4 Juin 2011
Je viens de terminer la lecture de «Clandestino» de Sergio Kokis; et voilà, je reste sans voix ! Comment dois-je aborder cette chronique sur un livre qui ne répond à aucun critère de genre, qui déstabilise mes «a priori» et qui, surtout, m’a fasciné par son utilisation de la politique, de l’histoire et d’une vengeance digne d’Edmond Dantes.
À la veille de la guerre des Malouines contre l’Angleterre, voici donc l’histoire d’un «Comte de Monte-Cristo» dans une prison d’Argentine. Condamné aux travaux forcés pour avoir commis un vol de documents dans le coffre-fort d’un sénateur influent, Tomas Sorge est emprisonné depuis six ans. Victorino Marquez, militaire haut placé, chef de la sécurité du sénateur et commanditaire du vol commis par Sorge, le dénonce. Et Tomas Sorge est le seul à payer pour ce vol avorté.
Dans sa cellule de la prison de Ushuaia, «Tomas Sorge concentrait son esprit sur l’instant où il aurait les couilles de son complice mouchard entre ses mains calleuses, pour lui faire ouvrir son coeur et sa mémoire avant de l’achever comme un rat.» En plus de cette vengeance à ruminer, le prisonnier tient le coup en se remémorant des parties d’échec de Grands Maîtres et en révisant ses connaissances et ses compétences d’horloger et de grand connaisseur des coffre-forts.
Vers la fin de son séjour en prison, on lui fait l’offre de travailler pour un militaire. À faire quoi ? On le sait, la défaite de l’Argentine dans les Malouines signe la fin de la junte militaire. La démocratie sera installée; les militaires «préparent» leur sortie. Beaucoup de travail reste à faire pour une sortie en douceur ... et lucrative !
Au même moment, il rencontre un vieux collègue que l’on torture pour lui arracher de force le lieu où il a caché le fruit d’un de ses vols. Juste avant de mourir, le vieil homme lui confie son secret et une mission à réaliser auprès de sa fille.
À sa sortie de prison, toujours habité par cette vengeance qu’il veut assouvir et imbu de la mission que lui a confié son vieux collègue, il part à la recherche de l’influent militaire qui l’a engagé. Tomas devient alors Jose Capa et sous les ordres de son nouveau patron, il se consacre aux travaux qui lui sont demandés, travaux qui font évidemment appel à ses connaissances criminelles !
Mais tout au long de ces étonnants récits de vols et d’ouvertures de coffre-forts, le lecteur assiste graduellement à la préparation de la vengeance libératrice et à la réalisation de la mission qui lui a été confiée.
Absolument passionnant! Sergio Kokis, dans une mise en scène aussi complexe qu’une partie d’échecs, transporte son lecteur dans les méandres du cerveau de son personnage principal, nous fait vivre ses questionnements, sa haine, ses dualités et toutes les motivations qui le poussent à agir. On assiste à ses actions violentes et on se pose la question ... «Mais, si j’avais été à sa place ?». Et le suspense s’installe: les pions et les pièces principales se déplacent et tombent au fil de la partie; la stratégie du joueur se révèle sur un échiquier en perpétuel mouvement: coups fourrés, roque imprévu, alliance improbable; et puis, le Roi, dans un dernier geste théâtral, conclut cette partie enlevante.
Puis, dans une fin toute en nuances, l’auteur nous laisse pantois, espérant quelque chose, on ne sait pas quoi! Mais on espère. Une fois terminée la lecture du dernier paragraphe, on tourne la dernière page ... Et elle est blanche !! À nous lecteurs de partager cette angoisse...
Je vous l’avoue, je n’avais jamais lu de roman de Sergio Kokis. Retour sur les rayons de la bibliothèque !!! Oui, oui, «Le pavillon des miroirs» y était ... presque neuf ... ne demandant qu’à être lu ! Pour moi, Sergio Kokis demeure un auteur à découvrir; et si ses livres sont de qualité égale à cet excellent «Clandestino», des heures de plaisirs littéraires m’attendent.
En attendant, je vous invite à découvrir également, ses talents de peintre; d’ailleurs, la page couverture de «Clandestino» nous présente une de ses oeuvres «Le jeu avec la mort» qui illustre très bien le propos de ce roman. Allez jeter un coup d’oeil sur les jaquettes de ses romans publiés chez Lévesque éditeur ( http://www.levesqueediteur.com/kokis.php ).
Voici donc quelques extraits qui devraient vous inciter à vous procurer cet échiquier romanesque et découvrir un Grand Maître de la littérature québécoise.
«Privé d’un avenir immédiat autre que la simple itération des jours et des mois précédents, incapable de se fixer sur son futur, le prisonnier était condamné à se rabattre sur son passé dans une sorte d’inversion mélancolique du flux naturel de l’existence.»
Et dans un surprenant changement de ton ... de la poésie au langage cru: « ... Bonne nuit et bonne branlette dans ton mitard, en rêvant du cul du vieux, ajouta-t-il avec un sourire moqueur.»
« Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire, tous ces types en uniforme, sinon comploter jour et nuit ? C’est sans doute le lot d’un pays de merde comme celui-ci, avec trop de lieutenants de frégate et trop peu de frégates.»
Et je résiste fortement à la tentation de citer la dernière phrase du roman, témoin du talent de l’auteur pour le coup de poing littéraire qui frappe le lecteur en plein ... coeur.
Bonne lecture !
Clandestino
Sergio Kokis
Lévesque éditeur
Collection Réverbération
2010
256 pages