19 Février 2011
La lecture de
«L’Enquête» de Philippe Claudel, a réveillé en moi des souvenirs de lecture de ma jeunesse estudiantine. Je me suis retrouvé dans un univers très étrange, à mi-chemin
entre l’angoissante atmosphère des romans de Kafka et le regard envahissant et accusateur du Big Brother de Georges Orwell (Merci, Ingrid).
Après avoir été bombardé et sur-stimulé par les aventures criminelles du Bourbon Kid, se tremper dans l’univers de l’Enquêteur demandait une
certaine période d’adaptation. Après la folie jubilatoire de «l’Oeil de la lune», le climat lourd et lancinant du monde décrit par Claudel vous entoure de ses mille fils
d’araignée, vous enveloppant graduellement et vous coupant le souffle.
«L’Enquête» de Philippe Claudel est un roman angoissant, magnifiquement écrit, un roman d’ambiance, un roman tout à fait
irréel qui décrit un univers absurde mais ô combien ressemblant à quelque chose d’indéfinissablement réel.
L’Enquêteur arrive à la gare d’une ville sans nom. Lui, «un être de l’évanouissement, sitôt vu, sitôt oublié», ne trouve personne
pour l’accueillir. Il a soif, il se rend dans un café où on lui refuse un grog. Il cherche un hôtel, il marche des heures et trouve finalement un endroit très particulier. Accueilli par
l’impressionnante Géante, il découvre l’intrigant Hôtel de l’Espérance. Sa chambre se situe en haut d’un interminable escalier aux marches de différentes hauteurs. La salle à manger,
immense, peuplée de Touristes ou de Dépravés, propose (???) un menu peu varié !
L’Enquêteur vient faire son Enquête dans l’Entreprise; il doit résoudre l’énigme d’une série de suicides qui frappent l’Entreprise. Au détour d’un
dédale d’escaliers et de corridors, il rencontre le Veilleur, le Guide, le Policier, le Chef de Service, le Responsable, le Psychologue ... sous l’oeil inquisiteur du Fondateur. Comme vous pouvez
le constater, Personne n’a un Nom, tous ont une Fonction et Chacun ne sait pas ce que l’Autre fait. Il rencontre même un personnage qui «est mort juste avant de se suicider.»
Formidable allégorie d’un monde moderne, l’Entreprise gère tout, surveille tout et s’arrange pour garder le contrôle de ses opérations. Les
suicides: des dommages collatéraux !
«L’Enquêteur ... eut soudain l’impression d’être devenu une souris de laboratoire placée en observation sous des
projecteurs.»
L’Enquête sera difficile, tous mettront des bâtons dans les roues de l’Enquêteur. Jusqu’à la conclusion de son ... Enquête !!!
Un monde hallucinant !
J’ai bien aimé me retrouver dans cette atmosphère glauque, écrasante, où le climat changeant rend la nuit froide et inquiétante et le jour chaud,
envahi par une circulation intimidante. L’écriture de Philippe Claudel nous transporte dans ce monde étrange peuplé d’images angoissantes et oppressantes. Les mines patibulaires, les dialogues de
sourds et l’opacité d’un système castrateur plongent notre anti-héros dans un univers angoissant; cette descente aux enfers pèse lourd sur le lecteur. Mais, on ne peut faire autrement que
d’apprécier cette virevolte littéraire.
Voici donc quelques extraits ...
Et pourquoi pas une prédiction qui semble ne pas se confirmer ou ...
«Il n’est plus temps de descendre dans les rues et de couper la tête aux rois. Il n’y a plus de rois depuis bien longtemps. Les monarques
aujourd’hui n’ont plus ni tête ni visage. Ce sont des mécanismes financiers complexes, des algorithmes, des projections, des spéculations sur les risques et les pertes, des équations au cinquième
degré.»
«En plus de savoir qu’il n’était rien, il se rendait compte soudain qu’il n’était personne. Cette pensée, sans l’inquiéter, entra tout de
même en lui comme un curieux et mince ver pénètre dans un fruit déjà fragile.»
« ... je consacre mon temps à une seule chose: tenter de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là.» ... « ... mes journées je les passe
... à m’interroger. Oui. Je m’interroge. Je ne sors pas de ce bureau. Je ne fais que cela. Sous le regard de ...»
«Un pauvre et banal philosophe, sans envergure, qui portait une culotte de femme et un jogging vert pomme, débitait de pauvres pensées,
usées comme de vieilles casseroles lasses de cuire toujours les mêmes soupes.»
Je vous encourage à vous plonger dans cet environnement cauchemardesque, de retrouver, l’espace de ce roman, un K. moderne dont «Le
Château» se serait transformé en un petit village apocalyptique avec des airs de rappel d’un «1984» du 3e millénaire.
Un plaisir de lecture ... par les mots de Claudel et par les images que son écriture provoque. Lecteur, laisse-toi tenter par l’Auteur et son Roman
!!!
Bonne lecture !
L’Enquête
Philippe Claudel
Éditions Stock
2010
278 pages
P. S. "Tiens, une nouveauté !!! Déjà que l'auteur de ce blogue est un peu "verbo-moteur" et que ses chroniques s'étirent en longueur, voilà qu'il se met à ajouter des Post-Scriptum !!!"
Juste pour vous dire que Philippe Claudel est un auteur à découvrir, qu'il a gagné le "Goncourt des Lycéens" pour son roman "Le rapport de Brodeck"
et que si vous voulez mieux le connaître, je vous offre ce lien vers un bon résumé biographique et bibliographique: à voir ici
!