19 Novembre 2022
Une chronique de Richard
Polar nordique ou québécois, thriller français ou anglais, roman noir canadien ou américain ?
Que diriez-vous d’un polar nigérian.
D’un auteur qui a grandi à Lagos au Nigeria.
D’une histoire qui met au centre de l’intrigue, un psychocriminologue, Philip Taiwo.
Et d’un début de roman qui commence par le lynchage de trois étudiants de l’université de Port Harcourt, brulés par les fameux « colliers de feu » ...
Voici donc une découverte à faire, ce premier roman de l’auteur nigérian. Femi Kayode. Et quel premier roman ! Une enquête où l’opacité est aussi obscure qu’une nuit africaine et où les enquêteurs se cognent le nez à chaque porte qui se ferme. Et tout cela, dans la chaleur étouffante du début de l’automne subsaharien.
Tout commence par une vidéo qui devient virale, où l’on voit une foule en colère, sans aucune forme de procès, malmener trois étudiants soupçonnés d’avoir perpétré un vol et enfin, les brûler vifs. Impitoyablement !
Sept personnes sont arrêtées, le procès devrait débuter bientôt, mais le père dune des victimes engage le psychocriminoloque Philip Taiwo pour essayer d’éclaircir les points sombres de l’affaire et de trouver quoi ou qui se cache derrière cette foule en colère. On adjoint à l’apprenti enquêteur un chauffeur, Chika, qui sera révélera être d’une aide très efficace et il deviendra, au fur et à mesure de l’enquête, un élément important du récit.
L’arrivée d’un « étranger » qui vient poser des questions, se mettre le nez dans les affaires que l’on veut cacher ne fera pas plaisir à personne. Dans la tête de tous, l’audience approche, nous avons des coupables et tout sera réglé en un rien de temps. Un procès rapide devant tant d’évidences. L’enquête dérange, tant la population que la police de la ville. Et même, le grand chef des gens d’Okriki, Kinikanwo Omerejii tente de calmer les ardeurs de l’enquêteur trop curieux.
« ... alors je vous le répète, personne ne vous aidera à trouver la version que vous êtes venu chercher. »
Dans cette atmosphère hostile, Philip Taiwo, revenant d’un long séjour aux États-Unis, plus habitué à la théorie de ses livres universitaires que dans l’analyse d’une véritable scène de crime devra louvoyer entre les personnes qui feront tout pour l’empêcher d’avancer et la lourdeur des silences qui cachent peut-être d’autres vérités. En plus, pour ajouter à la difficulté, il devra composer avec les coutumes de son pays, coutumes avec lesquelles, il se sent un peu déphasé : fraternité universitaire, sectes, croyances et corruption.
Après avoir terminé ma lecture de ce premier roman, j’ai été surpris par une chose assez particulière : malgré un récit qui se déroule lentement, avec un auteur qui a le souci du détail, en dépit du fait que Femi Kayode nous raconte son pays, ses coutumes et ses travers, que dès les premières pages du roman, on pourrait penser que les coupables sont déjà en prison, malgré tout cela, ce roman est haletant, prenant, impossible de le lâcher. Le parfait mélange de la lenteur réflexive et du « page turner » !
Une des forces du roman se situe dans la complexité du personnage principal, l’universitaire théoricien, plongé dans la réalité violente du terrain. Passionnant ! Ajoutez à cela toute la profondeur que l’auteur donne à son personnage : sa relation de couple, le choc des valeurs, le sentiment d’être étranger dans son propre pays, sa croyance en l’humanité confrontée à la violence de certains et son sens de la justice. Philip Taiwo est un personnage que l’on aimerait revoir !
« Les colliers de feu » est un roman violent ... même si la violence des hommes n,y est pas décrite de façon explicite. Tout le long du roman, on ressent cette énergie négative, la force d’une foule qui peut transgresser toute logique et punir sans procès. Ce qui est inquiétant, c’est que cette histoire serait déjà terrible si elle venait entièrement de l’imagination de l’auteur, mais on apprend dans les remerciements de fin de volume que l’auteur s’est inspiré d’une vraie video du lynchage de quatre étudiants de l’université de Port Harcourt au Nigéria, en octobre 2012. Troublant !
Malgré tout cela, je vous recommande la lecture de ce premier roman pour découvrir un auteur talentueux et une littérature africaine qui vaut la peine d’être fréquentée. Après Deon Meyer, Margie Orford, Driss Chraibi, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Alain Mabanckou et Janis Otsiemi, en littérature africaine, il y a encore de la place pour de belles trouvailles.
Bonne lecture !
P. S. Une note à l’éditeur si un jour le roman doit être réimprimé. Comme le roman parle beaucoup du Nigeria, de la mafia de ce pays, il faut rappeler que l’adjectif pour ce pays est « nigérian ou nigériane ». Nigérien et nigérienne se rapporte au Niger, pays voisin du Nigéria.
Les colliers de feu
Femi Kayode
Éditions Les Presses de la Cité
Collection Sang d’encre
2022
410 pages
Femi Kayode : sa biographie, son actualité, ses livres | Lisez!
Crédit photo:©Nicholas Louw Femi Kayode a grandi à Lagos, au Nigeria, et a étudié - entre beaucoup d'autres choses - la psychologie clinique avant d'entamer une carrière dans la publicité. A...