2 Octobre 2012
«Parfois, Victor se demandait s’il devait craindre ce qu’il était devenu ou s’il était devenu ce qu’il devait craindre.»
Après avoir lu «Je me souviens» de Martin Michaud, j’ai ressenti le besoin de retourner à mes sources. Ébahi par le roman, je me suis demandé si on ne devrait pas ré-écrire la définition d’un bon «thriller». Tout de suite, je me suis jeté (pas trop fort quand même) sur «Scènes de crimes» de mon «conseiller spécial» Norbert Spehner et j’y ai lu cette définition:
« ... dont l’intrigue repose sur une action continue, soutenue, avec de nombreux rebondissements et un certain nombre de cadavres, soigneusement répandus dans l’environnement selon les besoins de l’intrigue.»
Et bien voilà ce qu’est «Je me souviens» de Martin Michaud: un excellent thriller. Et même plus ! Pourquoi plus ? Parce l’auteur a su développer ses personnages d’une telle façon, qu’à ce troisième roman de la série Victor Lessard, les lecteurs complèteront leur attachement à cette brigade policière aux personnalités très différentes. Et je vous avouerai (entre vous et moi), que j’ai commencé à apprécier grandement, la bien particulière Jacinthe Taillon, l’affamée adjointe de Lessard.
Et maintenant, je dois raconter l’histoire ? Mission presque impossible ! Mais je vous rassure, vous retrouverez dans le récit tous les ingrédients d’un roman qui vous prendra dès la première page et qui vous laissera, essoufflé mais ravi, à la dernière page. En disant le seul mot qui vous viendra à l’esprit: encore !!
L’intrigue est complexe, les événements se bousculent, les suspects sont nombreux mais le lecteur n’est jamais laissé au dépourvu. L’auteur a su tisser sa toile pour que chacun s’y retrouve et s’y déplace avec une certaine facilité.
Soyez certains qu’il y aura quelques meurtres. Et un suicide ! Pour pimenter le tout, vous verrez qu’il y a des façons peu banales de tuer quelqu’un. Lessard et Taillon auront besoin de quelques notions historiques pour résoudre ces meurtres crapuleux. Et vous aussi, comme lecteur, vous serez invité à vous replonger, un peu dans le Moyen Âge et dans l’histoire contemporaine américaine et québécoise.
Dommage collatéral positif, si vous êtes comme moi, vous irez sûrement fouiner sur Internet pour connaitre quelques instruments de torture médiévaux. La créativité de l’Homme est infinie !
Pour résoudre ces quelques meurtres, vous vous rendrez vite compte que Lessard et son groupe auront fort à faire pour délier le vrai du faux, surtout avec les indices que disperse le ( ou les ??) tueur ... Qui semble aimer jouer au jeu du pendu ! Et vous serez étonnés par des rencontres assez inattendues avec René Lévesque et Lee Harvey Oswald. Et oui !
Et pour mousser tout l’aspect mystérieux de cette enquête, l’auteur a parsemé son récit de petits chapitres de «retours en arrière» qui viennent alimenter la complexité du récit et accrocher l’intérêt du lecteur. Qu’ils soient politiques ou factuelles, ces analepses ajoutent une profondeur au récit et pimentent agréablement notre lecture. J’adore ce procédé ... si efficace pour troubler le lecteur !
Pour faire suite à notre lecture des deux premiers romans (pas obligatoire pour lire celui-ci), on continue notre découverte de la personnalité attachante de Victor Lessard, à travers ses grandes qualités d’enquêteur mais aussi dans ses difficultés personnelles et familiales. Impossible de ne pas aimer ce personnage, dans ses forces et ses faiblesses.
«Ces accès de rage avaient commencé pendant sa réadaptation et devenaient de plus en plus fréquentes. Aléatoires et impérieux, ils réapparaissaient de manière subite, souvent à cause d’une simple contrariété.»
Je me suis même surpris à vouloir le convaincre de résister à l’appel de la bouteille, lorsqu’il se lance dans ses combats épiques contre l’alcoolisme ... Victor Lessard devient de plus en plus sympathique, malgré ses défauts et ses humeurs. Ou peut-être à cause de ?
Souvent, la contrariété, le déclencheur, l’amorce vient de sa «charmante» adjointe. Vous serez «conquis» par Jacynthe Taillon ... celle qu’on se plaisait à ne pas aimer dans les histoires précédentes. Vous la découvrirez dans toute son humanité malgré son sale caractère, son sens de l’humour décapant et sa boulimie continuelle. Complément très direct ( et sans objet ...) de Lessard, elle assume une présence forte dans ce récit, prend plus d’espace (sans mauvais jeu de mots) et complète harmonieusement (est-ce le bon mot ??? ) le duo d’enquêteurs. Et au fil de l’enquête, nous découvrons certains aspects de sa vie privée, qui font de ce personnage, un pilier important du roman.
L’auteur vous promènera dans les rues de Montréal, dans ses quartiers chics comme dans ces endroits les plus pauvres, vous irez faire une visite dans l’immense cimetière du Mont-Royal et dans les édifices à bureaux du Centre-ville. Vous accompagnerez Lessard dans les refuges pour les sans-abris et vous assisterez également à un suicide, aux portes de la basilique Notre-Dame. Et tout ça, ça se passe avant la page 35. Ou presque !
Alors, attendez-vous à de l’action et à des rebondissements qui sauront vous déstabiliser mais aussi vous captiver. L’auteur possède maintenant le souffle pour écrire un pavé et garder l’intérêt du lecteur à chaque page. Chaque chapitre apporte son lot d’événements et d’émotions qui alimentent notre plaisir de lire. Et je peux vous dire que j’ai aussi eu beaucoup de plaisir à lire les titres de chapitre et en découvrir la signification pendant ma lecture.
Martin Michaud a fait preuve de beaucoup d’imagination. On sent une excellente maitrise de son écriture, une recherche d’éléments pour sortir des sentiers battus et étonner, par le fait même, son lecteur. Je ne peux qu’applaudir à cette absence de recettes où parfois on ressent un peu l’aspect «réchauffé» de la technique d’écriture. «Je me souviens» étonne, séduit, dérange, amuse et nous laisse réjoui par notre lecture.
Le style est direct, sans fioritures mais drôlement efficace; aucun obstacle de lecture, juste une fluidité où l’action, le récit prend tout son sens. Et ce qui ne gâche rien, on y retrouve également les touches d’humour caractéristique de l’auteur.
Alors, ne soyez pas surpris si je vous le recommande ... «Je me souviens» est un excellent thriller et il vous fera passer un très bon moment de lecture. Amateurs de Michael Connelly ou de Dennis Lehane, friands de romans de Maxime Chattam ou de Frank Thilliez, amoureux des romans de Dominique Sylvain ou de Fred Vargas, consommateurs avertis de tous les auteurs scandinaves, vous avez raison de lire ces auteurs. Mais maintenant, si vous désirez être un lecteur complet et connaisseur, vous devez inclure dans vos romanciers à lire, les auteurs de polars québécois.
Alors, demandez à votre libraire les dernières sorties québécoises et profitez du talent de chez nous. Il y en a beaucoup! Si votre libraire ne les connait pas ... Écrivez-moi, je vous ferai mes suggestions ... que vous pourrez remettre à votre libraire !
Et ensuite, vous comprendrez pourquoi la devise du Québec est «Je me souviens» !
Quelques extraits ... pour cerner le style de Martin Michaud:
«Il vivait enfin dans l’infini du moment présent.»
«La seule chose qui arrive à la cheville d’Adams, c’est sa chaussette ...»
«Il régnait dans le bureau un calme d’intérieur de cercueil.»
«Dans ce cauchemar éveillé, il voyait la mort rôder près des chambres, se tapir sous les lits des malades et danser autour des roulettes des civières. Et, quand la lumière du jour entrait par les fenêtres, c’était pour mieux éclairer la maladie qui suintait des murs.»
Un moment difficile dans la vie de Victor Lessard:
«Plus de portefeuille, plus d’argent, plus de cellulaire, plus de fils, plus de blonde, plus de cigarettes, le visage en compote et ses fesses qui étaient entrées en contact avec le couvre-lit.
Les choses pouvaient-elles aller plus mal ?»
Bonne lecture !
Je me souviens
Martin Michaud
Les éditions Goélette
2012
635 pages
La chronique de Morgane ... une libraire qui connaît bien les auteurs québécois: Carnets noirs.
La chronique de Norbert Spehner dans La Presse
Et la chronique de Sophie Ginoux, à CIBL Montréal :