Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.
13 Septembre 2012
« Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! » - Charles
BAUDELAIRE
Le livre est un parfum dont l’épigraphe est la note de tête.
La première fragrance qui chatouille les sens du lecteur.
Celle qui nous donne instantanément envie d’emporter le flacon, sûr déjà de l’ivresse qu’il procurera.
Celle aussi qui, d’un air dubitatif, nous pousse à reposer immédiatement l’impétrant malodorant sur la table du libraire.
Celle qui restera, quelle que soit l’histoire qui va s’écrire entre lui et nous, comme la persistance rétinienne de la silhouette de l’élu, entraperçue pour la première fois il y a bien longtemps.
Roberto Bolaño est un maître de cet art difficile des parfumeurs des mots.
Son récit fleuve, est traversé par la vie et l’œuvre d’un mystérieux écrivain allemand au nom étrange de Beno Von Archimboldi.
Un être qui vit sur une « terre ennuyeuse ennuyeuse ennuyeuse… ».
Quatre universitaires européens, passionnés par l’œuvre et la personnalité de cet auteur à l’existence quasi spectrale, entament un long voyage jusqu’au Mexique, la ville de Santa Teresa, espérant enfin résoudre le mystère Archimboldi.
Et c’est l’horreur qui jaillit du désert : des femmes sont violées, assassinées, jetées au rebus, dans une sorte de fièvre incontrôlée et indifférente.
Des assassins nous ne saurons rien, ou si peu …et qu’importe ?
Car « la vie est fondamentalement un mystère » et « l’histoire, qui est une putain toute simple, n’a pas de moments déterminants mais est une prolifération d’instants, de brièvetés qui se disputent entre elles la palme de la monstruosité ».
Lire "2666" c’est descendre le Rio Grande dans une embarcation de fortune en explorant chacun de ses méandres, humer l’odeur nauséabonde et fétide des cadavres échoués et craindre la mâchoire des crocodiles.
C’est une expérience de lecteur qui entre dans un monde encore inexploré, foisonnant et fascinant.
C’est se lever à « (l’)appel fondamentalement dangereux que constitue la littérature».
Marcher sur les cadavres de ceux qui sont tombés au champ d’honneur car « tout livre qui n’est pas une œuvre maîtresse est chair à canon, infanterie vaillante, pièce sacrifiable puisqu’elle reproduit, de multiples manières le schéma de l’œuvre maîtresse »
C’est tenter de répondre à la question « pourquoi une œuvre une maîtresse a-t-elle besoin d’être occulte ? Quelles forces étranges l’entraînent vers le secret et le mystère »
Car pour Bolaño « à l’intérieur de l’homme qui est en train d’écrire il n’y a rien. Rien qui soit lui, je veux dire. Comme ce pauvre homme ferait mieux de se consacrer à la lecture. La lecture est plaisir et joie d’être vivant ou tristesse d’être vivant et surtout elle est connaissance et questions. L’écriture, en revanche, est d’ordinaire vide. Dans les entrailles de l’homme qui écrit il n’y a rien. Rien, je veux dire, que sa femme, à un moment, puisse reconnaître. Il écrit sous la dictée. Son roman, ou son recueil de poèmes convenables, très convenables sortent, non par un exercice de style ou de volonté, comme le pauvre malheureux le croit, mais grâce à un exercice d’occultation. Il est nécessaire qu’il y ait beaucoup de livres, beaucoup de beaux sapins, pour qu’ils veillent du coin de l’œil le livre qui importe réellement, la foutue grotte de notre malheur, la fleur magique de l’hiver ».
"2666" est une rose du désert : improbable, diabolique, vénéneuse, une rose dont on fait les parfums.
Longtemps après avoir refermé le flacon, la note de cœur de cette essence là vous ramènera à la moindre effluve « à une région d’un romantisme tardif, où les frontières (sont) chronométrées de crépuscule à crépuscule, dix, quinze, vingt minutes qui (durent) une éternité, comme les minutes des parturientes condamnées à mort qui comprennent que plus de temps n’est pas plus d’éternité et cependant désirent de toute leur âme plus de temps, et ces vagissements sont les oiseaux qui traversent de temps en temps et avec quelle sérénité le double paysage lacustre, pareils à des excroissances luxueuses ou des battements de cœur. »
Amis du style, amoureux des mots, je vous en prie : lisez BOLAÑO, enivrez-vous !
2666
Roberto Bolano
Gallimard Folio
2011
1376 pages
Pour en connaître un peu plus sur cet immense auteur chilien: Roberto Bolano