Discrétion. Et ces dieux sont impitoyables ...!
Tout au long de ce roman, vous rencontrerez des personnages fascinants, des personnalités que vous verrez sous un autre jour, dans un contexte qui ne peut faire autrement que de colorer de noir et de rouge, ce passage de leur existence. Et aussi des chiens ... presque plus respectés que les humains !
Évidemment, la mère de Mercader, Caridad et la femme qu’il aime, Africa, sont des personnages passionnants. Tom Kotov, l’homme aux multiples visages, l’entremetteur entre Staline et Mercader est fascinant. La femme de Trotski, Natalia Sedova qui l’enveloppe de son amour ... comme tout le reste de la famille et qui se résigne à le suivre dans ces différentes maisons, plus prisons que domiciles et toujours dans un climat hostile.
Et aussi Frida Khalo, Diego Rivera, John Dewey, André Breton et la passionnée fiancée de Ramon, Sylvia Ageloff avec son «impressionnante laideur» et l’énigmatique Jaime Lopez !!!!
Évidemment, je ne conseille pas à tous, la lecture de ce roman. Surtout pas si vous recherchez une suite aux aventures de Mario Conde. Cependant, si vous aimez le style de Leonardo Padura, sa façon d’intégrer des personnages historiques dans ses romans et que l’histoire contemporaine vous intéresse, «L’homme qui aimait les chiens» est assurément pour vous.
Le récit de la «construction» de Ramon Mercader en criminel politique est absolument passionnant. Le portrait de la vie de tous les jours, dans le quotidien de Trotski, en exil, est intéressant. Les rencontres, entre Ivan et l’homme qui aimait les chiens sont un peu fades mais apportent quand même un peu de mystère.
Le côté historique est parfois difficile à digérer mais du moment où je me suis décidé à ne pas y attacher toute l’importance qu’il mérite, j’ai retrouvé mon plaisir de lecture, j’ai choisi mon camp, le plaisir du récit plutôt que l’apprentissage de l’Histoire. Et ce pour un bien bon bonheur de lecture.
J’ai été happé par ce roman, par ses histoires et par la qualité d’écriture de son auteur. Leonardo Padura sait écrire ! Son style est percutant et malgré la complexité de l’histoire et la somme des faits historiques, la lecture est quand même agréable. Je l’avoue, j’ai sauté quelques paragraphes, j’ai pris quelques raccourcis et jamais, cela a nui à ma compréhension du roman.
Lecteur, tu as tous les droits !! Même celui de ne pas suivre l’auteur, quel qu’il soit !
« Le jugement et l’exécution de ces communistes deviendraient, pour des siècles, un exemple unique dans l’histoire de l’injustice organisée, et une nouveauté dans l’histoire de la crédibilité. Ce serait l’assassinat de la foi véritable: l’agonie de l’utopie. L’exilé savait bien que c’était aussi la préparation des chefs d’accusation destinés à éliminer le plus grand Ennemi du Peuple, le traître et terroriste Lev Davidovitch Trotski.»
« ... derrière ce silence précaire pouvait se nicher l’explosion mortelle.»
«Mais trente ans de vie commune l‘avertissaient qu’il devait combattre un animal indomptable qui donnait avec la même véhémence sa solidarité ou sa haine, son amour ou son rejet. J’ai peur, avait-il pensé.»
« ... Mets-toi ça dans ta putain de tête une bonne fois: toi, tu ne penses pas, tu obéis; toi, tu n’agis pas, tu exécutes; toi, tu ne décides pas, tu fais ce qu’on te dit. Tu vas être ma main autour du cou de ce fils de pute, et ma voix va être celle du camarade Staline, et Staline pense pour nous tous... Bliat !»
Bonne lecture !
L’homme qui aimait les chiens
Leonardo Padura
Éditions Métailié
2011
671 pages