4 Décembre 2011
Patrick Senécal est connu et reconnu comme un auteur de romans où l’homme nous présente son côté le plus noir, où une certaine violence souvent physique, parfois morale, enfonce ses héros au plus profond de l’âme humaine. L’écriture de Patrick Senécal ne laisse personne indifférent: on aime ou on ... ne l’a pas lu ! Non, blague à part, je peux comprendre que certains lecteurs n’apprécient pas le climat des romans de cet auteur et les émotions fortes que sa lecture apporte. Je reprends donc ma phrase: on aime Patrick Senécal ou on n’aime pas. Mais ceux qui aiment, peuvent se payer tout un plaisir de lecture en se promenant dans l’univers imaginé par ce romancier.
Cependant, «Malphas», la nouvelle série imaginée par Senécal, prend une allure différente, marque peut-être un tournant dans le style de l’auteur. Le roman nous présente encore une enquête; n’ayez aucune crainte, il y aura quelques meurtres. mais le ton est complètement différent. À chaque page, à chaque paragraphe, on sent que Patrick Senécal s’est amusé à écrire ce roman, qu’il a eu un plaisir fou à s’éclater et souvent, je l’imaginais, derrière l’écran de son ordinateur, esquissant un sourire sardonique ou riant de ses trouvailles les plus drôles. Et le lecteur, derrière les pages de son livre, possédé par ce démoniaque auteur, en profitera également pour réagir, sourire et rire aux mêmes endroits ...
Malphas est un démon représenté par un oiseau, souvent une corneille, avec de grandes ailes. Dans la série qui s’amorce avec «Le Cas des casiers carnassiers», Malphas est un CEGEP (pour mes lecteurs européens, le CEGEP est une institution scolaire entre l’enseignement secondaire et l’Université, qui offre des cours d’enseignement général préparatoires aux études universitaires ou des profils d’enseignement professionnel qui mènent à la formation de techniciens dans tous les domaines).
Ce collège est très particulier. Situé dans une petite municipalité qui se nomme Saint-Trailouin, il regroupe des enseignants rejetés («J’ai l’impression que ce cégep accepterait même un pédophile membre d’Al-Qaida.») par les autres collèges, des étudiants plus ou moins talentueux et une direction, ma foi, un peu beaucoup laxiste. Il se passe des choses assez bizarres mais personne semble s’en inquiéter.
Julien Sarkozy, «Oui, oui, je me prénomme bien Julien !» est un tout nouvel enseignant; il vient de divorcer et il s’est fait mettre à la porte de son collège, pour une raison que le lecteur ignore encore. Ses premières journées au Cegep de Malphas ne seront pas banales: rencontres des autres professeurs un peu particuliers, ses étudiants pas très motivés mais surtout, une série de meurtres affreux, qui ne semblent pas émouvoir particulièrement les habitants de ce collège. Alors, ce prof au drôle de nom, se mêlera de l’enquête et découvrira les dessous de cette étrange institution scolaire et des événement qui s’y déroulent. Les premières semaines de la rentrée seront marquées par la découverte de restes de cadavres d’étudiants du collège, dans les casiers de leurs copines. Meurtres inexplicables, violence extrême, circonstances étranges, les horreurs qui se cachent dans ces «casiers carnassiers» dépassent de très loin la compétence de la police de Saint-Trailouin mais réveillent les habiletés d’enquêteur du professeur Sarkozy.
Il rencontrera alors, une galerie de collègues et d’étudiants qui l’accompagneront ou non, dans son enquête; mais tous sauront nous divertir, nous les lecteurs.
Chez les élèves:
Tout d’abord, mon préféré, celui qui m’a fait sourire durant tout le roman, Simon Gracq, l’éternel étudiant, celui qui ne vit que pour le journal scolaire de son collège, unique rédacteur et journaliste, avec une syntaxe ... hilarante. Il se transforme d’élève en journaliste en se plantant une «cigarette éteinte entre ses lèvres ...»;
Nadine Limon, la jolie petite noire, qui fait tout pour plaire à son enseignant;
Et bien d'autres locataires de casiers ...
Ensuite, les enseignants du département de français où enseigne Julien:
Et finalement, un des personnages principaux, le collège lui-même, avec son histoire, ses événements, ses corridors, sa section de casiers et les portes fermées, cadenassées, qui cachent on ne sait pas quoi. Ce collège avec son directeur général bien particulier, amateur de «scapbooking» et ses directions pédagogiques, père et fils, qui semblent posséder une vague entité académique et des résultats scolaires qui donneraient des cauchemars à tous les ministres de l’Éducation réunis en conventum.
Et il ne faut pas oublier certains personnages secondaires qui viennent «enrichir» lq diversité sociologique de Saint-Trailouin, comme cette très «gentille» Mélusine Fudd qui essaie d’une manière assez spectaculaire, de conserver le souvenir de sa mère morte depuis une dizaine d’années. Au grand étonnement de ses rares visiteurs !
Comme vous pouvez le constater, la lecture de «Malphas» est très divertissante. On ne s’ennuie pas. Le récit est vivant (contrairement à certaines victimes ...), l’intrigue est bien menée et tout le long de l’enquête, Patrick Senécal parsème son écriture de clins d’oeil, de jeux de mots et d’humour qui vous feront sourire. Comme je le disais précédemment, les phrases du journaliste Simon, sont des moments de plaisir que l’on ne se refuse pas.
Et bien sûr, il faut souligner la qualité de conteur de Senécal, sa capacité à accrocher le lecteur et à l’amener tranquillement vers la conclusion de l’enquête. Mais heureusement, les nombreuses énigmes qui restent, nous annoncent une suite ... Le collège de Malphas accueillera encore des élèves pour encore quelques années. On parle même de 4 autres tomes.
J’ai beaucoup aimé ce premier roman. Je dirais même que parfois, je m’y suis retrouvé comme dans le monde déjanté de Christopher Moore ... un moment de lecture à déguster juste pour le plaisir de se faire raconter une histoire folle, sans questionnement, sans limite de l’imaginaire; où les frontières du possible sont transgressées juste pour le plaisir de l’auteur et de ses lecteurs. Moi j’attendrai avec impatience la suite des aventures et des malheurs de ce collège bien particulier.
Certains n’aimeront pas ... ! Et ils ont le droit ! Mais je vous conseille quand même cette lecture divertissante. À mes amis européens: vous serez probablement surpris par certaines références très québécoises; et bien, je vous souhaite de faire comme nous, Québécois lecteurs de romans européens, et de vous informer, au fur et à mesure, sur ces références culturelles qui vous feront mieux connaître le superbe pays que j’habite.
Et voici quelques extraits, en commençant par quelques phrases tirées de notre journaliste, toujours très en verve.
«Je leur ai dit que j’élaborais d’écrire un article dans le journal qui raconterait ce qui est arrivé à leur mésaventure, pis le fait qu’elles aient été interrogées par des questions policières.»
«Bien sûr. Mélusine use de son utilisation chaque fois qu’elle véhicule en ville ses déplacements.»
«Je vais faire tout un papier d’article là-dessus, attends de voir ça de tes yeux dans le même trou.»
Et maintenant, quittons notre poétique journaliste pour d’autres extraits non moins imagés:
« ... j’entends des gémissements en provenance de la cabine voisine, ponctués de chocs réguliers contre la paroi. Je comprends qu’un couple baise à mes côtés, et si je me fie à la tonalité des sons, les deux partenaires ont tout à fait le droit de se trouver dans les toilettes des hommes.»
«Il énonce cela avec orgueil, mais on trouverait sans doute davantage de chaleur dans un formulaire d’impôt.»
Bonne lecture !
Malphas
1. Le Cas des casiers carnassiers
Patrick Senécal
Alire
2011
337 pages
Pour visiter le site de l'auteur: Patrick Senécal
Et une entrevue de l'auteur sur Malphas , ses motivations d'écrivain et ses futurs projets: