2 Août 2010
À première vue, «Dans sa bulle» de Suzanne Myre est un livre rigolo, amusant, écrit dans un style particulier, «le style Suzanne Myre», très distrayant. À chaque page on
rit ou on sourit. L’auteure nous entraîne dans un tourbillon de
comparaisons amusantes, de petites colères souriantes, de commentaires cyniques et parfois acerbes.
Mais attention ! «Dans sa bulle» n’est pas qu’un roman distrayant; il est un des plus beaux romans sur la solitude, sur l’humain, seul au milieu de tout le monde. Ce
roman est aussi le roman de l’amitié et de l’amour, l’expression du malaise et de la difficulté d’entrer en relation avec l’autre. Il est aussi une belle histoire d’amour paternel, l’expression
criante de cet amour silencieux ou pour certains, absent. Ce récit est aussi une peinture réaliste de notre système de santé et un portrait à vif de la situation des personnes âgées,
délaissées par leur famille dans des conditions parfois inquiétantes.
Comme vous l’aurez compris, la lecture de ce premier roman de Suzanne Myre (elle a déjà publié 5 recueils de nouvelles) peut demeurer au premier niveau et le lecteur peut en ressortir avec la
satisfaction d’un livre agréable qui l’a diverti pendant 400 pages. Mais ce serait une erreur d’en rester là. L’auteure réussit, superbement bien, à nous faire réfléchir sur l’amour et l’amitié
par le biais de cette solitude qui habite chacun des personnages, celle qui les entoure de leur propre bulle.
L’hôpital est le théâtre où se jouent toutes ces solitudes: lieu de la maladie mais aussi de la guérison. Le lecteur accompagne une série de personnages qui habitent chacun à côté de la solitude
de l’autre. Relations superficielles, envie, jalousie, ragots, amours et sexe, voilà ce qui pimentent le quotidien de ce petit village en pleine ville.
Mélisse Leblanc est préposée aux bénéficiaires et fait preuve d’une grande compassion auprès de ses patients. Fine observatrice, elle porte un regard cynique sur son entourage, commente
allègrement leurs comportements et attitudes et pose un regard acerbe sur leur vie personnelle. Ses réparties les plus drôles, elle les garde pour elle mais les partage généreusement avec le
lecteur.
Son entourage semble assez restreint. Michel, son ancien amant, tout juste sorti d’une relation où il n’y a jamais eu de relations «... il est passé d’ex à extension de
moi» et Pénélope, la belle blonde en manque d’affection qui fait l’amour avec tout l’hôpital ou presque. «Si cette fille n’existait pas, est-ce que j’aurais envie de
l’inventer?». Et viennent s’ajouter une série de personnages, transportant chacun sa propre bulle, à la recherche d’un contact pour partager l’espace de leurs bulles, ne serait-ce qu’un
seul petit moment !
Au fil de l’histoire, vous rencontrerez le beau docteur Henry, gériatre qui arrive de la Côte-Nord. Pourquoi donc aurait-il quitté cette vie tranquille ? Personne ne le sait, au grand déplaisir
de la machine à ragots !
David, le beau journalier au corps d’athlète qui lit un livre par semaine et qui tente de séduire Mélisse. Monsieur Gouin que tout le monde appelle le pingouin, ce patient qui n’est pas toujours charmant.
Une infirmière-chef, Mireille Vazin, un peu acariâtre et pas très sympathique qui attend sa retraite avec beaucoup d’impatience.
Et Moby Dick, l’homme-baleine qui hante les couloirs de la piscine de l’hôpital; et des poissons rouges dans le département des soins prolongés qui «observent ce qui se passe, c’est-à-dire
rien.».
Et ce n’est pas tout, vous assisterez, entre autres, à une scène sexuelle où le doigt est à l’honneur, à une tentative de meurtre avec un épluche-patates, à la rencontre d’un
plombier-joaillier mais surtout, à la rencontre de personnes qui vivent toutes les difficultés de leur misère humaine. Et vous tomberez en amour avec un chien qui se nomme Jacqueline et qui
connaît les rudiments liturgiques de la messe dominicale.
Voici quelques extraits qui illustrent le style très personnel de Suzanne Myre:
«Quand la bouche délicieuse de Mélisse formait des phrases, il pouvait voir une bulle se former devant ses lèvres et les mots s’y déposer l’un après l’autre, calligraphiés par une main
invisible. Ses paroles s’écrivaient dans des phylactères.»
«On s’endort, enlacés comme des nouilles trop cuites, collées par l’amidon.»
«Personne. Personne ne m’a éduquée. Je me suis bâtie effrontée comme ça toute seule. Trouvez-moi chanceuse de ne pas avoir sombré dans la délinquance, la prostitution ou la fabrication de
prothèses dentaires.»
«Son pantalon de cuir usé et ajusté, qui moulait ses fesses de 40 ans, leur donnait l’apparence de vieux ballons de football bottés à profusion.»
« ... leur entreprise de rénovation épidermique.»
Cependant, on ne doit pas passer à côté du talent extraordinaire de cette écrivaine pour décrire les émotions de ses personnages. La preuve, les derniers chapitres vous saisiront émotivement et
vous vous rendrez compte de l’immense talent de cette auteure.
«Le mépris de l’autre passe nécessairement par le mépris de soi.»
«Bizarre à quel point son absence me laisse seule et déstabilisée, alors que souvent, j’avais tendance à négliger son existence.»
Et je vous laisse sur cette très belle phrase: «Se vautrer dans sa petite bulle d’individualiste, ça finit par assécher l’âme.»
Je vous ai déjà parlé de Suzanne Myre, la nouvelliste (Voir la chronique sur Mises à mort),
je vous invite à ne pas rater la découverte d'une très bonne romancière ...
Bonnes lectures !
Dans sa bulle
Suzanne Myre
Éditions Marchand de Feuilles
2010
411 pages