Au-delà du
mal
Shane Stevens
Éditions Sonatine
759 pages
2009
Ce livre a été écrit en 1979 par un écrivain pratiquement inconnu, Shane Stevens. Il a été traduit en français en 2009. Pourquoi ?? Qu’est ce qui justifie ce long silence ? Qui est l’auteur, est-il
encore vivant ??? On sait peu de choses. En 4e de couverture, on le compare avec James Ellroy et Thomas Harris.
Camouflage d’un livre qui n’en vaut pas la peine ????
Opération de marketing pour passer un mauvais livre ???
Occasion de « surfer » sur un auteur avec un aura et un destin particuliers, un peu comme Stieg Larsson ???
Et bien, non. Ce livre est un pur bijou, un monument de 760 pages, touffu, habilement monté, une galerie de personnages tout à fait crédibles, un style direct et percutant, on dirait du grand
journalisme d’enquête; bref un livre à lire par tout amateur de polars, de romans psychologiques ou tout simplement pour ceux qui aiment se faire raconter une bonne histoire même un peu longue
!!!!
Thomas Bishop est placé dans un institut psychiatrique après avoir tué sa mère d’une façon absolument atroce; il est arrêté trois jours après le meurtre dans une position bien trouble. Le premier
tiers du roman nous raconte son enfance marquée par l’abandon et la violence, un père absent et une mère victime d’un viol.
Toute l’histoire prend sa source d’un personnage réel ayant marqué l’histoire du débat sur la peine de mort aux Etats-Unis : Caryl Chessman.
Après 15 ans de réclusion dans cet institut psychiatrique, Thomas Bishop s’évade, tue son compagnon d’évasion, change d’identité et part à la reconquête de son possible père et de sa mission.
S’amorce alors, une des plus grandes chasses à l’homme jamais écrites avec cette particularité que les personnages secondaires alimentent grandement notre compréhension du monde qui nous entoure.
Ce roman dépasse le duo tueur-policier, pour nous montrer l’influence qu’un criminel peut avoir sur le monde qui l’entoure. Cette galerie de personnages, quelquefois confuse, élargit le spectre de
l’analyse des impacts de tous ces meurtres : un meurtre ou plutôt plusieurs meurtres, ça peut être payant pour certaines personnes.
Nous suivons alors, le politicien (Stoner) qui se sert de ce serial killer pour mousser sa carrière, les policiers Spanner (bien sympathique), Oates et Dimitri. Un chercheur universitaire en quête
d’un livre sur le meurtrier, le père d’une des victimes, la pègre (même une collaboration demandée par la police pour aider à l’enquête) , de généreux donateurs à des partis politiques, des femmes
maîtresses qui se protègent de leurs amants et même des petits truands à la presque retraite. Tous retirent profit ou cherche à tirer parti de ces malheurs.
La deuxième partie du livre nous présente Adam Kenton, journaliste d’enquête, chargé par la direction de son magazine, de trouver le meurtrier avant la police. Doté d’une intuition assez
particulière, il essaiera de se mettre dans la tête du meurtrier pour comprendre et peut-être pouvoir réagir à temps, avant que d’autres femmes soient cruellement mutilées.
Ce livre est fascinant !!!
Malgré quelques longueurs vite oubliées, malgré le fait que l’on se perde parfois avec certains personnages, malgré quelques redites, malgré l’extrême lenteur où on découvre chacun des
indices, malgré tout cela, chacun de ces défauts contribue à faire de ce livre, un livre extraordinaire.
Ce roman est complexe et pourrait rebuter le lecteur qui recherche une intrigue simple, un duel entre un meurtrier et un policier et un mobile évident. Cependant, l’amateur de polars,
acceptant de « travailler un peu », de s’investir dans la toile sinueuse de ce roman, se verra récompenser d’une bonne intrigue avec de bonnes histoires parallèles enrichissant ce
portrait de la société américaine des années 60.
Tour à tour, l’écriture nous amène dans les pensées du meurtrier, dans sa logique psychotique et sanguinaire, dans son désir de rendre hommage à son « véritable père » et à sa Mission
inachevée. Puis dans le chapitre suivant, Adam Kenton nous propose sa réflexion, son intuition, son interprétation de l’horreur en train de se créer. Pa la suite, les personnages secondaires,
si loin de l’action mais si imprégnés par elle, essaient de tirer avantage pour alimenter leurs ambitions propres.
Au-delà du mal est un roman incontournable, un roman qui mérite presque les 760 pages de lecture que l’on doit y consacrer. On en sort bouleversé et avec plein de questions … sur le sujet, le roman
et le romancier.
Si Au-delà du mal est un premier roman … où sont les autres ???
Pourquoi attendre 25 ans pour traduire cette œuvre ???
Depuis 30 ans, est-ce que ce roman avait du succès dans le monde anglophone ???
Est-ce que la critique sociale et politique avait quelque chose à voir avec ce silence ?
Qui est Shane Stevens ???