28 Juillet 2010
Après avoir lu quelques romans très noirs, j’ai ressenti le besoin, d’aller voir autre chose, de me rassurer sur l’être huma in et comme le dit justement le personnage principal de «178 secondes», je voulais prendre «
... le temps d’assimiler ce que je lisais, de profiter des mots au lieu de me dépêcher d’atteindre la dernière page.» Merci donc, à l’auteure de me fournir, gracieusement,
une introduction à ma chronique, de me donner l’élan pour vous parler de ce roman, doux à l’oreille et à l’âme, un plaisir à déguster tranquillement.
Je vous ai déjà présenté Katia Canciani dans ma chronique sur «La lettre à Saint-Exupéry», très beau texte à saveur poétique, décrivant
une rencontre imaginaire entre une jeune écrivaine et un auteur, grand classique de la littérature (lien). Je vous rappelle que cette jeune écrivaine a été, auparavant, pilote d’avion et
instructeure pour les apprentis pilotes. Elle s’est consacré à l’écriture, pour notre plus grand plaisir, après sa carrière dans l’aviation. Depuis quelques années, elle a écrit quelques romans
pour adultes et une bonne dizaine d’albums pour la jeunesse. «178 secondes» est son dernier roman, publié en 2009.
Katia Canciani possède une imagination débordante qu’elle met au service d’une écriture charmante, poétique et pleine d’humour «.... mais elle ne comprit
pas grand chose à l’anglais qui sortit de ma bouche paralysée par le froid. La patate chaude s’était métamorphosée en frite congelé.» Lire les oeuvres de cette auteure, c’est se
laisser bercer par une belle histoire mais aussi, c’est apprécier une musicalité de la phrase qui coule, une finesse du langage qui se glisse lentement dans l’univers de nos émotions. Je dirais
même que lire Katia Canciani, c’est une sensation qui se rapproche d’un vol en planeur: dans le calme de son écriture, on apprécie la beauté des paysages, juste en entendant le vent siffler dans
nos oreilles. Un exemple, de ces phrases qui planent: «Ma mère, mon iceberg éternel, tantôt refuge, promontoire, terre d’exil sur les eaux troubles de mes océans intérieurs
?»
La trame romanesque est assez simple. Nicola a 18 ans, aujourd’hui. Il vient d’apprendre une histoire terrible qui lui a été cachée depuis toujours. Cette histoire
implique sa mère ... qu’il n’a jamais vue; cet événement le concerne de façon dramatique. Il est secoué. Élevé par son père, chouchouté par toute sa famille, en manque de sa mère qu’on dit morte
dans un incendie, Nicola comprend maintenant toute cette attention qu’on lui a portée, ce cocon qui l’a entouré toute sa vie ... et dont il veut se débarrasser. Commence alors une quête, une
recherche inlassable pour donner un sens à sa nouvelle vie d’adulte par le biais d’un voyage à travers le Canada. De Laval à l’océan Pacifique, en passant par l’Ontario, les provinces de l’Ouest,
les Rocheuses et Vancouver, Nicola fait des rencontres fortuites qui le poussent vers une réflexion personnelle, vers la découverte de ce qu’il est et de ce qu’il veut dans sa vie. Chaque ville
met sur sa route des découvertes, des endroits culturels ou touristiques mais aussi des contacts humains enrichissants et formateurs.
Ses rencontres sont souvent initiatrices de réflexion mais ces personnages secondaires portent dans leurs mains la clé de l’énigme, tous les indices qui permettront
à Nicola de découvrir qui il est réellement. Le camionneur et sa bibliothèque pour voyageurs, l’apprenti aviateur en stage de formation, la famille Fortier dans un village francophone des
Prairies, Felicity, à Vancouver, la mère qu’il n’avait jamais eue et finalement, Richard et Jeannie à Yellowknife, ont tous inspiré la recherche de Nicola et lui ont permis de répondre à ses
questions douloureuses «Les lumières s’étaient éteintes me laissant seul avec ma question tel un poisson rouge dans un aquarium asséché».
Après un travail d’accompagnateur dans une école du Grand Nord canadien, à Yellowknife, notre jeune héros termine son voyage de l’autre côté du pays, dans les
provinces maritimes. Son voyage se termine auprès d’une jeune Mi’kmac, sur le bord de l’océan Atlantique; la belle Anny accompagnera-t-elle Nicola dans sa poursuite des réponses qui, enfin,
lui permettront de comprendre ?
Habitué que je suis à des enquêtes pour trouver l’auteur d’un crime, j’ai beaucoup apprécié me plonger dans ce roman où la victime se consacre à une quête du sens
de sa vie. L’histoire est belle et bien menée; pas de revirement inattendu, pas d’éclats de voix, pas de meurtres sanglants. Juste une belle histoire, remplie d’humanité, avec des références
culturelles et littéraires qui enrichissent notre lecture et notre culture. La recherche pour comprendre l’élément déclencheur de sa vie ... pour comprendre comment l’auteure de ses jours a pu
faire un tel geste est un élément qui insuffle une valeur dramatique et émouvante à ce très beau roman.
«178 secondes» n’est pas un polar ... loin de là, mais cette recherche, cette quête de sens suite à cet événement tragique, ces chapitres
où Nicola, juste avant ses 18 ans, fouille son passé caché, occulté par une famille sur-protectrice, ajoutent une saveur passionnante, un peu de piquant, de frémissement à ce court fleuve
tranquille.
J’ai adoré cette lecture, cet oasis de paix dans ma bibliothèque peuplée de polars meurtriers, de criminels désaxés et de policiers troublés. Sa lecture vous
donnera l’impression, par procuration, de vivre ce voyage que nous aurions dû faire lors de nos 18 ans. Et pour ceux qui ne connaissent pas le Canada, le roman vous fera vivre un voyage bien
particulier, à la découverte d’un immense pays de froid tempéré par la chaleur de ses habitants.
Juste pour votre plaisir, voici quelques phrases illustrant le style de Katia Canciani:
Philosophique: «Il y avait donc une différence entre la naissance et la vie. Entre venir au monde et
commencer à vivre.»
Poétique: «J’ai eu des parents qui m’ont conçue, d’autres qui m’ont recueillie, d’autres qui m’ont aimée,
éduquée, protégée. Maintenant, je considère que ma mère, c’est la Terre et mon père, le Ciel. Voilà. Et si un jour j’ai des enfants, c’est ce que je leur offrirai en guise de
grands-parents.»
Sensuel: « ... la fille au regard aphrodisiaque, au sourire ensoleillé et au rire
cristallin.»
Humoristique: «Un très beau moulin à paroles dont j'aurais aimé partager la langue, si elle n’avait tournée
si vite.»
Touchant: (Pour souligner la très belle rencontre avec Felicity ... on voudrait tous rencontrer une Felicity ...)
«Nos vies s’étaient rencontrées ainsi qu’elles étaient faites pour l’être. J’étais perdu, elle m’avait recueilli. Elle s’ennuyait, je lui avais donné un peu de compagnie. J’étais sans
mère, elle était sans fils. Elle était un livre ouvert; moi, une huitre fermée. Elle serait éternellement jeune, j’étais vieux depuis ma tendre enfance.»
Imagée: «Bien sûr, je suis une fonte de glacier exponentielle quand je pleure ...»
Et littéraire, évidemment (clin d’oeil aux futurs lecteurs du roman !): «Si tu pouvais apporter deux livres
sur un île déserte, lesquels est-ce que ce seraient ?»
(Mais pourquoi n’y répondrions-nous pas ... allez dans vos commentaires ...)
Je vous recommande grandement ce livre pour le plaisir d’une lecture apaisante, douce, pleine d’esprit, intelligente et surtout, de celle où l’on ressort heureux,
un peu plus fier de notre genre humain.
Et j’oserais en terminant, faire un parallèle avec un autre livre que j’avais beaucoup aimé ... «L’avant-dernière chance» de Caroline Vermalle. Dans chacun de ces
deux romans, on y retrouve, par l’intermédiaire du voyage, la quête de sens d’une vie, autant à 80 ans qu’à 18 ans. Le récit de Caroline Vermalle était un roman caramel; le livre de Katia Canciani est un roman chocolat
!
Je vous souhaite donc, tout le plaisir de la dégustation !
Et pour être le premier à répondre à la question. Sur cette île déserte, j’apporterais «Le dictionnaire historique de la langue française» d’Alain
Rey parce dans ce livre, chaque mot a et est une histoire et avec tous ces mots, chaque lecteur peut se raconter toutes les histoires.
Et le deuxième, pour le plaisir de me faire rire, pour me détendre, «L’intégrale des monologues de Sol», par Marc Favreau. Pour l’amour des mots
qui peuvent être poésie et humour !
Bonnes lectures ! Et si vous me laissez un commentaire, n'hésitez pas à répondre à la question ... Les deux livres sur une île déserte ...!
P.-S. Sachant que «178 secondes» est assez difficile à trouver sur les tablettes de nos librairies québécoises ( parce que ce livre est
publié par un éditeur hors Québec ???) et encore plus difficile en France, je me permets une petite publicité d’une librairie virtuelle basée à Ottawa où vous pourrez commander le livre et le
recevoir très rapidement. On me dit qu’ils font également la livraison en Europe. Alors, mes amis Français, vous pourrez également commander ce livre par Internet. Le site se nomme
Livres-Disques.ca et vous pouvez y avoir accès en cliquant sur Livres-Disques Etc.
178 secondes
Katia Canciani
Les Éditions David
2009
270 pages