Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.
4 Octobre 2010
Et voilà, un premier contact avec une auteure assez particulière. Presque inconnue de ce côté-ci de l’Atlantique, elle provoque discussions et passions en France.
Ma première impression ? Un style décoiffant et accrocheur, des personnages sinistres mais intéressants, une histoire qui se tient jusqu’à une fin bâclée mais une lecture agréable et de bons
moments de plaisir de lire.
L’histoire est simple, le
rythme saccadé et l’intrigue soutenue. Une adolescente de bonne société, avec un comportement un peu dépravé, disparait de la circulation, sous les yeux d’une privée qui était chargée de la
surveiller. La grand-mère, personne hautaine et odieuse, engage, contre toute attente, cette privée pour retrouver sa petite fille. Devant ce mandat qui la terrorise, Lucie Toledo fait équipe
avec la «Hyène», une autre «privée» aux méthodes assez brutales. La rencontre de ce personnage atypique et dérangeant, aux moeurs particulières et aux pratiques explosives, mérite, à elle
seule, la lecture de ce très bon roman.
Commence alors l’enquête, bien servie par une structure de roman assez inventive et qui pour certains pourraient sembler très linéaire. L’auteure nous décrit,
tour à tour, les acteurs de cette disparition, elle nous les présente juste avant leur implication dans l’histoire.
L'auteure semble nous dire: Voici le portrait du personnage. Voici son histoire et ce qui fait en sorte que je vous en parle. Et enfin, voici l’enquête, voici
les faits. Tirez vos conclusions ...
J’ai quand même apprécié cette structure différente, un peu agaçante à la longue, mais drôlement efficace.
Virginie Despentes possède un talent immense pour décrire l’humain dans toutes ses misères; j’ai été conquis par ses descriptions rendues avec vigueur, hachurées
comme un «slam» et surtout truffées d’une poésie bien contemporaine. «Les gens récemment promus people, fous de joie, éberlués de leur chance, imaginant que c’est arrivé, qu’à présent ça
va être facile. Leur ravissement idiot de bébés tortues gambadant gauchement sur le sable, convaincus qu’ils atteindront la mer, sous un ciel de rapace sournois.» Si vous aimez ce genre
de phrases «punchées» et bien, vous serez servis.
Tour à tour, tout au long du roman, on rencontrera des personnages malheureux dans une société qui ne leur rend pas la vie facile et aux prises avec les impacts
négatifs de leurs choix de vie, de leurs décisions pas toujours cohérentes. Un père écrivain de petit envergure, une mère à la recherche d’un bonheur volatile, une grand-mère calculatrice, une
belle-mère bourgeoise, une commune d’homosexuelles et une bien drôle de Mère Thérésa ...
Voilà un itinéraire bien hétéroclite qui se déroule de Paris jusqu’à Barcelone avec un passage important à Montserrat. (J'ai été soufflé par cette visite de la Hyène à Montserrat, rencontrant une religieuse ressemblant à la soeur Thérésa, dans un décor tout ce qu'il y a de plus spirituel... une scène tout à fait spectaculaire !)
Et le plaisir du lecteur, c’est de voir ce banal événement (la disparition d’une fille de riches) à travers les yeux de personnages différents, de classes sociales
diverses et avec des préoccupations et des intérêts parfois bien divergents.
Évidemment ce qui frappe dans ce roman, c’est le style, un style agressif et tendre, qui nous jette à la figure des phrases comme celles-ci: «Il
n’y a que les moches, les grosses et les vieilles pour se laisser étourdir par l’intensité du désir de l’autre. ne jamais coucher en dessous de soi, condition première du respect de sa
féminité.» et par la suite, «Les saisons s’enchaînaient façon paquets de bonbons: faciles à gober et colorés.» L’écriture apparaît saccadée et pourtant, la lecture coule
et roucoule d’une poésie tendre et cruelle.
Malgré la fin abrupte, une chute un peu «tirée par les cheveux», je vous recommande quand même la lecture de ce roman. Virginie Despentes nous offre une écriture
bien personnelle qui saura vous captiver, un polar différent mais assez efficace et un plaisir de lire qui répondra à votre besoin de rencontrer une écrivaine pas comme les autres.
«Apocalypse bébé» est en nomination pour le Prix Goncourt.
Bonne lecture !
Apocalypse bébé
Virginie Despentes
Grasset
2010
343 pages