21 Janvier 2013
Cette chronique sera bien spéciale car je vais vous parler d’un de mes commissariats préférés, d’un policier au caractère exécrable, d’une galerie de personnages qui l’entourent bien et d’une ville fascinante de la Sicile ... qui n’existe que dans l’imaginaire de son auteur.
Andrea Camilleri est le créateur de ce commissaire bien spécial, Salvo Montalbano, nommé ainsi en hommage au grand Manuel Vazquez Montalban., grand écrivain espagnol. Montalbano est commissaire dans la petite ville de Vigata, un village typique de la Sicile.
Je l’avoue d’entrée de jeu, j’ai un plaisir fou à lire les enquêtes de ce commissaire au caractère bouillant et à la réprimande facile. Il me faut ma dose annuelle d’air salin de la Méditerranée. Après quelques bons romans noirs, suivis de bonnes enquêtes par des inspecteurs alcooliques ou véreux, après quelques meurtres violents et inhumains et un ou deux thrillers haletants, j’aime m’aventurer à Vigata où je retrouve l’équipe du «dottore» et tous les personnages qui, roman après roman, me sont devenus familiers. Et oui, avec Montalbano, je me sens entre amis, presque en famille.
Quand je lis Andrea Camilleri, je suis plus qu’un lecteur de polars; je m’imprègne d’une atmosphère chaleureuse, d’une ambiance sicilienne qui réchauffe mon coeur de nordique. Lire les enquêtes de Montalbano, c’est plus que suivre une enquête, quand même fort bien menée, c’est aussi se laisser charmer par une langue bien spéciale, joliment traduite par Serge Quadruppani.
Entrer dans le monde de Montalbano, c’est aussi sentir la pression monter quand l’enquête se corse. C’est aussi accompagner le fidèle inspecteur Fazio, efficace et compétent, mais qui possède la malheureuse habitude de décliner l’état civil des suspects et des témoins comme un généalogiste sur les amphétamines. C’est aussi être témoin de la complicité entre Montalbano et de son adjoint Mimi Augello ... quand ça va bien, c’est-à-dire au goût et à la façon du commissaire.
Entrer dans le commissariat de Vigata, c’est aussi et surtout, rencontrer l’ineffable Catarella, policier aux fonctions nébuleuses, parfois téléphoniste, quelques fois spécialiste en informatique mais toujours hilarant dans sa capacité à transformer les noms et le contenu des messages. Catarella, c’est l’image même de la «parlure» sicilienne, qui nous fait sourire avec ce langage savoureux, à la syntaxe incertaine et à sa façon de créer la confusion. Comme admirateur, j’élèverais une statue à l’effigie de cet adorable personnage.
Passez une journée dans ce commissariat et vous assisterez sûrement à une colère de Montalbano. Et oui, Salvo est colérique, s’emporte pour des riens, fait des tempêtes dans tous les verres d’eau qu’il rencontre, accroche ses crises à des futilités ... surtout quand ça ne fonctionne pas à SON goût. Mais ses hommes l’adorent et lui obéissent au doigt et à l’oeil. La plupart du temps !
Suivre les enquêtes de Montalbano, c’est aussi découvrir le charme de ce personnage, malgré son très mauvais caractère. Montalbano possède un charisme certain car beaucoup de femmes succombent à son charme. Que ce soit des jeunes filles à peine sorties de l’adolescence ou des belles d’âge mûr, la gente féminine est sensible aux atouts du commissaire sicilien. Mais Salvo est, la plupart du temps, l’homme d’une seule femme, Livia. Leur amour, en véritables montagnes russes de passions, d’émotions et de disputes, connait des moments doux et charmants; mais aussi, des disputes orageuses et ce, la plupart du temps au téléphone. Car Livia et Salvo ne se voient que deux fois par année, aux vacances d’été et à Noël. Alors, on prend plaisir ( ah oui ?) à assister à ces scènes de ménage titanesques et surtout à vivre dans la tête de notre impétueux commissaire, la montée de la colère, son expression et, dès le moment où il a raccroché l’appareil, l’arrivée de la culpabilité et des regrets. Comme lecteur, on devient alors, le confident intime de notre ami Salvo.
Mais Montalbano a aussi une fréquentation peu banale, la très belle Ingrid. Amie de longue date, parfois chauffeure lors de certaines enquêtes, elle entretient avec notre bourru commissaire, une liaison un peu nébuleuse, moitié amitié et moitié ... on ne sait pas trop. Partenaires de beuverie, dans les bons et mauvais moments, le whisky coule à flots et parfois, il faut déboucher une deuxième bouteille. Bourrés tous les deux, incapables de conduire, généralement, on les retrouve le matin, au lit, en ne sachant pas ce qui s’est passé entre le dernier verre et le mal de tête du matin.
L’amour de son travail, les femmes et le whisky ne sont pas les seules passions de Montalbano. Comme le très connu personnage de Montalban, Salvo ressemble beaucoup à Pepe Carvalho, le gastronome personnage de l’auteur catalan. Montalbano aime manger; Salvo aime bien manger. Adelina, femme de ménage et cuisinière hors pair, lui laisse chaque jour, un petit plat mitonné avec talent. Après le boulot, notre gourmet commissaire salive en se demandant ce qu’elle lui aura préparé. Suivre les enquêtes de Montalbano, c’est aussi découvrir la cuisine sicilienne, la gastronomie des petites trattorias sur le chemin de l’enquêteur mais aussi la cuisine quotidienne des amis de Salvo. Je dirais même, suivre le commissaire dans ses agapes, donne l’appétit !
Et finalement, lire Andrea Camilleri c’est ressentir le chaud soleil de la Sicile, l’odeur de varechs qui nous chatouille le nez, voir les paysages imaginaires de Vigata et de ses environs, mais c’est surtout se laisser bercer par la langue sicilienne (différente de l’italien) et la syntaxe particulière de ses habitants. Mais attention, si vous lisez pour une première fois une enquête de Montalbano, vous serez peut-être surpris pas cette forme de langage; mais très vite vous serez charmés par ces tournures de phrases et ces mots pleins de sensibilité et de vibrations siciliennes. Et à votre deuxième roman, vous attendrez avec impatience les apparitions du très coloré Catarella s’adressant à Montalbano : « - Ah, dottori ! C’est vosseigneurie ? Qu’est-ce qui fût, dottori ?» Et dans votre tête, vous répondrez: « - Catarella, charmé je suis.»
Voilà, vous savez maintenant pourquoi à chaque année, je me précipite sur le nouveau Camilleri. L’écriture merveilleuse, une enquête menée de main de maître par un auteur fantastique, des personnages attachants que l’on retrouve comme une famille et surtout un climat chaleureux et une atmosphère qui nous procure un véritable plaisir de lire. Je reviens chaque année à Montalbano parce que je m’ennuie de l’auteur et de ses personnages.
Vous ne connaissez pas cet auteur ? Lancez-vous ! Il en vaut le plaisir ...
Il me faut quand même parler de ma dernière lecture « La piste de sable». Montalbano se réveille et prend quelques minutes pour écouter les bruits de la mer, la respiration de la Méditerranée. Depuis quelques temps, Salvo prend plaisir à rester au lit et à se rappeler les rêves de la nuit. Enfin debout, il se dirige vers la fenêtre pour regarder la mer. Sur la plage, juste devant sa fenêtre, est étendu un cheval. Immobile !
Alors, commence une enquête qui amènera le commissaire dans les écuries des alentours de Vigata. Mais aussi, il sera charmé par la présence de la propriétaire du cheval, la sculpturale Rachele. Alors, avec toute son équipe, aidé de la belle Ingrid et de Rachele, Montalbano frayera dans le monde des courses illégales et des mafieux de la Sicile. En même temps, il sera plongé dans une enquête parallèle car sa maison semble régulièrement visitée par des inconnus.
Encore une fois, j’ai été conquis par ce roman de Camilleri même si l’intrigue n’est pas des plus fortes. Cependant, on y retrouve tous les ingrédients qui font d’une enquête de Montalbano, un excellent moment de lecture.
Alors, à table !! Voyons ce que Adelina nous a préparé pour le dîner.
"Une assiette remplie à ras bord de caponata. Six rougets aux oignons. Largement de quoi manger pour deux personnes. Du vin, il y en avait. Il mit la table. Il faisait frais, mais il n’y avait pas le moindre souffle de vent. Par scrupule, il alla contrôler s’il avait encore du whisky. Il n'en restait qu’un doigt au fond de la bouteille. Un dîner avec Ingrid était inconcevable sans quelques solides gorgeons finaux."
Un coup de téléphone de Livia ... « Et acommença l’habituelle, relaxante engueulade nocturne.»
« Parmi les femmes, certaines avaient des chevelures assez vastes pour permettre l’atterrissage d’un hélicoptère, d’autres étaient en minijupe ras le bonbon ou en robe si longue que ceux qui passaient à côté s’y prenaient immanquablement les pieds, au risque de se rompre le cou.»
Et je laisse le mot de la fin à ce très cher Catarella quand Montalbano lui dit qu’il n’est là pour personne: « Vous n’y êtes pas tiliphoniquement ou de présence ?»
La piste de sable
Andrea Camilleri
Fleuve noir
2011
231 pages
P. S. Pour ceux qui ne connaitraient pas ce vénérable auteur de 87 ans, je vous mets en lien avec la page Wikipedia sur Andrea Camilleri:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Camilleri
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