17 Septembre 2010
Louise Penny est une auteure québécoise anglophone que le Québec francophone vient à peine de découvrir. Et ma chronique ne commencera pas tout à fait comme à l’habitude car elle
rendra hommage à cette auteure pour son humanité, sa gentillesse et l’amour de son coin de pays. Alors une première citation, pas d’une partie de son roman mais de son prologue, la dernière
phrase du livre, dans le texte de remerciements:
«Il fut un temps dans ma vie où je n’avais aucun ami, où le téléphone ne sonnait jamais et où j’ai cru mourir de solitude. Aujourd’hui, je sais que la
véritable bénédiction n’est pas d’avoir fait publier un livre, mais d’avoir autant de personnes à remercier.»
Et voilà ! Je me rends compte, en terminant le livre, que j’ai rencontré une bonne personne qui a écrit un très bon livre, une histoire tout en douceur, un récit où
transpirent l’amitié, l’amour, la joie de vivre et l’atmosphère chaleureuse d’un petit village imaginaire des Cantons de l’Est. Et oui, tout cela dans un roman policier ! Merci Louise Penny et
merci à son traducteur, Michel Saint-Germain. et je prends mienne cette autre citation:
«J’ai compris une chose: n’importe qui est capable de critiquer, mais il faut être brillant pour prodiguer des louanges.»
Alors, je me devrai donc d’être brillant pour dire tout le bien (et un peu de mal ...) que je pense du premier roman de Louise Penny, «En plein
coeur».
Première constatation, on est loin du roman noir où le sang coule à flots, où les meurtres se succèdent dans une atmosphère glauque et au centre d’une société
pourrie ... Non, ici, un seul meurtre, simple, sans torture ... une flèche en bois. Ne cherchez pas les sensations fortes ou les pages d’horreur, vous y retrouverez surtout des êtres humains,
comme vous et moi, préoccupés par leur quotidien, dans de vieilles maisons aux effluves de dinde farcie et de muffins aux carottes.
Deuxième constatation, on a beau aimer grandement les commissaires grincheux, ayant un passé trouble, des démons intérieurs qui les grugent, des histoires
familiales envahissantes, des défauts énormes qui nous les rendent quand même très sympathiques, il est bon de temps en temps d’en rencontrer un qui ait quelques qualités et surtout qui soit
sympathique. Le policier de Louise Penny, Armand Gamache, est charmant, gentil, attentionné, poli, préoccupé du sort de ses policiers, une sorte de Guido Brunetti québécois ... D’ailleurs, je ne
peux m’empêcher d’établir une certaine comparaison, flatteuse, entre Donna Leon et Louise Penny. Surtout dans leur capacité à prendre un lieu et à en faire un personnage important. Vous
adorerez ce petit village des Cantons-de-l’Est, imaginé par l’auteure, dans lequel on aimerait passer une partie de notre vie, enrobé dans une simple douceur de vivre.
L’enquête de l’inspecteur-chef Gamache se déploie tout en nuances, rencontrant les habitants du village au fil de ses promenades. Il se rend même disponible pour
les accueillir dans un bistro du village quand, dans une assemblée qu’il a convoquée, il déclare: « Nous avons tous des secrets et avant la fin de l’enquête, je saurai la plupart des
vôtres. S’ils ne sont pas pertinents, ils s’éteindront avec moi. Mais je les découvrirai. Presque tous les jours, en fin d’après-midi, je serai au bistro de M. Brulé, en train de revoir mes
notes. Vous êtes invités à vous joindre à moi pour une consommation et une conversation.»
Engageant ! Et sympathique ! On a presque le goût d’aller se dénoncer...
L’histoire est touchante de simplicité. À la veille de l’Action de Grâces, on retrouve dans les bois, le corps d’une vielle femme, le coeur transpercé. Qui a bien
pu tuer cette femme, cette enseignante à la retraite que tout le monde aimait, dans ce petit village habitué à la tranquillité et à la vie calme et douce. Est-ce un accident, un meurtre ? Et
surtout, que vient faire cette toile, cette peinture qu’on dirait faite par une enfant, qu’elle avait proposée pour l’exposition annuelle des peintres du village ? Cache-t-elle des secrets
longtemps conservés dans les murs de ce village charmant ?
Un seul bémol ... en raison du rythme du roman, j’ai ressenti parfois, une légère impression de longueur, impression de laquelle se dégageait un flou diffus.
Heureusement, quelques lignes plus loin, le rythme reprenait et on oubliait cette sensation un peu déstabilisante. Un exemple qui m’a un peu décontenancé, le dialogue de Clara avec la boîte !
Futurs lecteurs, vous m'en reparlerez ...
Tous les personnages sont gentils ou possèdent des côtés qui les rendent quand même sympathiques. À un moment donné, on se demande comment l’auteur fera pour
trouver un coupable dans cette galerie de personnages pieux. Voilà une des forces de l’auteur: nous offrir des personnages crédibles, des personnes que l’on rencontre à tous les jours, les placer
dans un village tranquille avec une histoire ou plutôt des histoires d’hommes et de femmes ordinaires et nous faire vivre un moment de ce village qui nous étonnera par ses subtils
rebondissements, ses aveux et ses révélations et nos découvertes de l’intimité de tout un chacun.
Et pour moi, un des plaisirs que j’éprouve dans la lecture d’une série avec des personnages récurrents, c’est de suivre l’évolution des personnages, de les voir
changer, s’améliorer ou s’enfoncer dans leurs travers (y en aura-t-il ?). Alors, j’ai très hâte de lire les prochaines aventures du commissaire Armand Gamache et de ses adjoints, le fidèle
Jean-Guy Beauvoir, l’efficace agente Isabelle Lacoste et la recrue gaffeuse, Yvette Nichol.
Louise Penny écrit très bien et la traduction est très bien faite. On ne trouvera pas de lyrisme langoureux, de phrases à nous jeter par terre mais tout au long du
texte, nous nous laisserons glisser avec délicatesse à travers les événements qu’elle nous raconte.
Pendant ma lecture, victime consentante d’un texte suscitant la rêverie, je me suis projeté dans ce monde créé par l’auteure:
Chère auteure, merci pour cette sensation retrouvée !
Une très belle scène me revient en mémoire, une image de ce pays que j’habite, le portrait de ces Québécoises vivant la douleur de leur amitié perdue en
revisitant une très belle tradition amérindienne. On s’y sent comme des voyeurs, se glissant au milieu de ce requiem à leur amie assassinée, autour d’un bâton de prière, sur lequel
elles accrochent mots et souvenirs, symboles de leur tendre amitié abruptement interrompue. «Une à une, les femmes prirent un ruban, y attachèrent un objet et le nouèrent au bâton de
prière, en prononçant quelques paroles. Certaines étaient audibles, d’autres, non.»
«En plein coeur» est le premier roman de Louise Penny d’une série intitulée «Armand Gamache enquête». Il a été publié dans une dizaine de
langues et a reçu de nombreux prix récompensant les premiers romans policiers. Et comme le succès de ce premier roman ne s’est pas démenti avec la publication de quatre autres livres, j’attends
donc leur publication avec impatience. Et je peux vous dire, personnellement, que j’ai très hâte de rencontrer madame Penny, au Salon du Livre de Montréal, en novembre.
En attendant ce moment où je pourrai lire le deuxième roman de cette série, je vous laisse avec un paragraphe, quelques phrases qui donnent le ton du roman et
qui en même temps, nous révèlent le caractère et le style de cette auteure:
«À mesure que les deux femmes longeaient lentement les bibliothèques, face à la cheminée, Myrna choisissait un livre ici et là. Clara avait des goûts très
précis. C’étaient surtout des romans britanniques dont l’action se déroulait dans le cadre intime d’un village. Myrna pouvait passer des heures de bonheur à bouquiner. Elle pouvait se faire une
assez bonne idée d’une personne en jetant un coup d’oeil à sa bibliothèque et à son panier d’épicerie.»
Bonne lecture !
En plein coeur
Louise Penny
Flammarion Québec
2010
332 pages