Résonnances

Une chronique de Christelle Lison

On peut dire de Patrick Senécal qu’il est un auteur prolifique. Des fans, il en a! Je peux vous le confirmer, j’en ai fait partie. Si cela peut sembler une position confortable, force est de reconnaître que c’est probablement aussi un couteau à double tranchant. Comment se renouveler sans décevoir? Comment oser sans changer complètement? Avec Résonnances, paru chez Alire, il me semble que l’auteur a réussi son pari.

Ce roman, c’est l’histoire de Théodore Moisan, 51 ans, blanc, hétérosexuel et auteur. Dès les premières pages, on ne peut que se poser la question… Théodore est-il Patrick? Y a-t-il là une forme d’autobiographique? Nous pouvons le penser dans la mesure où c’est justement en passant un examen subi par Théodore, à savoir une imagerie par résonnance magnétique (IRM), que l’idée du roman a pris forme. En parlant d’histoires, avouons que Théodore va en vivre de toutes sortes!

En effet, à la suite de son IRM, sa vie semble tranquillement basculer dans un monde parallèle. Sa mémoire lui fait défaut. Ses proches se comportent pour le moins bizarrement. « Sans ralentir, Gilles dresse son majeur dans sa direction. Dieu du ciel! il a perdu la tête! Tout en le suivant, j’ai l’impression de marcher sur une surface molle emplie d’eau. L’autre jour, Paden m’a certifié que je ne rêvais pas. En ce moment même, je me dis que cette explication aurait été, et de loin, la plus rassurante. » (p. 204) Il devient presque quotidiennement le témoin voire l’acteur de situations pour le moins étranges… Et pire encore, plus le temps avance, plus les scènes vécues se reproduisent tout en empirant. Au fil des pages, on ressent le cauchemar dans lequel bascule le pauvre Théodore Moisan. Est-ce qu’il perd la boule? Est-ce qu’il rêve? Est-ce qu’il est mort? Et qui est donc le fameux Paden qui semble se trouver sur son chemin de manière pour le moins surréaliste… Et pourquoi voit-il le même tableau, ou presque, dans les endroits qu’il fréquente? « Je fixe le tableau un moment. Camille tenait vraiment à ce que je le rapporte à la maison. Veut-elle me communiquer quelque chose? Un message? Un code? J’examine la photographie avec attention. » (p. 183)

En sortant de ce roman, dont il est difficile de vous en dire plus pour ne pas gâcher votre lecture, on réalise à quel point Patrick Senécal nous a amené dans un labyrinthe. On avance et on recule dans notre compréhension en quelques pages. On saisit certains indices et puis arrive une foule de questions quelques pages après. Difficile de lâcher la lecture de ce roman de 340 pages tellement on veut en connaître l’issue. Rassurez-nous, on va finir par comprendre… Ou pas… Il y a dans ce roman, où l’on reconnaît le style contrôlé de Patrick Senécal sans le moindre doute, un petit fond de David Lynch. Il ose d’ailleurs dans son livre ouvrir des portes qui peuvent faire retrousser les lèvres, notamment autour de l’extrême wokisme et de l’hyperconservatisme. Difficile de ne pas poursuivre la réflexion sur ces thèmes d’actualité à l’issue de la lecture.

Résonnances est un livre addictif aux nombreux dialogues et monologues! On se demande ce que l’on ferait à la place de Théodore Moisan. Mais au-delà de penser au protagoniste, c’est surtout aux détails et aux indices qu’il nous faut en tant que lecteur être attentif. C’est un grand art que de disséminer dans le texte, au fil des pages, des petits cailloux sans toutefois nous en dire trop. Patrick Senécal réussit, de mon point de vue, ce tour de force. La logique dans l’imprévisible. Une fin sans fin. « Comme la dernière fois, la peur monte en moi, mais une peur différente, bien pire, plus métaphysique, liée à l’angoisse de comprendre que nous ne sommes pas. » (p. 334-335) En refermant Résonnances, vous vous demanderez peut-être si vous existez vraiment, vous aurez peut-être peur de passer une IRM, vous regardez les autres et l’environnement différemment. Et si vous étiez un autre vous-même, vous seriez qui…

Bonne lecture !

Résonnances

Patrick Senécal

Éditions Alire

2022

Patrick Senécal

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